Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 35.1906)

11 °2

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

Notre époque ne souffre guère l’inconnu ; il semble que nous ne
pouvons pas nous laisser aller au bonheur que nous donnent les
belles œuvres, si nous ne savons pas les classer et si nous n’en
connaissons pas les auteurs : sous tous les tableaux, il nous faut
un nom. Nous ne pouvons pas nous habituer à l’œuvre collective, à
l’œuvre qui est anonyme et qui doit rester anonyme. La Renais-
sance a été une explosion de cet individualisme dont est fait en
partie l’esprit moderne, et pourtant ses œuvres continuent souvent
à être collectives. Ouel est l’auteur de notre vitrail? Est-ce notre
peintre flamand? N’est-ce pas plutôt Titien, Albert Durer? Ne
doit-on pas, au contraire, y inscrire le nom de ces verriers français,
qui savaient voir la lumière comme Titien savait la peindre? Et
pourtant, avant tous ces collaborateurs, ne devons-nous pas une
vraie reconnaissance à van Boghem, qui a tout conduit, ou bien
plutôt, par-dessus tous, à Madame Marguerite, à cet esprit ouvert à
toutes choses, qui ne craignait pas de se distraire un instant de la
politique, à ce moment capital où s’ébauchait notre Europe contem-
poraine, à cet esprit qui tenait à ce que tous les projets, tous les
plans, toutes les maquettes passassent sous ses yeux et qui, sans
doute, a dû imprimer son goût des belles œuvres à son église de
prédilection et à son tombeau?

VICTOR NODET