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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 29.1903

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Nr. 1
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Hamel, Maurice: Le portrait d'Isabelle d'Este par Titian
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https://doi.org/10.11588/diglit.24811#0122
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LE PORTRAIT D’ISABELLE D’ESTE PAR TITIEN

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les relations de Titien avec les cours de Ferrare et de Mantoue. Il esl
fréquemment l’hôte d'Alphonse d’Este depuis 1516 et de Frédéric de
Gonzague depuis 1522. C’est autour de ces dates que le portrait dut
être exécuté. Isabelle d'Estc n’y peut guère avoir moins de quarante
ou plus de quarante-cinq ans. Ch. Yriarte le rappelait en 1895 : ce
portrait fut compris dans la vente faite par Vincent Gonzague au roi
Charles Ier d’Angleterre vers 1627. Depuis les ventes successives de
Charles 1er ordonnées sur l’initiative de Cromwell, on avait perdu sa
trace. Mais on en connaissait l’existence et la donnée par la copie
que Rubens en fit pendant son séjour à Mantoue en 1604, copie qui
est au Musée impérial de A’ienne. Il faut le reconnaître d’ailleurs,
cette interprétation ne donnait qu’une idée imparfaite de l’original.

L’œuvre, fort bien conservée, peut prendre rang parmi les plus
beaux portraits du maître. Elle est de sa manière la plus riche, la
plus délicate et la plus puissante. On est frappé d’abord de la pléni-
tude de vie qui eu émane et de la densité de la forme. Sur un
fond vert sombre, Isabelle d’Este se présente de face, vêtue d’une
ample robe rouge sombre aux manches bouffantes; la chemise
découvre largement la courbe grasse des épaules et la gorge épa-
nouie; un collier de perles a moins d’éclat que cette carnation
chaude aux reflets ambrés; la main droite ramasse les plis lourds
de la robe. La coiffure en turban fait valoir la petitesse de la tête,
enserrée de cheveux d’or brun; la bouche charnue et line sourit;
les joues, un peu empâtées, laissent deviner la finesse de l’ovale pri-
mitif; les yeux brillent d’un éclat humide el, dans ce visage où le
souvenir de la fraîcheur d’antan se mêle aux signes de la maturité,
ils ont gardé le feu et la naïve ardeur de la jeunesse. La taille alourdie
et l’ampleur des hanches disent que l’âge est venu, mais sans
émousser la vitalité ardente et délicate d’un être privilégié. L’expres-
sion est délicieusement complexe, faite de finesse et de douceur,
d’expérience et de lion té. C’est une Vénus, mais avec des raffine-
ments de sentiment et de pensée ignorés de l’art antique. Il semble
bien que Titien ait traité son modèle avec une particulière et tendre
sympathie, tant il a mis de délicatesse à être sincère, tant il a paré
de grâce spirituelle et avenante cette beauté copieuse et déjà sur le
retour. Impossible d’être plus véridique, et de dire les choses avec
plus de caressantes précautions.

Et si l’on se reporte maintenant â la copie de Rubens, on sentira
d’autant mieux la qualité unique d’un art qui ose et sait tout dire en
termes si choisis, et mêle tant de grâce à sa robustesse énergique.

XXTX. — 3e PÉRIODE. 14
 
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