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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
pensée devint aux yeux du maître noble et mystérieuse comme une
demeure historique. Il avait fait des croquis de ses meubles, avant
de les exécuter; la salle de billard, à Hauteville Ilouse, conserve
encore, encadré par Victor Hugo, un projet de fontaine, esquissé à
la mine de plomb, et qui a été réalisé dans le jardin voisin. L’ou-
vrage terminé, le décor placé, Victor Hugo se remit parfois à le
dessiner, comme s’il le découvrait dans un château lointain. Avec
un frottis d’encre, il enveloppa d’ombre les Chinois du salon rouge
à la cheminée de la salle à manger; il tordit les plantes grimpantes
des ruines le long de l'II de faïence et jusqu’au pied de la Vierge.
Une petite salière italienne du xvie siècle, à laquelle Victor Hugo atta-
chait un grand prix et qu’il avait scellée dans la salle à manger sur
un dé de faïence, fut agrandie dans un dessin que M. Meurice a
conservé pour ses enfants. Avec sa vasque portée par des torses de
femmes, le bibelot précieux est devenu une fontaine élevée sur des
eaux endormies, où se reflète une assemblée d’arbres fantômes.
IV
L’art ancien ou exotique dont les morceaux remplissent la
maison de Guernesey avait subi les goûts et les caprices du maître;
il avait pris des formes inattendues et parlé le langage des temps
nouveaux. La personnalité du poète s’était manifestée impérieuse-
ment dans la mise en œuvre de ses collections bariolées; les choix
et les tendances de l’artiste se donnèrent carrière plus librement
encore, et avec plus de force, lorsque Victor Hugo essaya de décorer
du bois neuf, comme il dessinait sur du papier blanc.
Les volets qui ferment à l’intérieur les fenêtres de la galerie de
chêne contrastent vivement avec les formes et les couleurs des
meubles et des tapisseries qui donnent à la salle une richesse pom-
peuse et ancienne. Plus de bois aux reliefs durs, polis et patinés
comme un bronze : des gravures au couteau, des teintes plates et
vives, étalées avec des couleurs de peintre en bâtiment. Les motifs
qui se répètent sur les panneaux sont aussi simples que le coloris;
c’est à peine si quelques figures inscrites dans des cercles reprodui-
sent des tracés du gothique flamboyant; la flore est droite, symé-
trique, lotiforme. Le décor des volets gravés et enluminés par Victor
Hugo et par son fils Charles a l’air tout à la fois primitif et oriental.
Ce décor n’est pas une invention du maître : tous ses éléments se
retrouvent sur ces panneaux de vieux chêne qui composent, dans le
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
pensée devint aux yeux du maître noble et mystérieuse comme une
demeure historique. Il avait fait des croquis de ses meubles, avant
de les exécuter; la salle de billard, à Hauteville Ilouse, conserve
encore, encadré par Victor Hugo, un projet de fontaine, esquissé à
la mine de plomb, et qui a été réalisé dans le jardin voisin. L’ou-
vrage terminé, le décor placé, Victor Hugo se remit parfois à le
dessiner, comme s’il le découvrait dans un château lointain. Avec
un frottis d’encre, il enveloppa d’ombre les Chinois du salon rouge
à la cheminée de la salle à manger; il tordit les plantes grimpantes
des ruines le long de l'II de faïence et jusqu’au pied de la Vierge.
Une petite salière italienne du xvie siècle, à laquelle Victor Hugo atta-
chait un grand prix et qu’il avait scellée dans la salle à manger sur
un dé de faïence, fut agrandie dans un dessin que M. Meurice a
conservé pour ses enfants. Avec sa vasque portée par des torses de
femmes, le bibelot précieux est devenu une fontaine élevée sur des
eaux endormies, où se reflète une assemblée d’arbres fantômes.
IV
L’art ancien ou exotique dont les morceaux remplissent la
maison de Guernesey avait subi les goûts et les caprices du maître;
il avait pris des formes inattendues et parlé le langage des temps
nouveaux. La personnalité du poète s’était manifestée impérieuse-
ment dans la mise en œuvre de ses collections bariolées; les choix
et les tendances de l’artiste se donnèrent carrière plus librement
encore, et avec plus de force, lorsque Victor Hugo essaya de décorer
du bois neuf, comme il dessinait sur du papier blanc.
Les volets qui ferment à l’intérieur les fenêtres de la galerie de
chêne contrastent vivement avec les formes et les couleurs des
meubles et des tapisseries qui donnent à la salle une richesse pom-
peuse et ancienne. Plus de bois aux reliefs durs, polis et patinés
comme un bronze : des gravures au couteau, des teintes plates et
vives, étalées avec des couleurs de peintre en bâtiment. Les motifs
qui se répètent sur les panneaux sont aussi simples que le coloris;
c’est à peine si quelques figures inscrites dans des cercles reprodui-
sent des tracés du gothique flamboyant; la flore est droite, symé-
trique, lotiforme. Le décor des volets gravés et enluminés par Victor
Hugo et par son fils Charles a l’air tout à la fois primitif et oriental.
Ce décor n’est pas une invention du maître : tous ses éléments se
retrouvent sur ces panneaux de vieux chêne qui composent, dans le