DU Ier AU XX'
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beaux: livres réunissent aujourd’hui des œuvres de choix. M. Frantz
Jourdain et M. Henry Bataille me l’avaient, avec Roger Marx, révélé
déjà par des pages suggestives. Mais le visage explique toujours
l’œuvre. 11 y a de la robustesse et de la finesse dans cet homme
jeune et pensif. L’œil voit très loin, pénètre, enveloppe. On sent là
une volonté souveraine. Et l’artiste parle — ou écrit — de son art
avec une précision éloquente. Ses mots sont à l’eau-forte aussi.
Il expliquera, par exemple, avec une netteté singulière, comment
ses planches, si vigoureuses, sont tout d’abord des croquis jetés avec
le seul souci de la mise en place, de la silhouette amusante, au trait
autant que possible, expressif en lui seul et dans le caractère du
sujet. Ses notations sont rapides : le croquis fait sur nature, à l’eau-
forte, au lieu du croquis en dessin. Et quelle horreur du métier ou
plutôt des imbéciles de métier! Quelle ambition — vaillamment
atteinte — de rester peintre-graveur, tel Félix Buhot, au lieu de
devenir le spécialiste, l’aqua-fortiste!
— Mais quel est votre idéal? (Un mot dont on a abusé, un drapeau
dont on a fait un chiffon). Quel est votre but? Que voulez-vous faire?
— Ce qu’il faudrait faire? répond l’énamouré de Paris. Ce qu’il
faudrait faire? (Ce qu’il veut faire). Un Paris qui soit avant tout
Paris, et aussi complet que possible dans chacune des planches.
Plusieurs côtés du caractère propre à l’endroit choisi rendu aussi
visible que possible dans chaque eau-forte. Un Paris où l’on
sente qu’on ne s’est point borné à ce quelque chose de sommaire
qu’on a dans la main, qu’on sait par cœur, à l’art d’escamoter les
difficultés et de s’arrêter à temps, un Paris qui ne soit point —
passez-moi le mot — de Yartistisme trop facile vraiment. Un Paris
dont on n’ait pas amplifié systématiquement le pittoresque en
oubliant ainsi de voir d’autres choses de qualité plus rare, plus
intime, plus lithopsychologique, dirais-je, si j’osais dire. Un Paris
où serait rendue la physionomie spéciale de chacun des quartiers,
l’atmosphère particulière à chaque coin, les figures —- bêtes et gens
— qui ne sont pas les mêmes partout, et dont les gestes, les goûts,
la démarche, l’allure, alors qu’ils semblent identiques, varient au
contraire sous l’influence d’autres ambiances. Un Paris dont serait
rendu le côté solide, l’architecture du monument sans froideur, mais
en toute vérité. Un Paris documentaire sans fantaisie, j’entends sans
la fantaisie qui n’y est pas, mais avec toute la fantaisie qui s’y
trouve — et c’est assez. Un Paris de notre époque enfin, souvenir
d’hier et vision de demain, ce qu’il a été et ce qu’il va être, vieux
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XXIX. — 3” PÉRIODE.
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beaux: livres réunissent aujourd’hui des œuvres de choix. M. Frantz
Jourdain et M. Henry Bataille me l’avaient, avec Roger Marx, révélé
déjà par des pages suggestives. Mais le visage explique toujours
l’œuvre. 11 y a de la robustesse et de la finesse dans cet homme
jeune et pensif. L’œil voit très loin, pénètre, enveloppe. On sent là
une volonté souveraine. Et l’artiste parle — ou écrit — de son art
avec une précision éloquente. Ses mots sont à l’eau-forte aussi.
Il expliquera, par exemple, avec une netteté singulière, comment
ses planches, si vigoureuses, sont tout d’abord des croquis jetés avec
le seul souci de la mise en place, de la silhouette amusante, au trait
autant que possible, expressif en lui seul et dans le caractère du
sujet. Ses notations sont rapides : le croquis fait sur nature, à l’eau-
forte, au lieu du croquis en dessin. Et quelle horreur du métier ou
plutôt des imbéciles de métier! Quelle ambition — vaillamment
atteinte — de rester peintre-graveur, tel Félix Buhot, au lieu de
devenir le spécialiste, l’aqua-fortiste!
— Mais quel est votre idéal? (Un mot dont on a abusé, un drapeau
dont on a fait un chiffon). Quel est votre but? Que voulez-vous faire?
— Ce qu’il faudrait faire? répond l’énamouré de Paris. Ce qu’il
faudrait faire? (Ce qu’il veut faire). Un Paris qui soit avant tout
Paris, et aussi complet que possible dans chacune des planches.
Plusieurs côtés du caractère propre à l’endroit choisi rendu aussi
visible que possible dans chaque eau-forte. Un Paris où l’on
sente qu’on ne s’est point borné à ce quelque chose de sommaire
qu’on a dans la main, qu’on sait par cœur, à l’art d’escamoter les
difficultés et de s’arrêter à temps, un Paris qui ne soit point —
passez-moi le mot — de Yartistisme trop facile vraiment. Un Paris
dont on n’ait pas amplifié systématiquement le pittoresque en
oubliant ainsi de voir d’autres choses de qualité plus rare, plus
intime, plus lithopsychologique, dirais-je, si j’osais dire. Un Paris
où serait rendue la physionomie spéciale de chacun des quartiers,
l’atmosphère particulière à chaque coin, les figures —- bêtes et gens
— qui ne sont pas les mêmes partout, et dont les gestes, les goûts,
la démarche, l’allure, alors qu’ils semblent identiques, varient au
contraire sous l’influence d’autres ambiances. Un Paris dont serait
rendu le côté solide, l’architecture du monument sans froideur, mais
en toute vérité. Un Paris documentaire sans fantaisie, j’entends sans
la fantaisie qui n’y est pas, mais avec toute la fantaisie qui s’y
trouve — et c’est assez. Un Paris de notre époque enfin, souvenir
d’hier et vision de demain, ce qu’il a été et ce qu’il va être, vieux
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XXIX. — 3” PÉRIODE.