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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
juger des résultats, il ne faut pas considérer seulement les parties
de son œuvre encore debout, les portraits du duc et de la duchesse,
les six prophètes qui restent sa conception personnelle, splendide
et glorieuse, mais celles qui ont disparu et dont la perte est infini-
ment regrettable : l’image de Dieu et la statue de saint Georges pour
l’église des Chartreux, l’image de Notre-Dame au château de Ger-
molles1. Peut-être convient-il de lui attribuer également la statue
de saint Jean l’Évangéliste qui décorait le pignon de la chapelle
ducale 2, et deux autres portraits dit duc et de la duchesse placés dans
la grande salle du château de Germolles dite « salle des Moutons »,
qui furent restaurés un demi-siècle plus tard, moyennant six francs,
par Salomon de Morbeyque, « ymaigeur demorant à Chalon3 ».
Représentons-nous le spectacle que l’atelier offrait pendant ces
jours de grand travail, avec les ébauches accumulées un peu partout,
le maître dans son « ouvroir », les ouvriers dans leurs loges. Les
matériaux employés étaient de deux sortes : c’étaient des pierres
blanches tirées des carrières de Bourgogne, d’Asnières et de Tonnerre,
ou bien de l’albâtre et du marbre. Les blocs, extraits de la « per-
rière » et préalablement dégrossis, étaient conduits à Dijon sur de
gros chars, traînés chacun par cinq ou six chevaux, et déchargés
dans la cour de l’hôtel. La pierre de Tonnerre, qui ne pouvait être
utilisée qu’au bout d’un an, y demeurait; mais la pierre d’Asnières,
facilement exposée à la « pourreture et gelée », était immédiatement
placée sur des civières et introduite dans les ateliers. Bien d’autres
précautions étaient prises pour l’albâtre et le marbre. Le maître-
imagier allait lui-même les acheter au loin : l’albâtre à Paris, chez
les marchands genevois, le marbre en Flandre, à Dinant ou à Liège4.
Au lieu de les laisser dans la cour, on les mettait aussitôt à l’abri;
on les couvrait avec de la toile afin de les préserver des mouches,
puis vite on les sciait dans les dimensions voulues, et chaque mor-
1. Dehaisnes, op.ciL, t. III, p. 324; — Monget, La Chartreuse de Dijon, t.I,p. 2G1.
2. D’Arbaumont, La Sainte-Chapelle cle Dijon (Mémoires de la Commission des
Antiquités de la Côte-d’Or, t. VI, p. 75). Cette statue, haute de 2m,G0, en pierre
d'Asnières, a disparu à la Révolution.
3. Arch. dép. Côte-d'Or, B 4807. — Nous ne parlons pas du tombeau de
Philippe le Hardi, parce que, contrairement à l’opinion reçue, la participation de
Sluter à cette entreprise fut presque insignifiante; il se borna à rassembler quel-
ques gros matériaux et à exécuter deux pleurants. La Vierge du portail de l’église
de la Chartreuse lui est également contestée (Dehaisnes, op. cit., t. III, p, 516;
Monget, op. cit., t. I, p. 119; Courajod, Leçons, t. II, p. 357.).
4. Plus tard, les ducs tirèrent l’albâtre de leurs carrières de Foncines et de
Saint-Lothain, en Franche-Comté.
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juger des résultats, il ne faut pas considérer seulement les parties
de son œuvre encore debout, les portraits du duc et de la duchesse,
les six prophètes qui restent sa conception personnelle, splendide
et glorieuse, mais celles qui ont disparu et dont la perte est infini-
ment regrettable : l’image de Dieu et la statue de saint Georges pour
l’église des Chartreux, l’image de Notre-Dame au château de Ger-
molles1. Peut-être convient-il de lui attribuer également la statue
de saint Jean l’Évangéliste qui décorait le pignon de la chapelle
ducale 2, et deux autres portraits dit duc et de la duchesse placés dans
la grande salle du château de Germolles dite « salle des Moutons »,
qui furent restaurés un demi-siècle plus tard, moyennant six francs,
par Salomon de Morbeyque, « ymaigeur demorant à Chalon3 ».
Représentons-nous le spectacle que l’atelier offrait pendant ces
jours de grand travail, avec les ébauches accumulées un peu partout,
le maître dans son « ouvroir », les ouvriers dans leurs loges. Les
matériaux employés étaient de deux sortes : c’étaient des pierres
blanches tirées des carrières de Bourgogne, d’Asnières et de Tonnerre,
ou bien de l’albâtre et du marbre. Les blocs, extraits de la « per-
rière » et préalablement dégrossis, étaient conduits à Dijon sur de
gros chars, traînés chacun par cinq ou six chevaux, et déchargés
dans la cour de l’hôtel. La pierre de Tonnerre, qui ne pouvait être
utilisée qu’au bout d’un an, y demeurait; mais la pierre d’Asnières,
facilement exposée à la « pourreture et gelée », était immédiatement
placée sur des civières et introduite dans les ateliers. Bien d’autres
précautions étaient prises pour l’albâtre et le marbre. Le maître-
imagier allait lui-même les acheter au loin : l’albâtre à Paris, chez
les marchands genevois, le marbre en Flandre, à Dinant ou à Liège4.
Au lieu de les laisser dans la cour, on les mettait aussitôt à l’abri;
on les couvrait avec de la toile afin de les préserver des mouches,
puis vite on les sciait dans les dimensions voulues, et chaque mor-
1. Dehaisnes, op.ciL, t. III, p. 324; — Monget, La Chartreuse de Dijon, t.I,p. 2G1.
2. D’Arbaumont, La Sainte-Chapelle cle Dijon (Mémoires de la Commission des
Antiquités de la Côte-d’Or, t. VI, p. 75). Cette statue, haute de 2m,G0, en pierre
d'Asnières, a disparu à la Révolution.
3. Arch. dép. Côte-d'Or, B 4807. — Nous ne parlons pas du tombeau de
Philippe le Hardi, parce que, contrairement à l’opinion reçue, la participation de
Sluter à cette entreprise fut presque insignifiante; il se borna à rassembler quel-
ques gros matériaux et à exécuter deux pleurants. La Vierge du portail de l’église
de la Chartreuse lui est également contestée (Dehaisnes, op. cit., t. III, p, 516;
Monget, op. cit., t. I, p. 119; Courajod, Leçons, t. II, p. 357.).
4. Plus tard, les ducs tirèrent l’albâtre de leurs carrières de Foncines et de
Saint-Lothain, en Franche-Comté.