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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
sentatif que Dédale. Sous le nom du fabuleux Dédale, les Grecs
avaient résumé toutes les premières inventions et les premiers pro-
grès de la sculpture naissante; le nom de Phidias résume également
les derniers progrès de l’art au ve siècle, les dernières poussées de
sève qui ont amené au point de maturité la moisson attendue. Son
œuvre n'a été, en effet, que l’achèvement de cette longue croissance
continue dont je viens de parler. Elle n’étonne point par la nouveauté
des sujets. Car les types des statues de Phidias ne semblent pas avoir
été fort différents de ceux qu’avaient traités ses prédécesseurs, et l’on
a retrouvé à Delphes, dans la décoration sculptée du Trésor clés
Cnidiens, le motif le plus célèbre et le plus beau de la frise du Par-
thénon : l’assemblée des dieux assis, contemplant du haut du ciel
les combats ou les fêtes des humains. Rien non plus dans cette
œuvre qui signale, comme dans celle de Michel-Ange par exemple,
une pensée exceptionnellement puissante, supérieure encore aux
moyens d’expression qu’elle emploie. Au contraire, l’œuvre de Phi-
dias, envisagée d’un certain sens, apparaît comme impersonnelle,
parce qu’elle procède directement de la tradition établie1, parce
qu’elle est la suite logique des progrès déjà obtenus auparavant. Ses
premiers travaux, peut-être même son célèbre Zeus d’Olympie2,
offraient encore des vestiges d’archaïsme, et lorsque, sous sa main,
la sculpture grecque s’affranchit enfin des dernières raideurs et des
dernières conventions, ce fut comme en vertu de cette force sponta-
née, à la fois irrésistible et insensible, qui fait qu’à l’heure voulue
le bouton gonflé s’ouvre et la ileur s’épanouit.
Ce premier mérite des œuvres de Phidias, d’être tout à fait
mûres relativement aux œuvres encore trop jeunes de l’époque pré-
cédente, est donc le produit du temps plutôt que du génie personnel.
Mais il y a, dans les figures du grand sculpteur, quelque chose de
plus, que le génie seul pouvait leur donner. Les Parques assises
ou le Thésée à demi couché sur Pun des frontons du Parthénon
ne nous présentent pas seulement le spectacle de beaux corps déli-
vrés de toute contrainte, jouissant de l'absolue liberté de leurs mou-
vements, heureux de pouvoir, avec la plus naturelle aisance, étendre
ou ployer leurs membres assouplis ; nous n’y voyons pas seulement,
pour la première fois, des draperies qui, sans apprêt ni recherche
d’aucune sorte, constituent la plus harmonieuse décoration plas-
1. Sur le caractère « conservateur » du génie de Phidias, cf. les justes con-
clusions de M. Pottier (Bulletin de correspondance hellénique, XXI, 1897, p. 509).
2. Cf. Archæologischer Anzeiqer, 1898, p. 177-180 (K. Wernicke).
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
sentatif que Dédale. Sous le nom du fabuleux Dédale, les Grecs
avaient résumé toutes les premières inventions et les premiers pro-
grès de la sculpture naissante; le nom de Phidias résume également
les derniers progrès de l’art au ve siècle, les dernières poussées de
sève qui ont amené au point de maturité la moisson attendue. Son
œuvre n'a été, en effet, que l’achèvement de cette longue croissance
continue dont je viens de parler. Elle n’étonne point par la nouveauté
des sujets. Car les types des statues de Phidias ne semblent pas avoir
été fort différents de ceux qu’avaient traités ses prédécesseurs, et l’on
a retrouvé à Delphes, dans la décoration sculptée du Trésor clés
Cnidiens, le motif le plus célèbre et le plus beau de la frise du Par-
thénon : l’assemblée des dieux assis, contemplant du haut du ciel
les combats ou les fêtes des humains. Rien non plus dans cette
œuvre qui signale, comme dans celle de Michel-Ange par exemple,
une pensée exceptionnellement puissante, supérieure encore aux
moyens d’expression qu’elle emploie. Au contraire, l’œuvre de Phi-
dias, envisagée d’un certain sens, apparaît comme impersonnelle,
parce qu’elle procède directement de la tradition établie1, parce
qu’elle est la suite logique des progrès déjà obtenus auparavant. Ses
premiers travaux, peut-être même son célèbre Zeus d’Olympie2,
offraient encore des vestiges d’archaïsme, et lorsque, sous sa main,
la sculpture grecque s’affranchit enfin des dernières raideurs et des
dernières conventions, ce fut comme en vertu de cette force sponta-
née, à la fois irrésistible et insensible, qui fait qu’à l’heure voulue
le bouton gonflé s’ouvre et la ileur s’épanouit.
Ce premier mérite des œuvres de Phidias, d’être tout à fait
mûres relativement aux œuvres encore trop jeunes de l’époque pré-
cédente, est donc le produit du temps plutôt que du génie personnel.
Mais il y a, dans les figures du grand sculpteur, quelque chose de
plus, que le génie seul pouvait leur donner. Les Parques assises
ou le Thésée à demi couché sur Pun des frontons du Parthénon
ne nous présentent pas seulement le spectacle de beaux corps déli-
vrés de toute contrainte, jouissant de l'absolue liberté de leurs mou-
vements, heureux de pouvoir, avec la plus naturelle aisance, étendre
ou ployer leurs membres assouplis ; nous n’y voyons pas seulement,
pour la première fois, des draperies qui, sans apprêt ni recherche
d’aucune sorte, constituent la plus harmonieuse décoration plas-
1. Sur le caractère « conservateur » du génie de Phidias, cf. les justes con-
clusions de M. Pottier (Bulletin de correspondance hellénique, XXI, 1897, p. 509).
2. Cf. Archæologischer Anzeiqer, 1898, p. 177-180 (K. Wernicke).