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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
prendre le prix pour l'illustration de notre épopée nationale. Je
veux du moins rappeler ici le souvenir de ce noble esprit auquel
nous devons, entre tant de belles œuvres, {'Histoire poétique de
Charlemagne et dont le nom reste étroitement associé à ceux des
héros de la légende carolingienne :
C’est le grand deuil de la mort de Roland !
Charlemagne va quitter l’Espagne; il demande des gages de sou-
mission aux deux rois sarrasins, Marsile et son frère Baligant.
Ceux-ci corrompent par des cadeaux l’envoyé de l’empereur, Gane-
lon, qui revient au camp et présente à Charlemagne les chevaux
chargés d’or, d’argent et de vin que lui offrent les deux rois, en
apparence pour lui rendre hommage, en réalité pour endormir sa
vigilance. Charlemagne est représenté en bas du tableau, avec sa
longue barbe fleurie; à sa gauche est un conseiller, auquel l’artiste,
par une délicate flatterie, a donné les traits du chancelier Rolin, le
vieux conseiller du duc de Bourgogne. Ganelon a bien « le physique
de l’emploi », une tête de traître; il ressemble au Chilpéric de la
grande miniature décrite plus haut et paraît bien avoir été dessiné
d’après nature —- on voudrait savoir d’après quel original !
L’armée de Charlemagne s’engage dans le passage qui va de Pam-
pelune à Saint-Jean-Pied-de-Port; l’empereur, sur le conseil de Gane-
lon, place Roland et Olivier sur ses derrières. A peine Charlemagne
s’est-il éloigné que les Sarrasins fondent en masse sur l’arrière-
garde : ce fut la bataille de Roncevaux. Roland voit tomber presque
tous ses compagnons, mais il réussit à tuer le roi Marsile; ce duel
est figuré au second plan, où il faut sans doute reconnaître Roland
dans le chevalier vu de dos, monté sur un cheval blanc, qui brandit
son épée. Epuisé par la fatigue et blessé lui-même, Roland s’assied
et sonne du cor pour appeler au secours; Charlemagne l’entend,
mais Ganelon le détourne de revenir sur ses pas. Alors le héros
s’étend au pied d’un arbre et meurt (au troisième plan). « Si l’em-
portèrent les anges en perdurable repos où son âme est en joie sans
fin, pour la dignité de ses mérites, en la compagnie des glorieux
martyrs » (en haut à droite). Cependant Turpin, archevêque de
Reims, célébrait la messe (en bas à droite). Tout à coup, il eut une
vision : il aperçut une troupe de chiens tout noirs qui hurlaient
en portant une proie. « Je leur demandai ce qu’ils portaient et ils me
répondirent à brefs mots : Nous portons Marsile et ses compagnons
en enfer et Michel porte votre sonneur de cor. » Dès que Turpin
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
prendre le prix pour l'illustration de notre épopée nationale. Je
veux du moins rappeler ici le souvenir de ce noble esprit auquel
nous devons, entre tant de belles œuvres, {'Histoire poétique de
Charlemagne et dont le nom reste étroitement associé à ceux des
héros de la légende carolingienne :
C’est le grand deuil de la mort de Roland !
Charlemagne va quitter l’Espagne; il demande des gages de sou-
mission aux deux rois sarrasins, Marsile et son frère Baligant.
Ceux-ci corrompent par des cadeaux l’envoyé de l’empereur, Gane-
lon, qui revient au camp et présente à Charlemagne les chevaux
chargés d’or, d’argent et de vin que lui offrent les deux rois, en
apparence pour lui rendre hommage, en réalité pour endormir sa
vigilance. Charlemagne est représenté en bas du tableau, avec sa
longue barbe fleurie; à sa gauche est un conseiller, auquel l’artiste,
par une délicate flatterie, a donné les traits du chancelier Rolin, le
vieux conseiller du duc de Bourgogne. Ganelon a bien « le physique
de l’emploi », une tête de traître; il ressemble au Chilpéric de la
grande miniature décrite plus haut et paraît bien avoir été dessiné
d’après nature —- on voudrait savoir d’après quel original !
L’armée de Charlemagne s’engage dans le passage qui va de Pam-
pelune à Saint-Jean-Pied-de-Port; l’empereur, sur le conseil de Gane-
lon, place Roland et Olivier sur ses derrières. A peine Charlemagne
s’est-il éloigné que les Sarrasins fondent en masse sur l’arrière-
garde : ce fut la bataille de Roncevaux. Roland voit tomber presque
tous ses compagnons, mais il réussit à tuer le roi Marsile; ce duel
est figuré au second plan, où il faut sans doute reconnaître Roland
dans le chevalier vu de dos, monté sur un cheval blanc, qui brandit
son épée. Epuisé par la fatigue et blessé lui-même, Roland s’assied
et sonne du cor pour appeler au secours; Charlemagne l’entend,
mais Ganelon le détourne de revenir sur ses pas. Alors le héros
s’étend au pied d’un arbre et meurt (au troisième plan). « Si l’em-
portèrent les anges en perdurable repos où son âme est en joie sans
fin, pour la dignité de ses mérites, en la compagnie des glorieux
martyrs » (en haut à droite). Cependant Turpin, archevêque de
Reims, célébrait la messe (en bas à droite). Tout à coup, il eut une
vision : il aperçut une troupe de chiens tout noirs qui hurlaient
en portant une proie. « Je leur demandai ce qu’ils portaient et ils me
répondirent à brefs mots : Nous portons Marsile et ses compagnons
en enfer et Michel porte votre sonneur de cor. » Dès que Turpin