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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ces deux dernières compositions, qui sont des chefs-d’œuvre, on
reconnaît les mêmes personnages que sur la miniature initiale de
notre manuscrit : Philippe le Bon, Charles le Téméraire, le chan-
celier Rolin, et celui que nous avons appelé (sous réserves) l’évêque
Jean Ghevrot. Ils sont plus jeunes d’une dizaine d'années. Or, nous
connaissons presque exactement la date des Histoires de Hainaut,
dont le prologue est de 1446. Si la miniature initiale est de 1447,
Philippe le Bon a cinquante-un ans, son fils en a quatorze, Rolin
soixante-douze. Le frontispice de Gérard de Roussillon, à Vienne, est
probablement de la même année1, car les personnages, quoique dans
des attitudes différentes, sont identiques.
Guillaume Fillastre était, depuis 1440 environ, l’obligé et le pro-
tégé du duc de Bourgogne, qui l’avait employé dans nombre d’affaires
confidentielles et ne cessa de lui témoigner son bon vouloir. De 1441
à 1451, Fillastre dut soutenir une lutte acharnée contre les moines de
l’abbaye de Saint-Berlin, qui, malgré les bulles pontificales et l’inter-
vention directe de Philippe le Bon, refusaient de reconnaître son
autorité et lui avaient même suscité un concurrent2. Enfin, les choses
s’arrangèrent; P « anti-abbé », Jean de Medon, reçut une pension
de Fillastre, et l’évêque de Toul put ajouter à ses revenus, déjà consi-
dérables, ceux d’une des plus riches abbayes de la Flandre. Presque
aussitôt, comme s’il avait voulu légitimer ce qui devait sembler à
d’aucuns une usurpation, Fillastre s’appliqua avec ardeur à orner et
à embellir son domaine. Parmi les œuvres d’art qu’il fit exécuter à
cette époque, la plus célèbre est le retable de Saint-Ber tin, grand
travail d’orfèvrerie orné de peintures qui subsistait encore au début
de la Révolution3. Dom Martène et Dom Durand rapportent, en 1717,
que Rubens offrit d’en couvrir les volets de louis d’or, si on lui per-
mettait de les emporter. Toute la partie d’orfèvrerie paraît avoir été
détruite vers 1792 ; mais les deux volets, ornés de dix peintures, sont
conservés au château de Wied, en Hollande, et deux petits panneaux,
provenant du même ensemble, ont été acquis à Paris, en 1861, par
la Galerie Nationale de Londres.
Le sujet des petits tableaux est la vie de saint Bertin. On voit,
1. La traduction du Gérard de Roussillon fut achevée en 1447; le frontispice
peut avoir été peint aussitôt après ou en même temps.
2. Voir l’abbé Bled, Les Chartes de Saint-Berlin, Saint-Omer, 1892, t. III, 3e fas-
cicule.
3. Ms'1'Dehaisnes a réuni tous les renseignements qui concernent cet ouvrage
dans son savant travail : Recherches sur le retable de Saint-Bertin et sur Simon
Marmion, Lille, 1892.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ces deux dernières compositions, qui sont des chefs-d’œuvre, on
reconnaît les mêmes personnages que sur la miniature initiale de
notre manuscrit : Philippe le Bon, Charles le Téméraire, le chan-
celier Rolin, et celui que nous avons appelé (sous réserves) l’évêque
Jean Ghevrot. Ils sont plus jeunes d’une dizaine d'années. Or, nous
connaissons presque exactement la date des Histoires de Hainaut,
dont le prologue est de 1446. Si la miniature initiale est de 1447,
Philippe le Bon a cinquante-un ans, son fils en a quatorze, Rolin
soixante-douze. Le frontispice de Gérard de Roussillon, à Vienne, est
probablement de la même année1, car les personnages, quoique dans
des attitudes différentes, sont identiques.
Guillaume Fillastre était, depuis 1440 environ, l’obligé et le pro-
tégé du duc de Bourgogne, qui l’avait employé dans nombre d’affaires
confidentielles et ne cessa de lui témoigner son bon vouloir. De 1441
à 1451, Fillastre dut soutenir une lutte acharnée contre les moines de
l’abbaye de Saint-Berlin, qui, malgré les bulles pontificales et l’inter-
vention directe de Philippe le Bon, refusaient de reconnaître son
autorité et lui avaient même suscité un concurrent2. Enfin, les choses
s’arrangèrent; P « anti-abbé », Jean de Medon, reçut une pension
de Fillastre, et l’évêque de Toul put ajouter à ses revenus, déjà consi-
dérables, ceux d’une des plus riches abbayes de la Flandre. Presque
aussitôt, comme s’il avait voulu légitimer ce qui devait sembler à
d’aucuns une usurpation, Fillastre s’appliqua avec ardeur à orner et
à embellir son domaine. Parmi les œuvres d’art qu’il fit exécuter à
cette époque, la plus célèbre est le retable de Saint-Ber tin, grand
travail d’orfèvrerie orné de peintures qui subsistait encore au début
de la Révolution3. Dom Martène et Dom Durand rapportent, en 1717,
que Rubens offrit d’en couvrir les volets de louis d’or, si on lui per-
mettait de les emporter. Toute la partie d’orfèvrerie paraît avoir été
détruite vers 1792 ; mais les deux volets, ornés de dix peintures, sont
conservés au château de Wied, en Hollande, et deux petits panneaux,
provenant du même ensemble, ont été acquis à Paris, en 1861, par
la Galerie Nationale de Londres.
Le sujet des petits tableaux est la vie de saint Bertin. On voit,
1. La traduction du Gérard de Roussillon fut achevée en 1447; le frontispice
peut avoir été peint aussitôt après ou en même temps.
2. Voir l’abbé Bled, Les Chartes de Saint-Berlin, Saint-Omer, 1892, t. III, 3e fas-
cicule.
3. Ms'1'Dehaisnes a réuni tous les renseignements qui concernent cet ouvrage
dans son savant travail : Recherches sur le retable de Saint-Bertin et sur Simon
Marmion, Lille, 1892.