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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
tableau, un mouvement de poignet décharné appuyant sur la pincée
de tabac posée dans le papier en dit long sur les habitudes journa-
lières, sur les douleurs sans cesse renaissantes d’une inflexible vie.
Je ne crains pas de m’avancer en déclarant que, parmi l’immense
tourbe des exposants de notre époque, M. Raffaëlli est un des rares
qui resteront; il occupera une place à part dans l’art du siècle, celle
d’une sorte de Millet parisien, celle d’un artiste qu’auront impré-
gné certaines mélancolies d’humanité et de nature demeurées
rebelles, jusqu’à ce jour, à tous ces peintres. »
Voilà Raffaëlli définitivement consacré. L’année précédente, en
1880, sa fille Germaine est née. La petite maison d’Asnières où il
vit se fleurit de gaieté et de bon espoir. On sait qu’il y a un grand
peintre de plus, et les plus célèbres sympathies artistiques et litté-
raires viennent à lui. Seuls, les jurys dits officiels n’acceptent pas sa
jeune gloire; et, aux Salons de 1882 et 1883, Raffaëlli est refusé
comme le premier débutant venu ! Passons, en souriant. Applaudis-
sons même plutôt, car ces deux jugements ridicules vont nous valoir
une superbe compensation.
En l’année 1884, en effet, Raffaëlli, rebuté, décide d’en appeler
cette fois au public, directement; et, dans cette intention, il loue
— quelle audace pour l’époque! — une boutique vide, située avenue
de l’Opéra, et dans laquelle il exposera ses œuvres. Eugène Dela-
croix appelait ce geste-là : « se livrer aux bêtes ». Raffaëlli est plus
confiant que l’illustre maître, et il a, cette fois, raison. Le plus vif
succès répond à son appel. Les cent cinquante-cinq œuvres expo-
sées (Portraits-types de gens du peuple, Etudes, Fables, Pantomimes,
Paysages des bords de la mer, Portraits-types de petits bourgeois,
Divers, Scènes de mœurs, Marines, Portraits, Sur Paris, Caractères de
la banlieue, Eaux-fortes et dessins, Sculptures) causent une véritable
révolution dans le monde des arts. Le critique officiel du Figaro,
Albert Wolff, qui était une sorte de demi-dieu ès critique, daigne
lui-même consacrer à cette exposition une chronique « retentissante ».
On vient en foule, on discute, on admire, on dénigre aussi ; mais le
succès public est certain : Raffaëlli réalise une vente de trente mille
francs !
Dans le Voltaire du 16 mars 1884, toujours à propos de l’exposi-
tion de l’avenue de l'Opéra, M. Roger Marx, rapprochant M. Raf-
faëlli de Menzel, disait : « D’après M. J. Raffaëlli, le caractère doit
être l’idéal de tout artiste; il constitue la physionomie morale dans
son expression constante et complète. Mais cette physionomie
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
tableau, un mouvement de poignet décharné appuyant sur la pincée
de tabac posée dans le papier en dit long sur les habitudes journa-
lières, sur les douleurs sans cesse renaissantes d’une inflexible vie.
Je ne crains pas de m’avancer en déclarant que, parmi l’immense
tourbe des exposants de notre époque, M. Raffaëlli est un des rares
qui resteront; il occupera une place à part dans l’art du siècle, celle
d’une sorte de Millet parisien, celle d’un artiste qu’auront impré-
gné certaines mélancolies d’humanité et de nature demeurées
rebelles, jusqu’à ce jour, à tous ces peintres. »
Voilà Raffaëlli définitivement consacré. L’année précédente, en
1880, sa fille Germaine est née. La petite maison d’Asnières où il
vit se fleurit de gaieté et de bon espoir. On sait qu’il y a un grand
peintre de plus, et les plus célèbres sympathies artistiques et litté-
raires viennent à lui. Seuls, les jurys dits officiels n’acceptent pas sa
jeune gloire; et, aux Salons de 1882 et 1883, Raffaëlli est refusé
comme le premier débutant venu ! Passons, en souriant. Applaudis-
sons même plutôt, car ces deux jugements ridicules vont nous valoir
une superbe compensation.
En l’année 1884, en effet, Raffaëlli, rebuté, décide d’en appeler
cette fois au public, directement; et, dans cette intention, il loue
— quelle audace pour l’époque! — une boutique vide, située avenue
de l’Opéra, et dans laquelle il exposera ses œuvres. Eugène Dela-
croix appelait ce geste-là : « se livrer aux bêtes ». Raffaëlli est plus
confiant que l’illustre maître, et il a, cette fois, raison. Le plus vif
succès répond à son appel. Les cent cinquante-cinq œuvres expo-
sées (Portraits-types de gens du peuple, Etudes, Fables, Pantomimes,
Paysages des bords de la mer, Portraits-types de petits bourgeois,
Divers, Scènes de mœurs, Marines, Portraits, Sur Paris, Caractères de
la banlieue, Eaux-fortes et dessins, Sculptures) causent une véritable
révolution dans le monde des arts. Le critique officiel du Figaro,
Albert Wolff, qui était une sorte de demi-dieu ès critique, daigne
lui-même consacrer à cette exposition une chronique « retentissante ».
On vient en foule, on discute, on admire, on dénigre aussi ; mais le
succès public est certain : Raffaëlli réalise une vente de trente mille
francs !
Dans le Voltaire du 16 mars 1884, toujours à propos de l’exposi-
tion de l’avenue de l'Opéra, M. Roger Marx, rapprochant M. Raf-
faëlli de Menzel, disait : « D’après M. J. Raffaëlli, le caractère doit
être l’idéal de tout artiste; il constitue la physionomie morale dans
son expression constante et complète. Mais cette physionomie