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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
prendre en cours de route des notes sur les villes que le bombardement
meurtrissait, sur les scènes qui s’y déroulaient sous le canon ennemi. Il en
rapporta de singulièrement émouvantes. Tel ce pastel, souple et vivant, qui
montre une équipe de chasseurs alpins, crânement coiffés du béret, enlevant
les vitraux et les œuvres d’art de l’église de Thann.
En passant à Abbeville, il commença un tableau de la collégiale de Saint-
Wulfran. Il y travailla deux heures; le tableau est presque terminé. Cette
toile, la dernière qu’il ait exécutée, est la plus caractéristique de sa manière
et de son tempérament. La Gazette des Beaux-Arts l’a reproduite lorsqu’elle
fut exposée au dernier Salon d’Automne1. Depuis, elle a été acquise par l’Etat
pour le Musée du Luxembourg.
La mission terminée, Cazin fut renvoyé à son dépôt, à Bergerac. De là,
on l’expédia à Bourbourg. Promu caporal-fourrier faisant fonctions de vague-
mestre, il portait le courrier jusqu'à Fûmes. Son commandant l’ayant choisi
pour secrétaire, il s’aménagea un réduit dans .les combles de l’hôtel-de-ville.
Là, il se reprenait un peu. Il rabotait des morceaux de bois, il les gravait avec
la pointe de son gros couteau, il utilisait un manche à balai entouré de linges
en guise de rouleau, et tirait des épreuves sur de fins papiers de Chine venus
de ses réserves, à Equihen. Avec ces moyens rudimentaires, il obtint des
résultats surprenants. Il grava des paysages flamands, des moulins et des
bellandres, des arbres courbés par le vent, une petite chapelle au carrefour
d’une roule, ses motifs habituels, rendus avec un sentiment plus aigu que
jamais, avec une poésie plus mâle. Dans l’exécution, toujours la même
vigueur, la même fougue, à peine tempérées par le travail du bois. Un modelé
souple, une lumière mouvante, des blancs et des gris habilement répartis
pour faire chanter les noirs ; de l’air, et des ciels vivants, agissants comme
les personnages d’un drame. Habile à tirer parti de toutes les circonstances,
il utilise, comme dans la gravure que nous reproduisons, jusqu’aux fibres
dubois, avec une adresse incomparable, pour concourir à l’eflet cherché, au
moment où il encre sa planche.
Bientôt, on l'affecta pour la seconde fois à Boulogne. Pour une assez courte
période d’ailleurs : un nouvel ordre le renvoya à Dunkerque. Sa femme était
venue de Paris le rejoindre pour lui dire au revoir; elle savait interdite la
zone qui englobait Dunkerque. Le dernier jour qu’il devait passer à Bou-
logne, le Ier février 1917, tous deux partirent d’Equilien de bon matin, pour
faire en ville quelques emplettes et quelques courses. Après leur départ, un
expresse présenta avec un pli urgent à l’adresse de Michel Cazin. Sa mère
le reçut et se mit en quatre pour décider un porteur à courir vivement à Bou-
1 V. Gazette des Beaux-Arts, 1919, p. 4og.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
prendre en cours de route des notes sur les villes que le bombardement
meurtrissait, sur les scènes qui s’y déroulaient sous le canon ennemi. Il en
rapporta de singulièrement émouvantes. Tel ce pastel, souple et vivant, qui
montre une équipe de chasseurs alpins, crânement coiffés du béret, enlevant
les vitraux et les œuvres d’art de l’église de Thann.
En passant à Abbeville, il commença un tableau de la collégiale de Saint-
Wulfran. Il y travailla deux heures; le tableau est presque terminé. Cette
toile, la dernière qu’il ait exécutée, est la plus caractéristique de sa manière
et de son tempérament. La Gazette des Beaux-Arts l’a reproduite lorsqu’elle
fut exposée au dernier Salon d’Automne1. Depuis, elle a été acquise par l’Etat
pour le Musée du Luxembourg.
La mission terminée, Cazin fut renvoyé à son dépôt, à Bergerac. De là,
on l’expédia à Bourbourg. Promu caporal-fourrier faisant fonctions de vague-
mestre, il portait le courrier jusqu'à Fûmes. Son commandant l’ayant choisi
pour secrétaire, il s’aménagea un réduit dans .les combles de l’hôtel-de-ville.
Là, il se reprenait un peu. Il rabotait des morceaux de bois, il les gravait avec
la pointe de son gros couteau, il utilisait un manche à balai entouré de linges
en guise de rouleau, et tirait des épreuves sur de fins papiers de Chine venus
de ses réserves, à Equihen. Avec ces moyens rudimentaires, il obtint des
résultats surprenants. Il grava des paysages flamands, des moulins et des
bellandres, des arbres courbés par le vent, une petite chapelle au carrefour
d’une roule, ses motifs habituels, rendus avec un sentiment plus aigu que
jamais, avec une poésie plus mâle. Dans l’exécution, toujours la même
vigueur, la même fougue, à peine tempérées par le travail du bois. Un modelé
souple, une lumière mouvante, des blancs et des gris habilement répartis
pour faire chanter les noirs ; de l’air, et des ciels vivants, agissants comme
les personnages d’un drame. Habile à tirer parti de toutes les circonstances,
il utilise, comme dans la gravure que nous reproduisons, jusqu’aux fibres
dubois, avec une adresse incomparable, pour concourir à l’eflet cherché, au
moment où il encre sa planche.
Bientôt, on l'affecta pour la seconde fois à Boulogne. Pour une assez courte
période d’ailleurs : un nouvel ordre le renvoya à Dunkerque. Sa femme était
venue de Paris le rejoindre pour lui dire au revoir; elle savait interdite la
zone qui englobait Dunkerque. Le dernier jour qu’il devait passer à Bou-
logne, le Ier février 1917, tous deux partirent d’Equilien de bon matin, pour
faire en ville quelques emplettes et quelques courses. Après leur départ, un
expresse présenta avec un pli urgent à l’adresse de Michel Cazin. Sa mère
le reçut et se mit en quatre pour décider un porteur à courir vivement à Bou-
1 V. Gazette des Beaux-Arts, 1919, p. 4og.