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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
de Saint Sébastien, en dépouillant tout artifice de ton, en se réduisant
presque au blanc et au noir et à arrondir dans le jour, égal, puissant
et comme tragique, les belles formes rigides de la femme du lévite.
11 était bien trop artiste pour ne pas être pris parle caractère
expressif de son sujet, il se gardait bien de s’enfermer dans une
brillante rhétorique de savantes académies. Toute la poésie de ses
nymphes et de ses naïades est dans la grâce, dans une sorte de joie
paisible de vivre. Ses sujets de souffrance ou de deuil ne sont pas,
non plus, que des prétextes pittoresques. Il est trop hautement
ému pour ne pas chercher à rendre leur pathétique et leur tragique.
On n’a qu’à considérer ses diverses figures de Christ. Jeté sur la
dalle de marbre, le corps allongé et raidi, la tête fixée dans la
suprême angoisse, il n’est pas un exemplaire de cette figure divine,
qui l’a constamment hanté, qu’il n’ait exprimé avec cette austère
grandeur réaliste. Mais tout cela est traduit en peintre, par la lier té
douloureuse de la ligne, par l’âpre beauté de cette anatomie cada-
vérique. C’est le peintre qui parle en lui, dans son émotion, comme
il parlait le jour où il se pressait de peindre sa belle-sœur ago-
nisante ou son frère mourant.
Ces figures de Christ ont leur origine lointaine dans le Christ en
croix de Mathias Grünewald à Colmar et surtout dans le Christ mort
de Holbein à Bâle. Ces terrifiantes images l’obsédèrent toute sa vie.
Il le connaît par cœur, ce Christ de Holbein. Il l’a étudié longuement
et savamment, en peintre. Sur un album qui remonte à J 869, date de
son voyage en Allemagne, peut-être en sortant d’une nouvelle visite
à Bâle, mais, semble-t-il, d’une écriture ultérieure et, suivant
son usage, en vue de se faire la leçon à propos de quelque tableau
en train, Henner en trace l’analyse suivante, mélangée de recom-
mandations : « Autant que possible faire des ombres transparentes
et douces au passage de la lumière. Eviter de faire des tons lourds.
Faire de beaux fonds, quelquefois bleu clair, soit rideau ou autre
chose; cela donne de la vie et de la gaîté. Holbein n’a peut-être
jamais fait un fond uniquement sombre, comme dans une cave. Ses
portraits de femmes sont toujours sur des fonds très animés. Son
Christ même a un fond vert clair et la draperie est finement éclairée
sans empâtements et sans lourdeurs, presque comme transparente.
Et surtout, pas de noir. Ea masse du blanc, même dans les ombres,
est plus claire que les chairs et le Christ est d’un effet très doux.
Le fond a l’air frotté dans l’huile et très uni et léger, et les chairs
aussi ne sont presque pas empâtées. Les os et les muscles sont
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
de Saint Sébastien, en dépouillant tout artifice de ton, en se réduisant
presque au blanc et au noir et à arrondir dans le jour, égal, puissant
et comme tragique, les belles formes rigides de la femme du lévite.
11 était bien trop artiste pour ne pas être pris parle caractère
expressif de son sujet, il se gardait bien de s’enfermer dans une
brillante rhétorique de savantes académies. Toute la poésie de ses
nymphes et de ses naïades est dans la grâce, dans une sorte de joie
paisible de vivre. Ses sujets de souffrance ou de deuil ne sont pas,
non plus, que des prétextes pittoresques. Il est trop hautement
ému pour ne pas chercher à rendre leur pathétique et leur tragique.
On n’a qu’à considérer ses diverses figures de Christ. Jeté sur la
dalle de marbre, le corps allongé et raidi, la tête fixée dans la
suprême angoisse, il n’est pas un exemplaire de cette figure divine,
qui l’a constamment hanté, qu’il n’ait exprimé avec cette austère
grandeur réaliste. Mais tout cela est traduit en peintre, par la lier té
douloureuse de la ligne, par l’âpre beauté de cette anatomie cada-
vérique. C’est le peintre qui parle en lui, dans son émotion, comme
il parlait le jour où il se pressait de peindre sa belle-sœur ago-
nisante ou son frère mourant.
Ces figures de Christ ont leur origine lointaine dans le Christ en
croix de Mathias Grünewald à Colmar et surtout dans le Christ mort
de Holbein à Bâle. Ces terrifiantes images l’obsédèrent toute sa vie.
Il le connaît par cœur, ce Christ de Holbein. Il l’a étudié longuement
et savamment, en peintre. Sur un album qui remonte à J 869, date de
son voyage en Allemagne, peut-être en sortant d’une nouvelle visite
à Bâle, mais, semble-t-il, d’une écriture ultérieure et, suivant
son usage, en vue de se faire la leçon à propos de quelque tableau
en train, Henner en trace l’analyse suivante, mélangée de recom-
mandations : « Autant que possible faire des ombres transparentes
et douces au passage de la lumière. Eviter de faire des tons lourds.
Faire de beaux fonds, quelquefois bleu clair, soit rideau ou autre
chose; cela donne de la vie et de la gaîté. Holbein n’a peut-être
jamais fait un fond uniquement sombre, comme dans une cave. Ses
portraits de femmes sont toujours sur des fonds très animés. Son
Christ même a un fond vert clair et la draperie est finement éclairée
sans empâtements et sans lourdeurs, presque comme transparente.
Et surtout, pas de noir. Ea masse du blanc, même dans les ombres,
est plus claire que les chairs et le Christ est d’un effet très doux.
Le fond a l’air frotté dans l’huile et très uni et léger, et les chairs
aussi ne sont presque pas empâtées. Les os et les muscles sont