60
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Eustache et la Mélancolie, peut-être aussi les Apôtres de Munich, c’est à peu près
tout ce qui est parvenu à la grande notoriété. Ses tableaux sont rares et dispersés
et ne donnent d’ailleurs qu’une idée imparfaite de son génie. De plus, ses idées,
sa conception, son mode d’expression, foncièrement germaniques, déconcertent
au premier abord notre goût traditionnel. Chez nous, donc, on a relativement
peu écrit sur Durer. La magistrale biographie de Thausing, traduite par M. Gruyer,
a vieilli surplus d’un point et n’est pas à la portée de tous les lecteurs, non plus
que le beau livre de M. Charles Ephrussi sur les dessins du maître. Une monogra-
phie courte, exacte et claire sur un sujet d'un intérêt universel ne pouvait être que
la bienvenue. M. Marguillier vient de nous la donner dans la collection des « Grands
artistes » publiée par l’éditeur Laurens. Avec une simplicité, une justesse d’ex-
pression très savoureuses il a résumé, en s’aidant des derniers travaux de la cri-
tique d’outre-Rhin, la carrière si riche et si variée du grand artiste allemand.
« Albert Dürer, dit-il, n’est pas seulement un des artistes les mieux doués et les
plus complets, un des plus vastes et aussi un des plus nobles esprits qni aient
existé; en lui se résument, sous une forme particulièrement saisissante, toute
une race et toute une époque. Peintre, graveur, illustrateur, dessinateur d’objets
d’art, il a créé dans chacun des genres où son génie s’exerça quantité de chefs-
d’œuvre de l’aspect le plus varié et du caractère le plus personnel, où la verve d’une
composition débordante d’imagination s'allie à la précision d'une forme savante,
où la fantaisie revêt les apparences de la réalité la plus tangible. » Dans Nurem-
berg, centre de l’activité artistique et industrielle de l’Allemagne, où la science,
la littérature, la poésie et le mysticisme religieux qui annonce la Réforme ont
leur foyer le plus ardent, l’auteur nous montre Durer, troisième fils d’un orfèvre,
né dans un milieu simple, austère et cordial, d’abord élève de son père, puis, la
preuve faite d’une vocation plus haute, apprenti chez Wolgemut, et bientôt entre-
prenant un voyage d’études qui de Colmar à Bâle, de Bâle à Strasbourg, mène par
le Tyrol jusqu’à Venise le jeune homme avide de voir et de savoir. Revenu dans
sa patrie, il se marie à vingt-trois ans. Il ouvre un atelier et, continuant le natu-
ralisme grave de l’école franconienne, il exécute pour Frédéric le Sage le tableau
d’autel de Dresde où brillent déjà « la fantaisie charmante, l’exécution amoureu-
sement achevée des moindres accessoires, le don de la vie et surtout le souci du
naturel ». Le réalisme poétique de Durer est déjà tout entier dans ses premières
œuvres. Celui qui a dit : « L’art réside dans la nature; qui l’en peut extraire le
possède » est aussi le plus lyrique et le plus fantaisiste des maîtres. A la puis-
sance d’observation il joint la faculté d'invention la plus riche, une inépuisable
fécondité d’imagination. Les Descentes de croix de Munich et de Nuremberg,
l’Hercule du Musée germanique, l’autel Paumgàrtner et celui de Sanct-Veit, nous
amènent à VAdoration des Mages de Florence (1504), « la page la plus brillante et
la plus charmante de cette première période ». Durer n’excelle pas moins à
rendre l’acent d’une physionomie humaine. Il pénètre jusqu’à l’âme et, non sans
quelque recherche et quelque tourment parfois, anime ses figures du reflet de
la vie intérieure.
Mais ce n’est là encore que la partie traditionnelle de son labeur. La gravure
und Kœpfe unter den Wer/cen Albrecht Durees. Leipzig, Hiersemann, 1902. ln-4°, 71 p.
av. 27 ûg. et 8 pl. ; — et articles de M. II. Thode dans le Jahrbuch der kôn. preuss.
Kunstsammlungen, 1891, 1893 et 1901.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Eustache et la Mélancolie, peut-être aussi les Apôtres de Munich, c’est à peu près
tout ce qui est parvenu à la grande notoriété. Ses tableaux sont rares et dispersés
et ne donnent d’ailleurs qu’une idée imparfaite de son génie. De plus, ses idées,
sa conception, son mode d’expression, foncièrement germaniques, déconcertent
au premier abord notre goût traditionnel. Chez nous, donc, on a relativement
peu écrit sur Durer. La magistrale biographie de Thausing, traduite par M. Gruyer,
a vieilli surplus d’un point et n’est pas à la portée de tous les lecteurs, non plus
que le beau livre de M. Charles Ephrussi sur les dessins du maître. Une monogra-
phie courte, exacte et claire sur un sujet d'un intérêt universel ne pouvait être que
la bienvenue. M. Marguillier vient de nous la donner dans la collection des « Grands
artistes » publiée par l’éditeur Laurens. Avec une simplicité, une justesse d’ex-
pression très savoureuses il a résumé, en s’aidant des derniers travaux de la cri-
tique d’outre-Rhin, la carrière si riche et si variée du grand artiste allemand.
« Albert Dürer, dit-il, n’est pas seulement un des artistes les mieux doués et les
plus complets, un des plus vastes et aussi un des plus nobles esprits qni aient
existé; en lui se résument, sous une forme particulièrement saisissante, toute
une race et toute une époque. Peintre, graveur, illustrateur, dessinateur d’objets
d’art, il a créé dans chacun des genres où son génie s’exerça quantité de chefs-
d’œuvre de l’aspect le plus varié et du caractère le plus personnel, où la verve d’une
composition débordante d’imagination s'allie à la précision d'une forme savante,
où la fantaisie revêt les apparences de la réalité la plus tangible. » Dans Nurem-
berg, centre de l’activité artistique et industrielle de l’Allemagne, où la science,
la littérature, la poésie et le mysticisme religieux qui annonce la Réforme ont
leur foyer le plus ardent, l’auteur nous montre Durer, troisième fils d’un orfèvre,
né dans un milieu simple, austère et cordial, d’abord élève de son père, puis, la
preuve faite d’une vocation plus haute, apprenti chez Wolgemut, et bientôt entre-
prenant un voyage d’études qui de Colmar à Bâle, de Bâle à Strasbourg, mène par
le Tyrol jusqu’à Venise le jeune homme avide de voir et de savoir. Revenu dans
sa patrie, il se marie à vingt-trois ans. Il ouvre un atelier et, continuant le natu-
ralisme grave de l’école franconienne, il exécute pour Frédéric le Sage le tableau
d’autel de Dresde où brillent déjà « la fantaisie charmante, l’exécution amoureu-
sement achevée des moindres accessoires, le don de la vie et surtout le souci du
naturel ». Le réalisme poétique de Durer est déjà tout entier dans ses premières
œuvres. Celui qui a dit : « L’art réside dans la nature; qui l’en peut extraire le
possède » est aussi le plus lyrique et le plus fantaisiste des maîtres. A la puis-
sance d’observation il joint la faculté d'invention la plus riche, une inépuisable
fécondité d’imagination. Les Descentes de croix de Munich et de Nuremberg,
l’Hercule du Musée germanique, l’autel Paumgàrtner et celui de Sanct-Veit, nous
amènent à VAdoration des Mages de Florence (1504), « la page la plus brillante et
la plus charmante de cette première période ». Durer n’excelle pas moins à
rendre l’acent d’une physionomie humaine. Il pénètre jusqu’à l’âme et, non sans
quelque recherche et quelque tourment parfois, anime ses figures du reflet de
la vie intérieure.
Mais ce n’est là encore que la partie traditionnelle de son labeur. La gravure
und Kœpfe unter den Wer/cen Albrecht Durees. Leipzig, Hiersemann, 1902. ln-4°, 71 p.
av. 27 ûg. et 8 pl. ; — et articles de M. II. Thode dans le Jahrbuch der kôn. preuss.
Kunstsammlungen, 1891, 1893 et 1901.