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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 11.1914

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Nr. 2
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Koechlin, Charles: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24888#0190
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CHRONIQUE MUSICALE.

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toujours à l’Opéra lorsqu’on veut bien s’en donner la peine. Enfin, quant
à l’interprétation de M. Messager, elle est telle qu’on pouvait l’attendre de
lui, avec les défauts et les qualités qu’on lui connaît : une exactitude, une
précision, un équilibre admirables; mais souvent, pas assez d’ampleur, et dans
son tact extrême une expression parfois un peu sèche.

N’importe; ce fut dans l’ensemble une fort belle représentation, où l’on a
dû profondément ressentir la grande beauté de ces « sommets » de l’œuvre,
bien que notre goût national nous porte vers un art plus concis et des déve-
loppements moins « étalés ». Si, pour le reste de ce Bühnenfestspiel, je me
suis permis des critiques que d’aucuns jugeront blasphématoires, quittes à les
formuler eux-mêmes dans dix ou vingt années, c’est que ces défauts me sem-
blent fort importants, en ce qu’ils sont — aujourd’hui que nous commençons
à prendre conscience d’un art symphonique et d’un goût français— extrême-
ment représentatifs des tendances de la musique allemande contemporaine.
Nos voisins semblent apprécier la quantité mieux que la qualité; et, cependant
ici (ce n’est pas une façon « welche » ni latine d’envisager la question, mais
simplement humaine et logique), il ne s’agit que de qualité, et de vérité. Le
désir d’exprimer la force, de faire colossal, de frapper de grands coups
(plutôt que de frapper juste), semble hanter nos rivaux : et Wagner n’en fut
pas tout à fait exempt. ■— Cependant le Parthénon reste plus beau que la
Madeleine. — Aux temps des premiers pèlerinages à Bayreuth, nombre de
musiciens français avaient subi l’influence germanique, s’abandonnant à l’idée
très fausse qu’ « on n’en met jamais assez ». La musique russe vint faire une
heureuse diversion; mais, pour nous rappeler que l’art vit de proportions
harmonieuses, d’accents justes et de matières choisies, il a fallu bien autre
chose encore que l’érudition de la Schola Cantorum ressuscitant Rameau, ou
les soins vigilants du Conservatoire qui nous rappelait les éternellement admi-
rables modèles que sont Carmen et Samson : il a fallu la présence réelle d’une
musique contemporaine qui nous touchât profondément, étant l’expression
juste et profonde de notre sensibilité. On devine à quels maîtres je fais allu-
sion, — deux grands maîtres, je dois le dire très net. Il a fallu Pelléas,
VAprès-midi d’un faune, les Nocturnes; il a fallu d’incomparables Mélodies, et
Prométhée, et Pénélope. Aujourd’hui nous sentons que nos racines plongent
dans un sol nourricier : le sol natal. Et je ne sais rien de tel que les repré-
sentations wagnériennes pour nous en donner conscience. 11 ne s’agit pas
ici de comparer, ni de proclamer (comme jadis Léon Kerst après la « trista-
nesque » Kermaria de M. C. Erlanger) : « Nous pouvons aujourd’hui regarder
l’Allemagne en face ! » 11 s’agit seulement de profiter des leçons et des exemples.
Tous, auditeurs et musiciens, nous n’irons utilement de l’avant qu’en sachant
rester nous-mêmes, et ne pas nous faire illusion sur tel ou tel défaut d’une
œuvre aimée. Nous n’en apprécierons que mieux ses beautés. C’est pourquoi
je m’excuse encore d’avoir dit franchement toute ma pensée au sujet de ce
Parsifal, autour duquel s’agitent aujourd’hui tant de snobismes et que —disons
le mot— tant de réaction voudrait prendre comme porte-bannière. Avant tout,
soyons soucieux de rechercher et d’aimer, partout où nous la trouvons, mais là
seulement, la chère et divine Musique.

CU ARLES KŒCIILIN

XI. — 4e PÉRIODE. 22
 
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