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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
La verve de Diderot fait écho à ces facéties. L’opinion publique
est conquise : pour tout le monde le goût de l’antique ramènera l’art
à la simplicité, lui restituera sa dignité. Grâces soient rendues à
M. Vien pour avoir mis sur le chemin du vrai style ces espoirs de
la peinture française : M. David, l’auteur du Bélisaire (1781),
M. Régnault, l’auteur de Y Education d'Achille (1783).
Cependant, s’attacher à tant de sagesse, de sobriété, c’est vrai-
ment fermer trop la voie au riche instinct et risquer parfois d’être
en désaccord avec le caractère du sujet... Nouvel assaut de nos
fantaisistes. M. Vien, en une belle toile que possède aujourd’hui le
musée d’Alger, a représenté : Le Départ de Priarn s’en cillant sup-
plier Achille de lui rendre le corps d'Hector, thème d’un pathétique
qu’un autre eût trouvé bon de traduire par un beau désordre. Mais
ici, comme on veut atteindre à la plus haute dignité dans l’expres-
sion, la formule est au contraire :
Tranquillité sans seconde, Vien vous repart : « S’il vous plaît,
Point de masse, point d’effet. Ne dérangeons point le monde,
— Et pour peu qu’on lui réponde, Laissons chacun comme il est.
(Sur l’air de : Ce mouchoir, belle Ray monde).
Et voici de nouveau le corps d’Hector sur lequel pleure la mal-
heureuse Andromaque, morceau de réception à l’Académie de ce
même David, trouvé si original à son apparition : de quelles tristes
couleurs cela est-il peint!
Air : M. de La Palisse est mort.
Secourez vite, auprès d’Hector,
Andromaque à l’agonie.
A son teint couleur du mort
J’ai peine à la croire en vie.
Et de la craie et du charbon,
Voilà toute sa magie;
Et toujours du même ton
Il peint la mort et la vie1.
morceau de réception. On le malmena de même pour n’avoir pas rompu avec
la vieille formule, sur l’air de Lison endormie :
Messieurs, c’est ici qu’on admire
Du blanc par ci, du bleu par là.
Flore et son cher amant Zéphyre
Sont bien vêtus comme cela.
C’est ainsi qu’il faut qu’on colore.
Le beljéventail que voilà !
Rouge par ci, jaune par là.
Regardez, admirez encore :
Rouge par ci, jaune par là.
1. Le Salon à l’encan (1783).
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
La verve de Diderot fait écho à ces facéties. L’opinion publique
est conquise : pour tout le monde le goût de l’antique ramènera l’art
à la simplicité, lui restituera sa dignité. Grâces soient rendues à
M. Vien pour avoir mis sur le chemin du vrai style ces espoirs de
la peinture française : M. David, l’auteur du Bélisaire (1781),
M. Régnault, l’auteur de Y Education d'Achille (1783).
Cependant, s’attacher à tant de sagesse, de sobriété, c’est vrai-
ment fermer trop la voie au riche instinct et risquer parfois d’être
en désaccord avec le caractère du sujet... Nouvel assaut de nos
fantaisistes. M. Vien, en une belle toile que possède aujourd’hui le
musée d’Alger, a représenté : Le Départ de Priarn s’en cillant sup-
plier Achille de lui rendre le corps d'Hector, thème d’un pathétique
qu’un autre eût trouvé bon de traduire par un beau désordre. Mais
ici, comme on veut atteindre à la plus haute dignité dans l’expres-
sion, la formule est au contraire :
Tranquillité sans seconde, Vien vous repart : « S’il vous plaît,
Point de masse, point d’effet. Ne dérangeons point le monde,
— Et pour peu qu’on lui réponde, Laissons chacun comme il est.
(Sur l’air de : Ce mouchoir, belle Ray monde).
Et voici de nouveau le corps d’Hector sur lequel pleure la mal-
heureuse Andromaque, morceau de réception à l’Académie de ce
même David, trouvé si original à son apparition : de quelles tristes
couleurs cela est-il peint!
Air : M. de La Palisse est mort.
Secourez vite, auprès d’Hector,
Andromaque à l’agonie.
A son teint couleur du mort
J’ai peine à la croire en vie.
Et de la craie et du charbon,
Voilà toute sa magie;
Et toujours du même ton
Il peint la mort et la vie1.
morceau de réception. On le malmena de même pour n’avoir pas rompu avec
la vieille formule, sur l’air de Lison endormie :
Messieurs, c’est ici qu’on admire
Du blanc par ci, du bleu par là.
Flore et son cher amant Zéphyre
Sont bien vêtus comme cela.
C’est ainsi qu’il faut qu’on colore.
Le beljéventail que voilà !
Rouge par ci, jaune par là.
Regardez, admirez encore :
Rouge par ci, jaune par là.
1. Le Salon à l’encan (1783).