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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Et alors, sans avoir encore mis les pieds dans un atelier de des-
sin, Raffaëlli dessine d’après les maîtres, courageusement. Il regarde,
il réfléchit; et, rentré chez lui, il considère longuement ses croquis
mal établis; il les retouche; il s’exerce enfin à peindre, toujours
sans leçon et presque sans loisirs. 11 ne sait pas trop ce qu’il fera;
il n’a que des aspirations pour un art quelconque. Ce qu’il a bien
en tête, pourtant, c’est qu'il sera, lui aussi, un artiste. La damnation
est accomplie.
Mais voici la bourrasque de la guerre. Il est sensible; il est ému.
Il s’engage volontairement, et il demande à faire partie des régi-
ments de marche. Puis il assiste au siège et à la Commune.
Entre temps, il n’a pas cessé de dessiner et de peindre. Déjà
même, au Salon de 1870, il a envoyé sa première œuvre, un tableau-
tin, un paysage très « poussé » intitulé : Au bord du bois. O
miracle ! l’œuvre est reçue !
Délesté du sac, il faut qu’il gagne sans tarder, de nouveau, sa
vie. Il y a une place vacante de seconde basse au Théâtre lyrique de
l’Athénée. If la prend, et il se remet de plus belle à dessiner et à
peindre; car il s’aperçoit maintenant qu’il a une intelligence trop
personnelle pour demeurer un chanteur, un comédien, c’est-à-dire
un interprète de la pensée des autres.
Il suit le train-train ordinaire, et il entre à l’atelier Gérôme, à
l’Ecole des Beaux-Arts. Mais il n’y reste que trois mois : il est
bien vite fatigué par la monotonie des études et des modèles qui,
toutes les semaines, reprennent à peu près identiquement la même
pose. Il a préparé pour le Salon de 1872 un lourd bagage : deux
peintures, deux dessins, deux sculptures. Quelle ambition !
Hélas! le tout est refusé; et il remonte tristement vers le haut
de Montmartre, où il habite pour l’instant. Mais il ne se décourage
pas. Il fait mieux : il descend se loger rue Notre-Dame-de-Lorette, et il
se marie. Le Salon de 1873 accepte de lui LAttaque sous bois (lisez
L’Attaque amoureuse), qui est une scène galante, à costumes, peinte
avec un soin extrême. C’est le moment où Meissonier et Fortuny
triomphent; le débutant Raffaëlli subit, naturellement, cette
influence toute-puissante. Il vend cette peinture une somme énorme :
cinq cents francs!
Alors il s’affole, il se croit un Crésus ; et, sans plus tarder, il
décide de partir, en compagnie de sa jeune femme, pour l’Italie.
Il vole de Milan à Turin, de Florence à Rome et de Naples à Sor-
rente. A ce jeu, les cinq cents francs roulent vite. Heureusement,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Et alors, sans avoir encore mis les pieds dans un atelier de des-
sin, Raffaëlli dessine d’après les maîtres, courageusement. Il regarde,
il réfléchit; et, rentré chez lui, il considère longuement ses croquis
mal établis; il les retouche; il s’exerce enfin à peindre, toujours
sans leçon et presque sans loisirs. 11 ne sait pas trop ce qu’il fera;
il n’a que des aspirations pour un art quelconque. Ce qu’il a bien
en tête, pourtant, c’est qu'il sera, lui aussi, un artiste. La damnation
est accomplie.
Mais voici la bourrasque de la guerre. Il est sensible; il est ému.
Il s’engage volontairement, et il demande à faire partie des régi-
ments de marche. Puis il assiste au siège et à la Commune.
Entre temps, il n’a pas cessé de dessiner et de peindre. Déjà
même, au Salon de 1870, il a envoyé sa première œuvre, un tableau-
tin, un paysage très « poussé » intitulé : Au bord du bois. O
miracle ! l’œuvre est reçue !
Délesté du sac, il faut qu’il gagne sans tarder, de nouveau, sa
vie. Il y a une place vacante de seconde basse au Théâtre lyrique de
l’Athénée. If la prend, et il se remet de plus belle à dessiner et à
peindre; car il s’aperçoit maintenant qu’il a une intelligence trop
personnelle pour demeurer un chanteur, un comédien, c’est-à-dire
un interprète de la pensée des autres.
Il suit le train-train ordinaire, et il entre à l’atelier Gérôme, à
l’Ecole des Beaux-Arts. Mais il n’y reste que trois mois : il est
bien vite fatigué par la monotonie des études et des modèles qui,
toutes les semaines, reprennent à peu près identiquement la même
pose. Il a préparé pour le Salon de 1872 un lourd bagage : deux
peintures, deux dessins, deux sculptures. Quelle ambition !
Hélas! le tout est refusé; et il remonte tristement vers le haut
de Montmartre, où il habite pour l’instant. Mais il ne se décourage
pas. Il fait mieux : il descend se loger rue Notre-Dame-de-Lorette, et il
se marie. Le Salon de 1873 accepte de lui LAttaque sous bois (lisez
L’Attaque amoureuse), qui est une scène galante, à costumes, peinte
avec un soin extrême. C’est le moment où Meissonier et Fortuny
triomphent; le débutant Raffaëlli subit, naturellement, cette
influence toute-puissante. Il vend cette peinture une somme énorme :
cinq cents francs!
Alors il s’affole, il se croit un Crésus ; et, sans plus tarder, il
décide de partir, en compagnie de sa jeune femme, pour l’Italie.
Il vole de Milan à Turin, de Florence à Rome et de Naples à Sor-
rente. A ce jeu, les cinq cents francs roulent vite. Heureusement,