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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
vement des Sabines est, en ce sens, un chef-d’œuvre, comme le
Laocoon en parut un à nos pères. Mais, à l’inertie des figures de
Gustave Moreau ne trouve-t-on pas de nobles prototypes ?
Le geste rituel, l’attitude suppléant à l’action triomphent, à vrai
dire, aussi bien sur le fronton du Parthénon que dans le plus bel
art italien. Laissons pourtant VI lis sus et les Parques pour citer deux
exemples dont Moreau se réclamait le plus souvent. C’est d’abord
Léonard de Vinci, le calme dieu qui ne sait que sourire. Voyez la
Sainte Anne et la Vierge aux rochers du Louvre : peu ou pas
d’adaptation du geste ; les figures sont de même âge, lentes et
dénuées de passion accusée ; les mains n’agissent pas, les pieds
posent à peine sur le sol ; le sentiment est ambiant, la mollesse
générale ; l’expression n’est pas à fleur de peau, elle est profonde
et comme voilée. Voyez encore le Christ dans la Cène de Milan ;
voyez tel Saint Jean-Baptiste, qui peut-être est un Bacchus — nous
hésitons, faute d’avoir son nom. — Que montre-t-il du doigt? C’est
l’enchantement de l’œuvre que nous ne le sachions jamais.
Il attestait aussi Michel-Ange. Ici, plus de langueur, mais une
surhumanité morne et lasse. Gustave Moreau s’enflammait en
parlant des figures du tombeau des Médicis, des Prophètes et des
Sibylles, aux voûtes de la Sixtine : « Toutes ces figures, nous disait-il,
semblent être figées dans un geste de somnambulisme idéal ; elles
sont inconscientes du mouvement qu’elles exécutent, absorbées dans
la rêverie au point de paraître emportées vers d’autres mondes.
C’est ce seul sentiment de rêverie profonde qui les sauve de la
monotonie. Quels actes accomplissent-elles? Que pensent-elles? Où
vont-elles? Sous l’empire de quelles passions sont-elles ? On ne se
repose pas, on n’agit pas, on ne médite pas, on ne marche pas, on
ne pleure pas, on ne pense pas de cette façon sur notre planète... »
Ainsi, croyons-nous, doit s’expliquer, par une doctrine pitto-
resque, l’hiératisme prémédité, mais sans portée mystique, des
figures de Gustave Moreau, leur demi-repos, leur insouciance du
drame auquel elles président. Nous retrouverons ces caractères
dans l’œuvre entier, depuis les Prétendants, conçus lors des pre-
miers débuts, jusqu’à VOreste et aux Argonautes, qui datent des
deux ou trois dernières années.
Principe de la Richesse nécessaire. — Un nom qui convie à
penser, une forme ou, comme il disait, une arabesque dont la placi-
dité soit aussi éloignée que possible des accents de la vie tangible,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
vement des Sabines est, en ce sens, un chef-d’œuvre, comme le
Laocoon en parut un à nos pères. Mais, à l’inertie des figures de
Gustave Moreau ne trouve-t-on pas de nobles prototypes ?
Le geste rituel, l’attitude suppléant à l’action triomphent, à vrai
dire, aussi bien sur le fronton du Parthénon que dans le plus bel
art italien. Laissons pourtant VI lis sus et les Parques pour citer deux
exemples dont Moreau se réclamait le plus souvent. C’est d’abord
Léonard de Vinci, le calme dieu qui ne sait que sourire. Voyez la
Sainte Anne et la Vierge aux rochers du Louvre : peu ou pas
d’adaptation du geste ; les figures sont de même âge, lentes et
dénuées de passion accusée ; les mains n’agissent pas, les pieds
posent à peine sur le sol ; le sentiment est ambiant, la mollesse
générale ; l’expression n’est pas à fleur de peau, elle est profonde
et comme voilée. Voyez encore le Christ dans la Cène de Milan ;
voyez tel Saint Jean-Baptiste, qui peut-être est un Bacchus — nous
hésitons, faute d’avoir son nom. — Que montre-t-il du doigt? C’est
l’enchantement de l’œuvre que nous ne le sachions jamais.
Il attestait aussi Michel-Ange. Ici, plus de langueur, mais une
surhumanité morne et lasse. Gustave Moreau s’enflammait en
parlant des figures du tombeau des Médicis, des Prophètes et des
Sibylles, aux voûtes de la Sixtine : « Toutes ces figures, nous disait-il,
semblent être figées dans un geste de somnambulisme idéal ; elles
sont inconscientes du mouvement qu’elles exécutent, absorbées dans
la rêverie au point de paraître emportées vers d’autres mondes.
C’est ce seul sentiment de rêverie profonde qui les sauve de la
monotonie. Quels actes accomplissent-elles? Que pensent-elles? Où
vont-elles? Sous l’empire de quelles passions sont-elles ? On ne se
repose pas, on n’agit pas, on ne médite pas, on ne marche pas, on
ne pleure pas, on ne pense pas de cette façon sur notre planète... »
Ainsi, croyons-nous, doit s’expliquer, par une doctrine pitto-
resque, l’hiératisme prémédité, mais sans portée mystique, des
figures de Gustave Moreau, leur demi-repos, leur insouciance du
drame auquel elles président. Nous retrouverons ces caractères
dans l’œuvre entier, depuis les Prétendants, conçus lors des pre-
miers débuts, jusqu’à VOreste et aux Argonautes, qui datent des
deux ou trois dernières années.
Principe de la Richesse nécessaire. — Un nom qui convie à
penser, une forme ou, comme il disait, une arabesque dont la placi-
dité soit aussi éloignée que possible des accents de la vie tangible,