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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
la Porte des Orfèvres. Dès cette époque, ajoute-t-il alors, l’Espagne fut sans
cesse présente à la pensée des abbés de Cluny. Ce sont eux qui organisent
les pèlerinages de Compostelle, la croisade contre les Maures. En échange,
Alphonse VI, roi de Castille, l’ami de saint Hugues, abbé de Cluny, après
avoir pris Tolède en io85, voulut par ses largesses contribuer à la construc-
tion de la nouvelle église de Cluny que saint Hugues commença en 1088.
« Peut-être l’architecte de Cluny avait-il accompagné saint Hugues dans
les deux voyages qu’il fit en Espagne, peut-être fut-il un de ces moines
clunisiens qu’Alphonse VI appela à Tolède, car l’Espagne a mis sa marque
sur cette église qui lui fut particulièrement chère » (p. 3i5).
De Cluny, que savons-nous d’absolument certain? L’abbatiale était après
Saint-Pierre de Rome la plus vaste basilique de la chrétienté. Divisée dans
sa longueur par deux transepts inégaux, elle comprenait cinq nefs, terminées
par une abside circulaire, surmontée de cinq clochers : elle était sous le
vocable de saint Pierre et saint Paul.
M. Em. Male nous dit donc qu’en s’associant à la construction de la
nouvelle église Alphonse VI voulut lui témoigner sa reconnaissance. Grâce
aux subsides du roi d’Espagne après la prise de Tolède (io85), l’église fut
commencée « trois ans après » (p. 3i5), en 1088 par conséquent.
H est certain que cette date de 1088 est admise par tout le monde; c’est
l'année d’ailleursoù Hézelon, le célèbre moine-architecte de Liège, est envoyé
à saint Hugues, avec Tézelin, maître de la Vie spirituelle, Alger, docteur en
théologie, par Albéron, évêque de Liège, pour diriger l’œuvre, qui est termi-
née en 1108 ; une simple soustraction donne ainsi vingt ans, pour la durée
des travaux. Il semble alors que les documents n’ont plus rien à nous
apprendre.
Si au contraire nous poussons plus avant nos recherches, la Vie de saint
Hugues va nous ouvrir des horizons nouveaux. Hugues avait été élu prieur de
Cluny en io48. Devant le nombre croissant des religieux qui affluaient dans
son abbaye, il craignait que le temps lui manquât pour l’agrandir et pour
élever une basilique digne de son ordre ; car l’argent lui faisait défaut. Aussi
temporisait-il, quand le ciel vint à son secours. Il y avait à Cluny, un véné-
rable vieillard, nommé Gauzon — le manuscrit dit Gunzo — successeur de
saint Bernon sur le siège abbatial de Baume-les-Messieurs Il était venu
chercher la paix à Cluny, et était sur le point d’expirer, quand saint Pierre lui
apparut avec saint Paul et saint Etienne, lui donnant le plan de l’église ; il
devait se lever de son lit et transmettre à saint Hugues la révélation. Si sa
1. On ne le trouve pas dans la liste des abbés de Baume, dont saint Bernon fut abbé
jusqu’en 910; son successeur fut Wido, qu’on retrouve en 928 à Gigny.
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la Porte des Orfèvres. Dès cette époque, ajoute-t-il alors, l’Espagne fut sans
cesse présente à la pensée des abbés de Cluny. Ce sont eux qui organisent
les pèlerinages de Compostelle, la croisade contre les Maures. En échange,
Alphonse VI, roi de Castille, l’ami de saint Hugues, abbé de Cluny, après
avoir pris Tolède en io85, voulut par ses largesses contribuer à la construc-
tion de la nouvelle église de Cluny que saint Hugues commença en 1088.
« Peut-être l’architecte de Cluny avait-il accompagné saint Hugues dans
les deux voyages qu’il fit en Espagne, peut-être fut-il un de ces moines
clunisiens qu’Alphonse VI appela à Tolède, car l’Espagne a mis sa marque
sur cette église qui lui fut particulièrement chère » (p. 3i5).
De Cluny, que savons-nous d’absolument certain? L’abbatiale était après
Saint-Pierre de Rome la plus vaste basilique de la chrétienté. Divisée dans
sa longueur par deux transepts inégaux, elle comprenait cinq nefs, terminées
par une abside circulaire, surmontée de cinq clochers : elle était sous le
vocable de saint Pierre et saint Paul.
M. Em. Male nous dit donc qu’en s’associant à la construction de la
nouvelle église Alphonse VI voulut lui témoigner sa reconnaissance. Grâce
aux subsides du roi d’Espagne après la prise de Tolède (io85), l’église fut
commencée « trois ans après » (p. 3i5), en 1088 par conséquent.
H est certain que cette date de 1088 est admise par tout le monde; c’est
l'année d’ailleursoù Hézelon, le célèbre moine-architecte de Liège, est envoyé
à saint Hugues, avec Tézelin, maître de la Vie spirituelle, Alger, docteur en
théologie, par Albéron, évêque de Liège, pour diriger l’œuvre, qui est termi-
née en 1108 ; une simple soustraction donne ainsi vingt ans, pour la durée
des travaux. Il semble alors que les documents n’ont plus rien à nous
apprendre.
Si au contraire nous poussons plus avant nos recherches, la Vie de saint
Hugues va nous ouvrir des horizons nouveaux. Hugues avait été élu prieur de
Cluny en io48. Devant le nombre croissant des religieux qui affluaient dans
son abbaye, il craignait que le temps lui manquât pour l’agrandir et pour
élever une basilique digne de son ordre ; car l’argent lui faisait défaut. Aussi
temporisait-il, quand le ciel vint à son secours. Il y avait à Cluny, un véné-
rable vieillard, nommé Gauzon — le manuscrit dit Gunzo — successeur de
saint Bernon sur le siège abbatial de Baume-les-Messieurs Il était venu
chercher la paix à Cluny, et était sur le point d’expirer, quand saint Pierre lui
apparut avec saint Paul et saint Etienne, lui donnant le plan de l’église ; il
devait se lever de son lit et transmettre à saint Hugues la révélation. Si sa
1. On ne le trouve pas dans la liste des abbés de Baume, dont saint Bernon fut abbé
jusqu’en 910; son successeur fut Wido, qu’on retrouve en 928 à Gigny.