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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
des rêves, des souvenirs, des sentiments et des pensées. L’Homme du large,
de M. Marcel L’Herbier, L’Homme qui vendit son âme au diable, de M. Pierre
Caron, nous ont entraîné assez loin, l’un dans l’interprétation pathétique de
la nature, l’autre dans le domaine illimité du fantastique... Il y a déjà là
mieux que des promesses.
La plupart de nos comédiens se sont essayés avec plus ou moins de
bonheur dans l’art muet. M. Le Bargy fut l’un des premiers à deviner l’ave-
nir du cinéma dramatique. Réjane, quelques semaines avant sa mort, « tour-
nait» le rôle de la Vougne, dans Miarka, la fille à l’ourse, et apportait à l’art
de demain l’émouvant hommage de sa propre agonie. Quelques-uns de ces
interprètes sont devenus de véritables spécialistes de l’écran : nommons seu-
lement M. Signoret et Mmc Eve Francis. A côté des acteurs qui viennent au
cinéma, nous avons vu se lever des étoiles de cinéma dont la renommée ne
doit rien au théâtre. Pour nous borner au cinéma français, nous citerons
MM. Jaque-Catelain, Van Daële, André Nox, M"es France Dhélia, Marcelle
Pradot, Andrée Brabant et cette charmante Suzanne Grandais dont la mort
accidentelle causa, il y a quelques mois, une si vive émotion... Les auteurs
dramatiques, attirés à leur tour par ce nouveau mode d’expression, com-
mencent à composer pour l’écran des œuvres originales : M. Tristan Ber-
nard donnait récemment avec succès Le Secret de Rosette Lambert ; M. Sacha
Guitry interpréta lui-même son premier film: Un Roman d’amour... et
d’aventure, où il jouait un de ces rôles doubles dont il a été parlé plus
haut, représentant à lui seul deux frères amoureux de la même jeune fille.
Le cinquième art, pour se réaliser, ne doit faire fi d’aucune bonne volonté.
L’écran saura reconnaître les siens. L’art qui vient de naître ne saurait
toutefois se contenter des adhésions condescendantes des hommes de théâtre
ou des littérateurs, qui consentent à lui demander de temps en temps un
supplément de profit. Il exige le don total de soi-même. L’acteur du cinéma,
s’il veut pénétrer les secrets de l’expression muette, doit oublier toutes les
conventions du théâtre. Le créateur cinégraphiste de l'avenir devra penser
directement en images mouvantes et posséder en même temps assez bien
la technique de son art pour indiquer avec toute la précision possible les
détails du développement visuel de son scénario, de même que le musicien
note jusqu’aux moindres nuances sonores d’une symphonie. Nous avons
de bons interprètes, des adaptateurs habiles, d’ingénieux techniciens; ce
n’est pas assez. L’écran espère son Shakespeare.
GUSTAVE FBÉJAVILLE
Le Gérant : Ch. Petit.
CHARTRES .
IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
des rêves, des souvenirs, des sentiments et des pensées. L’Homme du large,
de M. Marcel L’Herbier, L’Homme qui vendit son âme au diable, de M. Pierre
Caron, nous ont entraîné assez loin, l’un dans l’interprétation pathétique de
la nature, l’autre dans le domaine illimité du fantastique... Il y a déjà là
mieux que des promesses.
La plupart de nos comédiens se sont essayés avec plus ou moins de
bonheur dans l’art muet. M. Le Bargy fut l’un des premiers à deviner l’ave-
nir du cinéma dramatique. Réjane, quelques semaines avant sa mort, « tour-
nait» le rôle de la Vougne, dans Miarka, la fille à l’ourse, et apportait à l’art
de demain l’émouvant hommage de sa propre agonie. Quelques-uns de ces
interprètes sont devenus de véritables spécialistes de l’écran : nommons seu-
lement M. Signoret et Mmc Eve Francis. A côté des acteurs qui viennent au
cinéma, nous avons vu se lever des étoiles de cinéma dont la renommée ne
doit rien au théâtre. Pour nous borner au cinéma français, nous citerons
MM. Jaque-Catelain, Van Daële, André Nox, M"es France Dhélia, Marcelle
Pradot, Andrée Brabant et cette charmante Suzanne Grandais dont la mort
accidentelle causa, il y a quelques mois, une si vive émotion... Les auteurs
dramatiques, attirés à leur tour par ce nouveau mode d’expression, com-
mencent à composer pour l’écran des œuvres originales : M. Tristan Ber-
nard donnait récemment avec succès Le Secret de Rosette Lambert ; M. Sacha
Guitry interpréta lui-même son premier film: Un Roman d’amour... et
d’aventure, où il jouait un de ces rôles doubles dont il a été parlé plus
haut, représentant à lui seul deux frères amoureux de la même jeune fille.
Le cinquième art, pour se réaliser, ne doit faire fi d’aucune bonne volonté.
L’écran saura reconnaître les siens. L’art qui vient de naître ne saurait
toutefois se contenter des adhésions condescendantes des hommes de théâtre
ou des littérateurs, qui consentent à lui demander de temps en temps un
supplément de profit. Il exige le don total de soi-même. L’acteur du cinéma,
s’il veut pénétrer les secrets de l’expression muette, doit oublier toutes les
conventions du théâtre. Le créateur cinégraphiste de l'avenir devra penser
directement en images mouvantes et posséder en même temps assez bien
la technique de son art pour indiquer avec toute la précision possible les
détails du développement visuel de son scénario, de même que le musicien
note jusqu’aux moindres nuances sonores d’une symphonie. Nous avons
de bons interprètes, des adaptateurs habiles, d’ingénieux techniciens; ce
n’est pas assez. L’écran espère son Shakespeare.
GUSTAVE FBÉJAVILLE
Le Gérant : Ch. Petit.
CHARTRES .
IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.