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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
dû qu’à un artiste étranger, italien ou flamand; le second, celui
de penser que la détermination du lieu d’origine ou d’instruction
suffit à établir, pour un artiste, sa liliation imaginative et tech-
nique. L’internationalisme, en fait, au xve siècle, est de règle
dans presque tous nos centres laborieux. Sur la Loire, le roi
René appelle à Angers des artistes flamands ; les ducs d’Orléans,
seigneurs d’Asti, à Blois, des artistes piémontais. A Bourges et à
Tours, on en trouve également du Nord et du Midi, tandis que les
indigènes vont déjà étudier au loin, quelques-uns, comme Fouquet,
jusqu’à Rome. De même en Auvergne et en Bourbonnais, à la cour
des Bourbons. Quant à Lyon, où la colonie florentine tient la tête
du commerce et de la banque, entre la Bourgogne, le Piémont et la
Provence, c’est un point central où toutes les traditions se croisent
et dont quelques grands artistes, comme Jacques Morel et Jehan
Perréal, semblent avoir personnifié le caractère éclectique. Si l’on
se souvient encore que la plupart des princes et des grands bour-
geois étaient alors de fervents collectionneurs, que la transmission
d’un procédé, d’un style, d’un sentiment, s’opère par le déplacement
des œuvres bien plus que par le déplacement des artistes, on ne
s’étonnera point que les peintures de cette époque nous surpren-
nent souvent par des combinaisons inattendues d’influences diverses
et, en apparence, opposées.
Tel est le cas des deux retables d’Avignon. Des éléments
flamands et italiens s’y peuvent aisément démêler, bien que le
caractère d’ensemble en soit très particulier et marqué au coin d’un
génie spécial. Pour décrire l’œuvre de Charonton, il n’y aurait qu’à
transcrire son contrat décommandé; comme dans toutes les pièces
de ce genre au moyen âge, tous les détails de la composition,
comme tous ceux de l’exécution, y sont prévus avec une précision et
une minutie qui semblent avoir été, pour ces artistes modestes et
ingénieux, des excitants utiles bien plus que des entraves. « Pre-
mièrement y doit estre la forme du Paradis, et, en ce Paradis doit
estre la Sainte Trinité, et du Père au Fils ne doit avoir nulle diffé-
rence, et le Saint Esperit en forme d’une colombe et Nostre Dame
devant selon qu’il semblera mieulx audit maistre Enguerrand ; à
laquelle Nostre Dame, la Sainte Trinité mettra la couronne sur la
teste. » Ce qui frappe, en effet, dans le groupe supérieur des trois
grandes figures, c’est la ressemblance exacte, dans les visages, les
gestes, les vêtements, de Dieu le Père et de Dieu le Fils, tous deux
assis sur une nuée, enveloppés dans de vastes manteaux rouges.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
dû qu’à un artiste étranger, italien ou flamand; le second, celui
de penser que la détermination du lieu d’origine ou d’instruction
suffit à établir, pour un artiste, sa liliation imaginative et tech-
nique. L’internationalisme, en fait, au xve siècle, est de règle
dans presque tous nos centres laborieux. Sur la Loire, le roi
René appelle à Angers des artistes flamands ; les ducs d’Orléans,
seigneurs d’Asti, à Blois, des artistes piémontais. A Bourges et à
Tours, on en trouve également du Nord et du Midi, tandis que les
indigènes vont déjà étudier au loin, quelques-uns, comme Fouquet,
jusqu’à Rome. De même en Auvergne et en Bourbonnais, à la cour
des Bourbons. Quant à Lyon, où la colonie florentine tient la tête
du commerce et de la banque, entre la Bourgogne, le Piémont et la
Provence, c’est un point central où toutes les traditions se croisent
et dont quelques grands artistes, comme Jacques Morel et Jehan
Perréal, semblent avoir personnifié le caractère éclectique. Si l’on
se souvient encore que la plupart des princes et des grands bour-
geois étaient alors de fervents collectionneurs, que la transmission
d’un procédé, d’un style, d’un sentiment, s’opère par le déplacement
des œuvres bien plus que par le déplacement des artistes, on ne
s’étonnera point que les peintures de cette époque nous surpren-
nent souvent par des combinaisons inattendues d’influences diverses
et, en apparence, opposées.
Tel est le cas des deux retables d’Avignon. Des éléments
flamands et italiens s’y peuvent aisément démêler, bien que le
caractère d’ensemble en soit très particulier et marqué au coin d’un
génie spécial. Pour décrire l’œuvre de Charonton, il n’y aurait qu’à
transcrire son contrat décommandé; comme dans toutes les pièces
de ce genre au moyen âge, tous les détails de la composition,
comme tous ceux de l’exécution, y sont prévus avec une précision et
une minutie qui semblent avoir été, pour ces artistes modestes et
ingénieux, des excitants utiles bien plus que des entraves. « Pre-
mièrement y doit estre la forme du Paradis, et, en ce Paradis doit
estre la Sainte Trinité, et du Père au Fils ne doit avoir nulle diffé-
rence, et le Saint Esperit en forme d’une colombe et Nostre Dame
devant selon qu’il semblera mieulx audit maistre Enguerrand ; à
laquelle Nostre Dame, la Sainte Trinité mettra la couronne sur la
teste. » Ce qui frappe, en effet, dans le groupe supérieur des trois
grandes figures, c’est la ressemblance exacte, dans les visages, les
gestes, les vêtements, de Dieu le Père et de Dieu le Fils, tous deux
assis sur une nuée, enveloppés dans de vastes manteaux rouges.