GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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pire sans limites de la Majesté dont il était le prisonnier. La mer,
avec sa musique d’orgue aux innombrables jeux et les formes iluides
•et changeantes de ses vagues, devint le thème ordinaire des poèmes et
des dessins.
Tout en écrivant son épopée en prose des Travailleurs de la
Mer, Victor Hugo la dessina. Dans le manuscrit original, qui est à la
Bibliothèque Nationale, des feuillets tachés de lavis bizarres sont
collés en regard des pages sillonnées par les lignes espacées de la
grosse écriture. Le livre est tout entier dans ces dessins, avec le
vieux Guernesey et les feux de ses maisons de pêcheurs, à l’abri de
grosses tours noires, avec Mess Lethierry et sa barbe de triton, avec
Déruchette et son ombrelle de demoiselle de la ville, avec les
bouches énormes et béantes des envieux qui regardent le bateau-
diable, avec les flots de fumée noire que la Durande vomit en battant
les vagues de ses larges aubes, avec les Roches-Douvres, épou-
vantail apparu dans la brume. Quelques notes écrites au bas des
dessins attestent que souvent l’image avait précédé la page1. Pour
le poète, l’une était inséparable de l’autre. Il avait formé le projet
de les réunir dans la publication, et d’être l’illustrateur de son texte2.
Lui-même avait préparé pour les Travailleurs de la Mer un frontispice
qui porte le titre et le nom de l’auteur en grandes lettres rouges
au milieu des rochers et des vagues. Ce projet d’illustration ne fut
réalisé que peu d’années avant la mort du poète. En 1882, pour le
quatre-vingtième anniversaire de Victor Hugo, M. Meurice composa
avec les dessins du poète, gravés par Méaulle, un album complet
des Travailleurs de la Mer, qui fut tiré à petit nombre et distribué
à des amis.
Pendant qu’il lançait sur le papier ces dessins, comme emportés
par l’ivresse de l’air marin et le tournoiement des flots, Victor
Hugo n’oubliait pas les burgs qu’il avait été revoir, en 1861, dans un
second voyage aux bords du Rhin. 11 imagina de réunir dans un
même dessin la puissance tumultueuse de la mer et la grandeur
des architectures anciennes; au milieu des flots, son imagination
bâtit des tours marines du passé. En trois grands dessins, il se
donna l’image des phares des Casquets et d’Eddystone, tels qu’ils
1. Au bas du dessin qui représente la «Durande » prise dans les mâchoires
des Roches-Douvres (p. 212-187), Victor Hugo écrit : « Quand j'ai fait ce dessin,
je n’avais pas encore pris le parti de faire arracher les mâts de la Durande par
la tempête. V. H. »
2. Voir notamment la note de la page 223-197 du manuscrit.
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pire sans limites de la Majesté dont il était le prisonnier. La mer,
avec sa musique d’orgue aux innombrables jeux et les formes iluides
•et changeantes de ses vagues, devint le thème ordinaire des poèmes et
des dessins.
Tout en écrivant son épopée en prose des Travailleurs de la
Mer, Victor Hugo la dessina. Dans le manuscrit original, qui est à la
Bibliothèque Nationale, des feuillets tachés de lavis bizarres sont
collés en regard des pages sillonnées par les lignes espacées de la
grosse écriture. Le livre est tout entier dans ces dessins, avec le
vieux Guernesey et les feux de ses maisons de pêcheurs, à l’abri de
grosses tours noires, avec Mess Lethierry et sa barbe de triton, avec
Déruchette et son ombrelle de demoiselle de la ville, avec les
bouches énormes et béantes des envieux qui regardent le bateau-
diable, avec les flots de fumée noire que la Durande vomit en battant
les vagues de ses larges aubes, avec les Roches-Douvres, épou-
vantail apparu dans la brume. Quelques notes écrites au bas des
dessins attestent que souvent l’image avait précédé la page1. Pour
le poète, l’une était inséparable de l’autre. Il avait formé le projet
de les réunir dans la publication, et d’être l’illustrateur de son texte2.
Lui-même avait préparé pour les Travailleurs de la Mer un frontispice
qui porte le titre et le nom de l’auteur en grandes lettres rouges
au milieu des rochers et des vagues. Ce projet d’illustration ne fut
réalisé que peu d’années avant la mort du poète. En 1882, pour le
quatre-vingtième anniversaire de Victor Hugo, M. Meurice composa
avec les dessins du poète, gravés par Méaulle, un album complet
des Travailleurs de la Mer, qui fut tiré à petit nombre et distribué
à des amis.
Pendant qu’il lançait sur le papier ces dessins, comme emportés
par l’ivresse de l’air marin et le tournoiement des flots, Victor
Hugo n’oubliait pas les burgs qu’il avait été revoir, en 1861, dans un
second voyage aux bords du Rhin. 11 imagina de réunir dans un
même dessin la puissance tumultueuse de la mer et la grandeur
des architectures anciennes; au milieu des flots, son imagination
bâtit des tours marines du passé. En trois grands dessins, il se
donna l’image des phares des Casquets et d’Eddystone, tels qu’ils
1. Au bas du dessin qui représente la «Durande » prise dans les mâchoires
des Roches-Douvres (p. 212-187), Victor Hugo écrit : « Quand j'ai fait ce dessin,
je n’avais pas encore pris le parti de faire arracher les mâts de la Durande par
la tempête. V. H. »
2. Voir notamment la note de la page 223-197 du manuscrit.