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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 21.1899

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Nr. 3
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Renan, Ary: Gustave Moreau, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.24685#0214

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GUSTAVE MOREAU

203

ce n’est pas assez : il faut un attrait sensuel. Gustave Moreau voulait
que l’art du peintre fût luxueux à rendre jaloux les autres arts ;
il pensait qu un tableau doit être rehaussé de tous les ornements
auxquels on peut rattacher une signification, paré de toutes les
beautés qui tombent sous le sens de la vue.

U s’en expliquait volontiers, disant : « Consultez les maîtres.
Ils nous donnent tous le conseil de ne pas faire d’art pauvre. De tout
temps, ils ont introduit dans leurs tableaux tout ce qu'ils connurent
de plus riche, de plus brillant, de plus rare, de plus étrange parfois,
tout ce qui, autour d’eux, passait pour précieux et magnifique. Dans
leur sentiment/ c’est ennoblir le sujet que de l’encadrer dans une
profusion de formules décoratives, et leur respect, leur piété
ressemblent à celle des Dois Mages apportant sur le seuil de la
crèche le tribut des contrées lointaines. Voyez leurs Madones,
incarnation de leur rêve de beauté la plus haute : quels ajustements,
quelles couronnes, quels bijoux, que de broderies sur le bord des
manteaux, que de trônes ciselés ! Et quelle mise-bas que celle des
saints personnages ! Dira-t-on, cependant^ que les pesants orfrois
dont il les accable fassent des grands-prêtres de Rembrandt des
images de réalisme ? Dira-t-on que le faste royal des Vierges de
van Eyck contrarie fonction ou le recueillement de ces graves
figures ? Au contraire, le mobilier somptuaire et les accessoires
même qui se combinent en un étalage d’un prix incalculable dans
les œuvres des maîtres du passé renforcent la ligne du thème
abstrait, et l’on voit parfois ces grands génies naïfs jeter dans leurs
compositions je ne sais quelle délicieuse végétation, je ne sais
quelle faune absurde et ravissante, des moissons de fleurs, des
guirlandes de fruits inconnus, des animaux nobles et gracieux.

« Qu’ils viennent des Elandres ou de l’Ombrie, de Venise ou de
Cologne, les maîtres se sont efforcés de créer un univers dépassant
le réel. Ils ont été jusqu’à imaginer des ciels, des nuages, des sites,
des architectures, des perspectives insolites et tenant du prodige.
Quelles villes bâtissent un Carpaccio ou un Memlingpour y promener
sainte Ursule et quelle Tarse édifie Claude Lorrain pour sa petite
Cléopâtre ! Quelles vallées creusées dans le saphir ouvrent les
peintres lombards ! Enfin, partout, aux murs des musées, que de
fenêtres ouvertes sur des mondes artificiels qui semblent taillés dans
le marbre et l’or et sur des espaces nécessairement chimériques! »

C’est ainsi que, se retranchant derrière les maîtres avec une
modestie grande, le peintre passionné voulait réhabiliter du même
 
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