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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 21.1899

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Nr. 3
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Renan, Ary: Gustave Moreau, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.24685#0211
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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

il ne cherche, en réalité, dans le répertoire du mythe, que des
prétextes supérieurs.

J’irai plus loin, et je ne crains pas de dire que l'art de Moreau
abhorre la littérature et répugne à tous les moyens qu’emploie
celic-ci. Volontairement, ce maître s’est interdit de rechercher
l’action, le caractère, la vérité immédiate des sentiments — tout ce
dont est composé d’habitude un bon tableau et un bon livre ; —-
et, pour remplacer ces éléments d’émotion, ces agents d’illusion
consacrés, il a fait résider le prix de ses œuvres dans leur perfection
intrinsèque, dans leur extrême richesse matérielle, dans l’accom-
pagnement, pour ainsi dire, que les artifices matériels du pinceau
peuvent apporter au thème le plus vulgarisé.

Je n’ai garde de me laisser entraîner ici dans un paradoxe de
commentateur. J’ai dit plus haut que Gustave Moreau s’était confié
à deux principes dirigeants : le Principe de la belle Inertie et le Prin-
cipe de la Richesse nécessaire. Je l’ai entendu développer ces principes
avec une éloquence admirable, au cours d’entretiens que je ne puis
oublier, cl si, en les exposant aujourd’hui, je trahis quelque nuance
de sa pensée, du moins ai-je l’assurance de ne pas la dénaturer.

Pbtncipe de la belle Inertie. — Au début, et — je l’ai indiqué,

-—- tant que vécut Théodore Ghassériau, Moreau chercha des sujets,
comme tous les peintres jeunes.

Ghassériau fut un enchanteur de qui la séduction semble venir
d’une double ascendance, d’une illustre hybridité ; Ingres et Dela-
croix s’amalgament en lui, et leurs doctrines opposées se fondent
dans son sein; à son tour, il suscite deux disciples libres, il fomente
deux esprits d’essence opposée, qui seront les deux maîtres intuitifs
et spirituels de l’art français : Pu vis de Chavannes et Gustave
Moreau. Pour qui ne connaît pas les compositions décoratives que
Ghassériau a exécutées dans l’église Saint-Merry (1843), et surtout
dans l’escalier d’honneur du palais d’Orsay1 (1844-48), il manque
forcément un chaînon dans la filiation des génies français. Du
panneau de la Paix protectrice sort l’esthétique fondamentale de Puvis
de Chavannes ; du panneau qui représente Ix Commerce rapprochant
les peuples, de tous les tableaux, de tous les essais de Ghassériau
sortent la discipline initiale de Gustave Moreau et son style.

Ghassériau avait la grande conception de l’antiquité, du chef de
ses affinités ingresques; il avait la hantise de la couleur, du chef de

4. Voir notre article sur ces peintures, Gaz. des Beaux-Arts, 3'‘ pér., t. XIX, p. 89.
 
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