ALBRECHT ALTDORFER
135-
peint des paysages aussi précis et aussi délicats dans ses admirables
aquarelles dont le cabinet des dessins du Louvre possède quelques
spécimens excellents; mais ces aquarelles prestement lavées
n’étaient que des impressions de voyage, des études. Jamais encore
on n’avait peint un vrai tableau où la nature seule eût un rôle. C’est
pourquoi cet humble tableau d’Altdorfer marque une étape décisive
dans l’histoire du paysage.
C’est l’aboutissementdes efforts tentés par les Primitifs allemands
du xve siècle pour dégager progressivement le paysage des fonds
d’or traditionnels. Dans un des panneaux de son retable de Tiefen-
bronn représentant le voyage par mer de sainte Madeleine à Mar-
seille, Lucas Moser avait peint en 1431 la première « marine » de
l’art allemand1. Quelques années plus, tard : en 1444, Conrad Witz
peignait dans son tableau delà Pêche miraculeuse (Musée de Genève)2
non plus un paysage de fantaisie, mais un paysage réel, celui du
lac de Genève. Ces efforts allaient de pair avec ceux des miniaturistes,
qui sont les véritables précurseurs de la peinture de paysage. Mais
il fallut encore près d’un siècle pour que le paysage s’affranchît de
tous les éléments étrangers et revendiquât sa place comme un genre
à part. C’est Altdorfer, l’héritier des miniaturistes de Ratisbonne, qui
accomplit vers 1330 ce pas décisif. Il annonce les grands paysagistes
allemands, français et hollandais du siècle suivant : Adam Elsheimerr
Claude Lorrain et Jacob van Ruisdaël.
L’œuvre dont nous avons essayé de montrer la genèse et les
principaux aspects n’est pas comparable à celle des trois grands
protagonistes de la Renaissance allemande : Altdorfer n’a ni la gravité
inquiète de Dürer, ni l’imagination visionnaire de Grünewald, ni la
souveraine aisance d’Holbein. Mais il suffit à la gloire de ce « petit
maître » bavarois d’avoir été un vrai peintre dans un pays de graveurs
et d’avoir préparé les voies à deux genres nouveaux dont la vitalité
s’est affirmée après lui : le tableau d’architecture et la peinture de
paysage.
LOUIS RÉA ü
1. Gazette des Beaux-Arts, 1907, t. FI, p. 375.
2. Ibid., 1907, t. II, p. 373.
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peint des paysages aussi précis et aussi délicats dans ses admirables
aquarelles dont le cabinet des dessins du Louvre possède quelques
spécimens excellents; mais ces aquarelles prestement lavées
n’étaient que des impressions de voyage, des études. Jamais encore
on n’avait peint un vrai tableau où la nature seule eût un rôle. C’est
pourquoi cet humble tableau d’Altdorfer marque une étape décisive
dans l’histoire du paysage.
C’est l’aboutissementdes efforts tentés par les Primitifs allemands
du xve siècle pour dégager progressivement le paysage des fonds
d’or traditionnels. Dans un des panneaux de son retable de Tiefen-
bronn représentant le voyage par mer de sainte Madeleine à Mar-
seille, Lucas Moser avait peint en 1431 la première « marine » de
l’art allemand1. Quelques années plus, tard : en 1444, Conrad Witz
peignait dans son tableau delà Pêche miraculeuse (Musée de Genève)2
non plus un paysage de fantaisie, mais un paysage réel, celui du
lac de Genève. Ces efforts allaient de pair avec ceux des miniaturistes,
qui sont les véritables précurseurs de la peinture de paysage. Mais
il fallut encore près d’un siècle pour que le paysage s’affranchît de
tous les éléments étrangers et revendiquât sa place comme un genre
à part. C’est Altdorfer, l’héritier des miniaturistes de Ratisbonne, qui
accomplit vers 1330 ce pas décisif. Il annonce les grands paysagistes
allemands, français et hollandais du siècle suivant : Adam Elsheimerr
Claude Lorrain et Jacob van Ruisdaël.
L’œuvre dont nous avons essayé de montrer la genèse et les
principaux aspects n’est pas comparable à celle des trois grands
protagonistes de la Renaissance allemande : Altdorfer n’a ni la gravité
inquiète de Dürer, ni l’imagination visionnaire de Grünewald, ni la
souveraine aisance d’Holbein. Mais il suffit à la gloire de ce « petit
maître » bavarois d’avoir été un vrai peintre dans un pays de graveurs
et d’avoir préparé les voies à deux genres nouveaux dont la vitalité
s’est affirmée après lui : le tableau d’architecture et la peinture de
paysage.
LOUIS RÉA ü
1. Gazette des Beaux-Arts, 1907, t. FI, p. 375.
2. Ibid., 1907, t. II, p. 373.