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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
quelque réminiscence de Y Antinous, purifiée par un très délicat
instinct dans l’expression d'une tristesse qui est empreinte ici d’une
exquise sérénité.
Tandis qu’il était au fort de son travail, Marigny appelait
soudainement Coustou (1773) à exécuter une statue en pied de
Louis XV pour le château de Ménars. 11 est fort douteux que jamais
ce projet ait été mené à bout, par suite des difficultés provenant du
prix. Dans son devis du 18 août 1773, Coustou compte 20.000 livres
pour l’exécution de la statue, et 2.000 livres pour le piédestal de
marbre, dressé sur des gradins circulaires ; mais il offrait en plus
de trouver le marbre, de terminer l’œuvre en trois ans et de la
transporter à Menars pour 30.000 livres. Comme l’a remarqué
M. Guiffrey en publiant ce document, nous savons si peu de choses
sur la vie et les mœurs des sculpteurs français, fussent-ils les plus
fameux, que nous ne pouvons négliger aucun petit détail, comme
celui-ci, qui, à première vue, semble de mince importance. Dans le
cas présent, un détail se présente qui offre quelque intérêt psycho-
logique, car il nous montre à nu l’indépendance du caractère de
Coustou et l’âpreté de son orgueil professionnel. Marigny n’était
évidemment pas disposé à dépenser la somme demandée ; il espéra
obtenir l’œuvre au rabais et chargea Cuvillier de discuter les termes
du marché avec Pierre et avec Coustou. Pierre, comme on peut s’y
attendre, anxieux de rester en bons termes avec le directeur général,
mais intimidé aussi par son collègue, qui était un des recteurs de
l’Académie, s’efforça de trouver un compromis. Quand Coustou
insista sur le prix qu’il avait fixé et cita les sommes équivalentes
payées à Pigalle et à Lemoyne, « ses égaux dans l’art », pour des
travaux moins compliqués, Pierre déplora l’existence de précédents
si regrettables, dit qu’il pensait cependant qu’on ne pouvait négliger
d’en tenir compte par égard pour M. Coustou, et ajouta qu’autrement
il eût estimé l’exécution d'une statue de ce genre suffisamment
rétribuée par 16.000 livres payées à un Coustou, contre 12.000 livres
à tout « artiste moins réellement accrédité que M. Coustou ».
Coustou, de son côté, convaincu que c’était faire injure à sa
réputation que d’accepter pour une statue royale une somme infé-
rieure à celles reçues par un Lemoyne ou un Pigalle, déclara qu’il
préférait décliner la commande. « C’est compromettre sa réputation,
et il renoncera plutôt à l'ouvrage », tels furent les termes rapportés
à Marigny ; et comme cette « statue pédestre » ne figure pas dans la
liste des objets vendus à Ménars à la mort du propriétaire, nous
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quelque réminiscence de Y Antinous, purifiée par un très délicat
instinct dans l’expression d'une tristesse qui est empreinte ici d’une
exquise sérénité.
Tandis qu’il était au fort de son travail, Marigny appelait
soudainement Coustou (1773) à exécuter une statue en pied de
Louis XV pour le château de Ménars. 11 est fort douteux que jamais
ce projet ait été mené à bout, par suite des difficultés provenant du
prix. Dans son devis du 18 août 1773, Coustou compte 20.000 livres
pour l’exécution de la statue, et 2.000 livres pour le piédestal de
marbre, dressé sur des gradins circulaires ; mais il offrait en plus
de trouver le marbre, de terminer l’œuvre en trois ans et de la
transporter à Menars pour 30.000 livres. Comme l’a remarqué
M. Guiffrey en publiant ce document, nous savons si peu de choses
sur la vie et les mœurs des sculpteurs français, fussent-ils les plus
fameux, que nous ne pouvons négliger aucun petit détail, comme
celui-ci, qui, à première vue, semble de mince importance. Dans le
cas présent, un détail se présente qui offre quelque intérêt psycho-
logique, car il nous montre à nu l’indépendance du caractère de
Coustou et l’âpreté de son orgueil professionnel. Marigny n’était
évidemment pas disposé à dépenser la somme demandée ; il espéra
obtenir l’œuvre au rabais et chargea Cuvillier de discuter les termes
du marché avec Pierre et avec Coustou. Pierre, comme on peut s’y
attendre, anxieux de rester en bons termes avec le directeur général,
mais intimidé aussi par son collègue, qui était un des recteurs de
l’Académie, s’efforça de trouver un compromis. Quand Coustou
insista sur le prix qu’il avait fixé et cita les sommes équivalentes
payées à Pigalle et à Lemoyne, « ses égaux dans l’art », pour des
travaux moins compliqués, Pierre déplora l’existence de précédents
si regrettables, dit qu’il pensait cependant qu’on ne pouvait négliger
d’en tenir compte par égard pour M. Coustou, et ajouta qu’autrement
il eût estimé l’exécution d'une statue de ce genre suffisamment
rétribuée par 16.000 livres payées à un Coustou, contre 12.000 livres
à tout « artiste moins réellement accrédité que M. Coustou ».
Coustou, de son côté, convaincu que c’était faire injure à sa
réputation que d’accepter pour une statue royale une somme infé-
rieure à celles reçues par un Lemoyne ou un Pigalle, déclara qu’il
préférait décliner la commande. « C’est compromettre sa réputation,
et il renoncera plutôt à l'ouvrage », tels furent les termes rapportés
à Marigny ; et comme cette « statue pédestre » ne figure pas dans la
liste des objets vendus à Ménars à la mort du propriétaire, nous