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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 30.1903

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Nr. 1
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Toudouze, Georges Gustave: Tradition française et Musées d'art antique
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https://doi.org/10.11588/diglit.24812#0092
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80

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

Quand il s’agit d’un musée d’art antique, le mal est particulière-
ment profond; la foule passe, regarde, parcourt et ne retient rien...
parce qu’on ne lui fait rien retenir. De rares écrivains, passionné-
ment aptes aux sensations profondes, ont pu ressusciter en eux-mêmes
l’âme de l’antiquité ; l'acuité surhumaine du génie évocateur de Flau-
bert ou de Michelet a fouillé celte âme disparate de la nôtre aussi
vigoureusement que l’eau-forte mord le cuivre du graveur, et fixé
aussitôt cette vision magnifique en des pages éclatantes. Mais cel
effort démesuré, en dehors de ceux-là combien en sont capables? Et
n’est-ce pas folie de laisser la foule qui vient loyalement s’instruire
dans les musées s’arrêter inquiète au bord de cet abîme que seuls
de pareils hommes ont eu le pouvoir de franchir?

Or, non seulement l’art antique ne répond pas aux conceptions
de la foule, mais généralement il les rebute. Cet état de mutilation,
souvent extrême, dans lequel parviennent jusqu’à nous les œuvres
de la Grèce ou de Rome constitue un très grand obstacle à la com-
préhension prompte et complète. Le visiteur ordinaire ne parvient
pas à se faire à l’absence partielle de la réalité tangible; il en souffre,
il ne peut exécuter de lui-même la restitution nécessaire, il se fa-
tigue et quelquefois s’irrite de cette contrainte. Alors il s’écrie avec
découragement, comme le comte d’Ideville sur le plateau de l’Acro-
pole d’Athènes : « Je suis lassé de m’entendre dire ici qu’il faut
admirer de confiance ! Malgré toute ma bonne volonté, je ne puis arri-
ver à m’enivrer d’enthousiasme devant un tronçon de Minerve ou les
débris mutilés d’un jeune dieu! » Ce ne sont certes pas les « débris
mutilés » qui manquent dans les musées d’art antique, et leur as-
pect inexpliqué, sans commentaires, épouvante bien des visiteurs à
la foi circonspecte, à l’admiration hésitante. D’une part, on leur a in-
spiré dogmatiquement un respect quasi superstitieux de l’antique, et
d’autre part, les œuvres, au premier abord, répondent, pour certaines
au moins, si peu à l’idée enseignée, que beaucoup de visiteurs, pas-
sant d’un extrême à l’autre, en viennent à murmurer l’épithète de
« tas de pierres », comme tel personnage de Paul Bourget au sortir
du palais du prince Fregoli.

C’est à atténuer, à supprimer si possible cette impression de gêne
et aussi — soyons francs avec nous-mêmes — cette sensation de froi-
deur austère, magnifique, grandiose même, mais réelle, toujours
enveloppant les manifestations de l’àme artistique ancienne, qu’il
faut travailler. Car ce sont des impressions, des sensations souvent
superficielles, mais toujours dangereuses qui empêchent l’homme
 
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