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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Est-ce donc là un portrait de Montesquieu? La légende dit bien : « Charles
de Secondât, baron de Montesquieu, ancien président à mortier au Parlement de
Bordeaux... » ; mais les légendes de gravures ne sont pas plus véridiques que les
autres. On ne doit les accueillir qu’à titre de renseignement. Celle-ci, cependant,
est confirmée de la façon la plus forte par la dédicace qui l’accompagne :
« Al merito dell’ Illra0 Antonio Niccolini de Marchesi di Pansacco... Carlo
Faucci, Incisore in rame. In Firenze, l’anno 1767. »
La gravure est dédiée à l’abbé marquis Niccolini. Or, nous savons, par les
notes de voyage, que Montesquieu s’était lié d’amitié avec lui. Ni l’éloignement
ni le temps n’avaient dénoué ces relations : les Lettres familières l’attestent. Le
6 mars 1740, douze ans après son passage à Florence, il lui écrivait :
« J’ai reçu, cher et illustre abbé, avec une véritable joie, la lettre que vous
m’avez fait l’honneur de m’écrire. Vous êtes un de ces hommes que l’on n’oublie
point et qui frappent une cervelle de votre souvenir. Mon cœur, mon esprit sont
tout à vous, mon cher abbé.
« Vous m’apprenez deux choses bien agréables : l’une, que nous verrons
Monseigneur Cerati en France, l’autre, que Mme la marquise Ferroni se souvient
encore de moi. Je vous prie de cimenter auprès de l’un et de l’autre cette amitié
que je voudrais tant mériter... »
Quatorze ans après, le président lui adressait encore ce billet de recomman-
dation :
« 1er décembre 17S4. — Permettez, mon cher abbé, que je me rappelle à votre
amitié ; je vous recommande M. de la Condamine. Je ne vous dirai rien, sinon
qu'il est de mes amis ; sa grande célébrité vous dira d’autres choses, et sa pré-
sence dira le reste. Mon cher abbé, je vous aimerai jusqu’à la mort. »
Quelle apparence que Carlo Faucci, graveur de troisième ordre, se soit
permis en 1767, douze ans après la mort de Montesquieu, de dédier à son vieil
ami la reproduction d'un portrait sans authenticité, une image infidèle ou fan-
taisiste ? Il est bien difficile d’admettre que cet artiste obscur ait pris pour
victime d’une audacieuse supercherie un ami personnel du président, un per-
sonnage qui occupait dans la société tlorentine une situation aussi considérable.
La supposition est invraisemblable.
Carlo Faucci n’avait jamais vu Montesquieu, étant né vers 1728, l'année
même du voyage à Florence. Il n’a pu que graver un dessin ou un tableau, et ce
dessin ou ce tableau lui a été évidemment prêté par l’abbé Niccolini, puisqu’il
figurait dans sa galerie, où A. Tardieu l’a retrouvé plus tard.
L’ensemble de ces faits nous permet de conclure, jusqu’à preuve du con-
traire, à l’authenticité du portrait de Faucci et à sa valeur iconographique.
GASTON SCHÉFER.
L’Administrateur-gérant : J. ROUAM.
PARIS. — IMPRIMERIE GEORGES PETIT, 12, RUE GODOT-DE-MAUR01
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Est-ce donc là un portrait de Montesquieu? La légende dit bien : « Charles
de Secondât, baron de Montesquieu, ancien président à mortier au Parlement de
Bordeaux... » ; mais les légendes de gravures ne sont pas plus véridiques que les
autres. On ne doit les accueillir qu’à titre de renseignement. Celle-ci, cependant,
est confirmée de la façon la plus forte par la dédicace qui l’accompagne :
« Al merito dell’ Illra0 Antonio Niccolini de Marchesi di Pansacco... Carlo
Faucci, Incisore in rame. In Firenze, l’anno 1767. »
La gravure est dédiée à l’abbé marquis Niccolini. Or, nous savons, par les
notes de voyage, que Montesquieu s’était lié d’amitié avec lui. Ni l’éloignement
ni le temps n’avaient dénoué ces relations : les Lettres familières l’attestent. Le
6 mars 1740, douze ans après son passage à Florence, il lui écrivait :
« J’ai reçu, cher et illustre abbé, avec une véritable joie, la lettre que vous
m’avez fait l’honneur de m’écrire. Vous êtes un de ces hommes que l’on n’oublie
point et qui frappent une cervelle de votre souvenir. Mon cœur, mon esprit sont
tout à vous, mon cher abbé.
« Vous m’apprenez deux choses bien agréables : l’une, que nous verrons
Monseigneur Cerati en France, l’autre, que Mme la marquise Ferroni se souvient
encore de moi. Je vous prie de cimenter auprès de l’un et de l’autre cette amitié
que je voudrais tant mériter... »
Quatorze ans après, le président lui adressait encore ce billet de recomman-
dation :
« 1er décembre 17S4. — Permettez, mon cher abbé, que je me rappelle à votre
amitié ; je vous recommande M. de la Condamine. Je ne vous dirai rien, sinon
qu'il est de mes amis ; sa grande célébrité vous dira d’autres choses, et sa pré-
sence dira le reste. Mon cher abbé, je vous aimerai jusqu’à la mort. »
Quelle apparence que Carlo Faucci, graveur de troisième ordre, se soit
permis en 1767, douze ans après la mort de Montesquieu, de dédier à son vieil
ami la reproduction d'un portrait sans authenticité, une image infidèle ou fan-
taisiste ? Il est bien difficile d’admettre que cet artiste obscur ait pris pour
victime d’une audacieuse supercherie un ami personnel du président, un per-
sonnage qui occupait dans la société tlorentine une situation aussi considérable.
La supposition est invraisemblable.
Carlo Faucci n’avait jamais vu Montesquieu, étant né vers 1728, l'année
même du voyage à Florence. Il n’a pu que graver un dessin ou un tableau, et ce
dessin ou ce tableau lui a été évidemment prêté par l’abbé Niccolini, puisqu’il
figurait dans sa galerie, où A. Tardieu l’a retrouvé plus tard.
L’ensemble de ces faits nous permet de conclure, jusqu’à preuve du con-
traire, à l’authenticité du portrait de Faucci et à sa valeur iconographique.
GASTON SCHÉFER.
L’Administrateur-gérant : J. ROUAM.
PARIS. — IMPRIMERIE GEORGES PETIT, 12, RUE GODOT-DE-MAUR01