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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 29.1903

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Nr. 1
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Hamel, Maurice: Les derniers travaux sur Albert Dürer
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https://doi.org/10.11588/diglit.24811#0074
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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

tien, répandue par la prédication et par le livre, est tout à fait populaire alors.
Les mystiques l’ont fait pénétrer dans tous les esprits. Durer ne fait que donner
une forme définitive aux idées les plus propres à émouvoir la conscience de ses
contemporains. Vivant lui-même dans un cercle de mystiques, il exprime avec
une force de style incomparable les plus cliers pressentiments de l’âme alle-
mande. Tout chrétien est un chevalier qui, armé de sa volonté droite et pure,
doit triompher du Diable et de la Mort : c’est une conception courante alors.
Avant que Durer la reprît à son tour, elle était déjà incarnée par l’image. Un bois
du xve siècle nous montre le chevalier chrétien armé de pied en cap et maîtrisant
sa monture, qui symbolise les sens. Dans un autre, ce n’est plus le chevalier,
mais le pèlerin (autre symbole également usité) qui marche à son but sans se
laisser troubler par les grimaces du démon qui le suit, ni par la flèche de la
mort qui l’attend; au-dessus du squelette, on voit un sablier. Tous les éléments
de la gravure préexistent ; Durer n’a fait que les resserrer dans une forme impec-
cable, et son mérite artistique apparaît d’autant mieux, qu’il réside avant tout
dans l’expression.

Pour la Mélancolie et le Saint Jérôme, M. Weber aboutit à des conclusions non
moins probantes. Les deux gravures sont bien des pendants et forment antithèse.
Autant l’une est sombre d’expression et baignée d’une inquiétante pénombre,
autant l’autre est limpide, ensoleillée, sereine. Ce contraste voulu figure l’opposition
classique, acceptée par tout le moyen âge, depuis Isidore de Séville et Rhabanus
Morus, jusqu’aux plus récents écrivains, comme Reiscli, dans sa Margarita Philo-
sophica, entre la Science humaine (litleræ humanæ) qui laisse l’esprit inquiet et
vide et la Science divine (litteræ clivinæ) qui remplit l’âme et la contente. Dans les
attributs entassés autour de l’Esprit aux ailes d’aigle qui médite, si tristement
accoudé, M. Weber retrouve les symboles des arts intellectuels et des arts méca-
niques, selon la division traditionnelle. Cette figure elle-même est bien la mélan-
colie dans le sens moderne du mot ; elle porte une couronne de douce-amère, sym-
bole des âmes solitaires et blessées. Des citations prouvent clairement que le mot
avait déjà alors le sens moral que nous lui donnons aujourd’hui. Enfin, Dürer
lui-même a exprimé plus d’une fois le sentiment douloureux de notre impuis-
sance à savoir. M. Weber cite le passage connu : « Par un penchant inné de
notre nature, nous voudrions beaucoup savoir et posséder la vérité sur toutes
choses. Mais notre intelligence obtuse ne peut atteindre la perfection de l’art, de
la vérité ni de la sagesse. » Il aurait pu citer encore cet autre : « Le mensonge
est au fond de nos connaissances, et les ténèbres nous enveloppent si impitoya-
blement que, même en tâtonnant, nous bronchons à chaque pas. » C’est bien
dans le sens d’un Faust et d’un Pascal qu’il faut interpréter sa plus haute
pensée. Pourtant Durer n’est pas un scolastique. Lui, l’homme d’action et
d’invention, amoureux de toute science et ferme partisan de Luther, ne s’in-
cline pas devant le Passé. Mais, à cette date, avant les paroles libératrices, dans
la fermentation qui précède la Réforme, les âmes les plus hautes vivent dans le
doute et l’angoisse. Aux déboires d’une science qui risque d’éloigner de Dieu,
on oppose la sérénité du saint qui s’est donné tout à Dieu, non, comme l’a cru
Thausing, l’humanisme aristocratique d’un Érasme, mais l’activité féconde et
hénie du traducteur de la Bible, de celui qui s’était fait un crime d’avoir trop
aimé les Lettres humaines. Ainsi replacées dans l’atmosphère intellectuelle et
 
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