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Tonte personne de la province qui s'abon-
nera à un des journaux ci-après, par l'entre-
mise de M. Mapre, directeur-gérant du Grelot,
20, rue du Croissaut, à Paris, aura droit à un
abonnement gratuit au journal le GRELOT,
savoir :
Pour un abonnement d'un an : 6 mois au GRELOT.
_ de 6 mois : 3 mois ' j HP-
L'abonnement à deux journaux doublera la
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Revue des Deix-Mondes. .
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Les prix qui précèdent sont, bien entendu, les prix
fixés par les administrations de chacun de ces jour-
naux.
Le songe d'une nuit... de printemps
11 est minuit.
La lune argenté doucement les arbres du
parc de Versailles et se joue sur les pièces
d'eau tranquilles et dormantes.
Un homme enveloppé d'un manteau couleur
de muraille, une valise à la main, se promène
dans les jardins, en jetant de temps en temps
un regard mélancolique sur le palais désert.
Monologue de l'homme au manuau couleur de
muraille.
Oui... je sais bien... ça ne lui a pas réussi,
la royauté... mais mon illustre aïeul était un
bon homme... pas tr ès-fort... tandis que moi...
je ne suis pas beaucoup plus fort que lui, c'est
vrai ; mais j'ai des conseillers qui s'appellent
Gavardie, Lorgerîl et Belcastel ; des généraux
qui s'appellent Du Temple, et ce serait bien
le diable si, avec des gens de cette valeur...
Il m'a semblé entendre du bruit dans ce mas-
sif... M'épierait-on?... ces diables de journaux
républicains ont bien su que j'étais à Ver-
sailles... Heureusement le Français a démenti
la nouvelle... ce qui fait que tout le monde en
est sûr... Eh bien, oui!... je suis à Versailles
et j'attends les événements !... j'attends môme
mieux que cela... Gavardie doit venir me
prendre ici ce soir même et me conduire chez
un marchand, qui a pour spécialité de fournir
aux prétendants une denrée indispensable à...
Cette fois, je ne me trompe pas !,.. on a mar-
ché... oui... une ombre se détache... Ce n'est
pas Gavardie... mon cœur aurait battu... De la
prudence, alors... et cachons-nous... jusqu'à
ce que... Le voilà... attention !...
(L'homme au manteau couleur de muraille se blot-
tit derrière une estatue, comme dit si élégamr
, ment mon concierge.)
Entrée d'un personnage étrange vêiu d'un costume
complet d'Auverpin.
l'auverpin
Minuit)., c'est l'iieure que Paui m'a dési-
gnée pour me conduire chez ce marchand
• dont la spécialité consiste à vendre aux pré-
- tendants une.denrée indispensable à la réus-
site de... Il me semble qu'on a éternué...
c'est peul-être moi... Mon Dieu ! que je suis
- donc bête!.. Si c'était moi, est-ce que. je ne
m'en serais pas aperçu?.. Décidément depuis
quelque temps je me ramollis un peu... Ah!
• les soucis de la politique, voilà!... Cette fois
on a éternué... j'en suis sûr... mais je suis
encore plus bête que je ne pensais !. .. c'est
moi, c'est bien moi... et je me prend pour un
autrel.. Ahl il est temps que cela finisse et
que le petit remonte sur le trône de son
excellent père... je me décatis.
{Apercvant l'homme au manteau couleur de mu-
raille qui s'est baissé pour ramasser sa taba-
tière et que la lun-- inonde d'une lumière bien-
faisante autant qu'indiscrète.)
Un homme!.. Paul!., est-ce vous? (Il
éternué.)
l'homme au manteau.
Il y a quelqu'un qui s'enrhume ici... a vos
souhaits!... est-ce vous, Gavardie?
l'auverpin.
Le Comte de Chambord !...
l'homme aU manteau.
M. Rouhert...
rouher.
Lui-même, Sire !...
le comte.
Oh! voilà qui es1 particulier 1... Je vous
croyais à Chislehurst.
rouher.
On vous disait à Froshdorf.
le comte.
Ce que c'est que les gazettes !...
rouher.
Ne m'en parlez pas !,.. Depuis que je fais
un jourual, je sais ce qu'en vaut l'aune.
le comte,
Avouez, cependant, que le Français est jo-
liment informé 1
rouher.
Ils sont deux comme cela. . le Français et
le Moniteur de la cordonnerie... Mais les au-
tres !...
le comte.
C'est pitoyable !... Ah! çà , voyons, mon
cher monsieur Rouher, nous pouvons bien,
entre nous, nous faire nos petites confiden-
ces... Où en êtes-vous?
rouher.
Mais je ne sais si je dois...
le comte.
Bah !... Allez-y donc...
rouher.
Eh bien, je vous avouerai, monseigneur,
que ça ne va pas mal., au contraire...
le comte.
Ah I ah!...
rouher.
Notre propagande mare ie un train d'en-
fer... et il se pourrait hier qu'à la rentrée de
la Chambre...
le comte.
C'est justement ce que m'écrivait hier Bel-
castel.
rouher, riant comme un cent de bossus.
Ali ! ah ! ah ! vous croyez à vos chances,
vous ?
le comte.
Quand Gavardie m'aura conduit chez le
marchand en question.
rouher.
Celui chez lequel je vais probab ement.
le comte.
Son nom, je vous prie?
roche .
Fortenpoigne, tient coups d'Etat en tous gen-
res, fait le neuf et le vieux, envoie à l'étranger,
contre remboursement.
le comte.
C'est mon homme !...
rouher.
Comme cela se rencontre 1...
le comte.
Et vous le connaissez, ce Fortenpoigne?
rouher. .
De réputation. 11 a déjà travaillé pour nous.
le comte.
Alors, puisque Gavardie ne vient pas, si
j'osais vous demander de me présenter.., vous
devez être bien dans la maison...
rouher.
Diable!... un concurrent!...
le comte.
Bah!.., nous nous entendrons toujours...
rouher, à part.
Pour les chances qu'il a !
le comte.
Et puis, vous ou un autré !..
rouher.
C'est juste.
le comte.
Nous en serons quittes pour mettre aux
enchères... comme à l'Hôtel des ventes.
rouher.
D'autar.t mieux que c'est la France qui
paiera.
le comte.
Adorable!
rouher.
Allons, c'est dit... après vous, monseigneur.
le COMTE.
Passez donc, je vous en prie.
(Les deux compères s'éloignent bras dessus
bras dessous.)
M. Tout le monde, qui prenait le frais et qui
a entendu la conversation :
— Eh bien, et papa?... Faudrait pourtant
voir à le consulter un peu, mes mignons!
NICOLAS FLAMMÈCHE.
LES CROCODILES
N'est-ce pas une chose admirable que la
conduite des légitimistes en ce moment?
Us n'ont qu'une seule préoccupation :
Préparer le plus de machines de guerre
possible, pour les faire manœuvrer à la
rentrée.
Us en ont déjà une quantité.
Et ils s'apprêtent à en jouer du mieux
qu'ils nourront, contre le gouvernement qu'ils
ont eux-mêmes établi.
Certainement pour les historiens de l'avenir
l'époque que nous traversons sera une des
plus curieuse qu'il leur sera donné d'étudier.
Car, à présent, on voit ce qu'on n'avait
jamais vu :
Les gens d'ordre chercher par tous les
moyens possibles à renverser le gouverne-
ment.
Et les perturbateurs chercher au contraire
à le maintenir.
Et ce qu'il y a de plus drôle, ledit gouver-
nement n'ayant de faveurs que pour ceux qui
veulent le jeter bas.
Et de rigueur que pour ceux qui veulent le
laisser debout.
Il est de fait qu'aujourd'hui, si le septennat
n'a pas déjà rejoint les neiges d'anlan, ce
n'est pas la faute des aimables perruques et
billes de billard qui regardent désespérément
du côté de Froshdorff et se donnent des torti-
colis à guetter l'arrivé de M. de Chambord;
Et que si au contraire, il commence à pren-
dre du ventre et à vouloir vivre, c'est grâce à
l'appui des républicains qui cependant n'ont
point souhaité sa venue, et ont juré un petit
quart d'heure en le voyant naître.
Plus tard, on ne s'expliquera pas ces choses.
On croira à une confusion.
E , comme disait Rabelais, à grand renfort de
besicles, on cheichera s'il n'y a pas eu une in-
terversion de termes dans tous les écrits de
ce temps.
Comment comprendre, en effet, que des
gens qui se disent des hommes d'ordre,
Qui ne veulent que le bien-être, la prospé
rité et la tranquillité de l'Etat,
Et qui ont vingt fois condamné tout ce qui
ressemble de près ou de loin à cette « agita-
tion politique » modérée si chère aux An-
glais,
N'aient pas en ce moment d'autre souci que
de produire le plus de désordre possible,
De jeter le trouble et le désarroi dans les
affaires et dans les esprits,
Et de se livrer à tous les petits tours qui
pourront agiter le pays?
Il n'y aura pas d'autre moyen d'expliquer la
chose que de traîner les individus par l'oreille
au grand jour,
Et de leur examiner un peu la denture :
Car au fond, tout cela n'est qu'une question
d'estornac,
Et le ventre joue un grand rôle dans le
débat.
Ce n'est pas de la tranquillité du pays,
Ni de sa richesse,
Ni de son bonheur,
Ni de l'ordre dans la rui qu'il s'agit.
Ce dont il s'agit,
C'est d'avoir les places,
D'occuper les ministères,
De posséder les caisses,
De tenir les administrations et les grands
commandements,
Et d'avoir « sa part de royauté, » comme
disait Barbier.
Voilà pourquoi les crocodiles de la droite
ont dévoré Thiers ;
Voilà pourquoi ils vaulent dévorer le sep-
tennat,
Et pourquoi ils chercheront à dévorer tous
les goouernements possibles qui ne leur jet-
teront pas entre les dents une proie dent ils
puissent se gaver jusqu'à l'indigestion.
Aussi, si j'étais le gouvernement, moi, je
commencerais par prendre une lime et je me
mettrais à l'ouvrage sans tarder.
HOMO.
MICII ADO A BOUT ÏV0TH1\G 1
SCÈNE I.
Une chambre à coucher. — Il fait nuit. — Mobi
lier modeste. — Du thé vert chauffe sur une
veilleuse placée sur la table denuit.—M. Piccon
revient d'un dîner officiel, où il a laissé autre
chose que du vin au fond de son verre. — Ses
idées sont légèrement troublées, ça se conçoit, et,
par esprit d'imitation, son estomac fait comme
ses idées. — Il est couché sur son lit, tout ha-
billè, et quelques éructations bruyantes annon-
cent qu'il ne sait pas trop bien lui-même com-
ment sa digestion va se terminer. )
m. piccon.
Diable!... je crois tout de même que le
chambertin est un vin légèrement pernicieux :
i me semble que tout tourne dans la cham-
bra m Les chaises valsent, la commode polke,
les p i| raits me font des grimaces, le piano a
des gargouillements dans le ventre... Sapristi !
pour un joli dîner, voilà un joli dîner!... C'é-
tait confortable et bien servi !... Rien du veau
froid et de la salade républicaine!... Parlez-
moi d'un repas comme çal... je m'en suis
donné jusque-là!... Ça, je puis le dire!...Mais
enfin, ce sont des choses qui n'arrivent pas
tous les jours !... Et on n'est pas en vacances
toute l'année!,.. Avons-nous ri, mon Dieu!
avons-nous ri !... 11 y avait surtout ce petit per-
cepteur des contributions avec ses yeux en
boules de loto et sa barbe en couteau catalan
qui s'en est donné une bosse/... Qui est-ce
qui dirait qu'il a été autrefois brigand dans
les Calabres?... Ce que c'est que dz nous!...
Un homme si tranquille aujourd'hui !...(// fait
entendre ici un bruit dans lequel M. Gustave
Flaubert reconnaîtrait un hommage au dieu Cré-
pitus... Il fait un mouvement de. surprise et s'é-
crie : ) Qui a parlé?... (Il se penche avec inquié'
tude du côté de la ruelle du lit.) Qui est là?...
(Il tremble et se met à claquer des dents.) Qui
signifie ceci?... Quelqu'un se serait-il introduit
dans cet appartement?... M'aurait-on suivi?..-
Quelqu'un de la police, peut-être?... (// cache
sa tête dans ses mains et sanglotte.) C'est vrai !...
j'ai été bien imprudent!... Galantuomo m'en
saura-t-il gré seulement?... Ah I j'ai peut-être
mal fait!... Faut-il rendre ou non Nice à la
France? je me le demande, mon Dieu! je me
le demande!... (7/ tombe dans une méditation
profonde. Tout à coup il lui semble entendre
quelque chose qui remue dans les rideaux du HU
derrière lui. Il se retourne virement, et aperçoit*
dans son costume d'u étudiant errant » Méphis-
tophélès. D'une voix étranglé, il s'écrie : ) Que me
veux-tu, spectre?
méphisto, railleur.
Bien rugi, Piccon !
m. piccon.
Qu'est:ce?... qu'y a-t-il?... Pourquoi viens-
tu?...
MÉPHISTO.
Pour te rassurer !
m. piccon.
Toi !
méphisto.
Moi, Méphisto, serviteur fidèle, comme dit
le libretto.
M. PICCON.
Et tu viens pour me rendre confiance en
moi-même.
. mephisto.
Juste, cadet Piccon.
M. PICCON.
Alors, tu estimes que j'ai bien fait de dire
tantôt que Nice n'avait qu'une chose à faire •'
c'était de tourner le dos à la France !
MÉPHIsTO.
Parbleu I
m. PICCON.
Ahl ah! voilà un parbleu! dont je suis
charmé.
MÉPHISTO.
Suis bien mon raisonnement.
M. PICCON.
Je lui marche sur les talons.
méphisto.
C'est bien simple. Il suffit de comprendre
que les devins changent selon les temps et les
circonstances. Quand, il y a quelque treize
ans, on réunit ton pays à la France, l'Italie
était une petite contrée très-divisée, très-
morcellée, qui ne savait jamais ce qu'elle de-
viendrait le lendemain; il n'y avait nulle rai-
son d'y tenir...
M. PICCON.
A !a bonne heure !
MÉPHISTO.
Ajoute à cela que la France était dans un
état de splendeur sur lequel tu ne pouvais
pas te méprendre.
(1) Beauco*]» de bruit pour rien. (Shaksspbars.)
PRIME GRATUITE
Tonte personne de la province qui s'abon-
nera à un des journaux ci-après, par l'entre-
mise de M. Mapre, directeur-gérant du Grelot,
20, rue du Croissaut, à Paris, aura droit à un
abonnement gratuit au journal le GRELOT,
savoir :
Pour un abonnement d'un an : 6 mois au GRELOT.
_ de 6 mois : 3 mois ' j HP-
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Les prix qui précèdent sont, bien entendu, les prix
fixés par les administrations de chacun de ces jour-
naux.
Le songe d'une nuit... de printemps
11 est minuit.
La lune argenté doucement les arbres du
parc de Versailles et se joue sur les pièces
d'eau tranquilles et dormantes.
Un homme enveloppé d'un manteau couleur
de muraille, une valise à la main, se promène
dans les jardins, en jetant de temps en temps
un regard mélancolique sur le palais désert.
Monologue de l'homme au manuau couleur de
muraille.
Oui... je sais bien... ça ne lui a pas réussi,
la royauté... mais mon illustre aïeul était un
bon homme... pas tr ès-fort... tandis que moi...
je ne suis pas beaucoup plus fort que lui, c'est
vrai ; mais j'ai des conseillers qui s'appellent
Gavardie, Lorgerîl et Belcastel ; des généraux
qui s'appellent Du Temple, et ce serait bien
le diable si, avec des gens de cette valeur...
Il m'a semblé entendre du bruit dans ce mas-
sif... M'épierait-on?... ces diables de journaux
républicains ont bien su que j'étais à Ver-
sailles... Heureusement le Français a démenti
la nouvelle... ce qui fait que tout le monde en
est sûr... Eh bien, oui!... je suis à Versailles
et j'attends les événements !... j'attends môme
mieux que cela... Gavardie doit venir me
prendre ici ce soir même et me conduire chez
un marchand, qui a pour spécialité de fournir
aux prétendants une denrée indispensable à...
Cette fois, je ne me trompe pas !,.. on a mar-
ché... oui... une ombre se détache... Ce n'est
pas Gavardie... mon cœur aurait battu... De la
prudence, alors... et cachons-nous... jusqu'à
ce que... Le voilà... attention !...
(L'homme au manteau couleur de muraille se blot-
tit derrière une estatue, comme dit si élégamr
, ment mon concierge.)
Entrée d'un personnage étrange vêiu d'un costume
complet d'Auverpin.
l'auverpin
Minuit)., c'est l'iieure que Paui m'a dési-
gnée pour me conduire chez ce marchand
• dont la spécialité consiste à vendre aux pré-
- tendants une.denrée indispensable à la réus-
site de... Il me semble qu'on a éternué...
c'est peul-être moi... Mon Dieu ! que je suis
- donc bête!.. Si c'était moi, est-ce que. je ne
m'en serais pas aperçu?.. Décidément depuis
quelque temps je me ramollis un peu... Ah!
• les soucis de la politique, voilà!... Cette fois
on a éternué... j'en suis sûr... mais je suis
encore plus bête que je ne pensais !. .. c'est
moi, c'est bien moi... et je me prend pour un
autrel.. Ahl il est temps que cela finisse et
que le petit remonte sur le trône de son
excellent père... je me décatis.
{Apercvant l'homme au manteau couleur de mu-
raille qui s'est baissé pour ramasser sa taba-
tière et que la lun-- inonde d'une lumière bien-
faisante autant qu'indiscrète.)
Un homme!.. Paul!., est-ce vous? (Il
éternué.)
l'homme au manteau.
Il y a quelqu'un qui s'enrhume ici... a vos
souhaits!... est-ce vous, Gavardie?
l'auverpin.
Le Comte de Chambord !...
l'homme aU manteau.
M. Rouhert...
rouher.
Lui-même, Sire !...
le comte.
Oh! voilà qui es1 particulier 1... Je vous
croyais à Chislehurst.
rouher.
On vous disait à Froshdorf.
le comte.
Ce que c'est que les gazettes !...
rouher.
Ne m'en parlez pas !,.. Depuis que je fais
un jourual, je sais ce qu'en vaut l'aune.
le comte,
Avouez, cependant, que le Français est jo-
liment informé 1
rouher.
Ils sont deux comme cela. . le Français et
le Moniteur de la cordonnerie... Mais les au-
tres !...
le comte.
C'est pitoyable !... Ah! çà , voyons, mon
cher monsieur Rouher, nous pouvons bien,
entre nous, nous faire nos petites confiden-
ces... Où en êtes-vous?
rouher.
Mais je ne sais si je dois...
le comte.
Bah !... Allez-y donc...
rouher.
Eh bien, je vous avouerai, monseigneur,
que ça ne va pas mal., au contraire...
le comte.
Ah I ah!...
rouher.
Notre propagande mare ie un train d'en-
fer... et il se pourrait hier qu'à la rentrée de
la Chambre...
le comte.
C'est justement ce que m'écrivait hier Bel-
castel.
rouher, riant comme un cent de bossus.
Ali ! ah ! ah ! vous croyez à vos chances,
vous ?
le comte.
Quand Gavardie m'aura conduit chez le
marchand en question.
rouher.
Celui chez lequel je vais probab ement.
le comte.
Son nom, je vous prie?
roche .
Fortenpoigne, tient coups d'Etat en tous gen-
res, fait le neuf et le vieux, envoie à l'étranger,
contre remboursement.
le comte.
C'est mon homme !...
rouher.
Comme cela se rencontre 1...
le comte.
Et vous le connaissez, ce Fortenpoigne?
rouher. .
De réputation. 11 a déjà travaillé pour nous.
le comte.
Alors, puisque Gavardie ne vient pas, si
j'osais vous demander de me présenter.., vous
devez être bien dans la maison...
rouher.
Diable!... un concurrent!...
le comte.
Bah!.., nous nous entendrons toujours...
rouher, à part.
Pour les chances qu'il a !
le comte.
Et puis, vous ou un autré !..
rouher.
C'est juste.
le comte.
Nous en serons quittes pour mettre aux
enchères... comme à l'Hôtel des ventes.
rouher.
D'autar.t mieux que c'est la France qui
paiera.
le comte.
Adorable!
rouher.
Allons, c'est dit... après vous, monseigneur.
le COMTE.
Passez donc, je vous en prie.
(Les deux compères s'éloignent bras dessus
bras dessous.)
M. Tout le monde, qui prenait le frais et qui
a entendu la conversation :
— Eh bien, et papa?... Faudrait pourtant
voir à le consulter un peu, mes mignons!
NICOLAS FLAMMÈCHE.
LES CROCODILES
N'est-ce pas une chose admirable que la
conduite des légitimistes en ce moment?
Us n'ont qu'une seule préoccupation :
Préparer le plus de machines de guerre
possible, pour les faire manœuvrer à la
rentrée.
Us en ont déjà une quantité.
Et ils s'apprêtent à en jouer du mieux
qu'ils nourront, contre le gouvernement qu'ils
ont eux-mêmes établi.
Certainement pour les historiens de l'avenir
l'époque que nous traversons sera une des
plus curieuse qu'il leur sera donné d'étudier.
Car, à présent, on voit ce qu'on n'avait
jamais vu :
Les gens d'ordre chercher par tous les
moyens possibles à renverser le gouverne-
ment.
Et les perturbateurs chercher au contraire
à le maintenir.
Et ce qu'il y a de plus drôle, ledit gouver-
nement n'ayant de faveurs que pour ceux qui
veulent le jeter bas.
Et de rigueur que pour ceux qui veulent le
laisser debout.
Il est de fait qu'aujourd'hui, si le septennat
n'a pas déjà rejoint les neiges d'anlan, ce
n'est pas la faute des aimables perruques et
billes de billard qui regardent désespérément
du côté de Froshdorff et se donnent des torti-
colis à guetter l'arrivé de M. de Chambord;
Et que si au contraire, il commence à pren-
dre du ventre et à vouloir vivre, c'est grâce à
l'appui des républicains qui cependant n'ont
point souhaité sa venue, et ont juré un petit
quart d'heure en le voyant naître.
Plus tard, on ne s'expliquera pas ces choses.
On croira à une confusion.
E , comme disait Rabelais, à grand renfort de
besicles, on cheichera s'il n'y a pas eu une in-
terversion de termes dans tous les écrits de
ce temps.
Comment comprendre, en effet, que des
gens qui se disent des hommes d'ordre,
Qui ne veulent que le bien-être, la prospé
rité et la tranquillité de l'Etat,
Et qui ont vingt fois condamné tout ce qui
ressemble de près ou de loin à cette « agita-
tion politique » modérée si chère aux An-
glais,
N'aient pas en ce moment d'autre souci que
de produire le plus de désordre possible,
De jeter le trouble et le désarroi dans les
affaires et dans les esprits,
Et de se livrer à tous les petits tours qui
pourront agiter le pays?
Il n'y aura pas d'autre moyen d'expliquer la
chose que de traîner les individus par l'oreille
au grand jour,
Et de leur examiner un peu la denture :
Car au fond, tout cela n'est qu'une question
d'estornac,
Et le ventre joue un grand rôle dans le
débat.
Ce n'est pas de la tranquillité du pays,
Ni de sa richesse,
Ni de son bonheur,
Ni de l'ordre dans la rui qu'il s'agit.
Ce dont il s'agit,
C'est d'avoir les places,
D'occuper les ministères,
De posséder les caisses,
De tenir les administrations et les grands
commandements,
Et d'avoir « sa part de royauté, » comme
disait Barbier.
Voilà pourquoi les crocodiles de la droite
ont dévoré Thiers ;
Voilà pourquoi ils vaulent dévorer le sep-
tennat,
Et pourquoi ils chercheront à dévorer tous
les goouernements possibles qui ne leur jet-
teront pas entre les dents une proie dent ils
puissent se gaver jusqu'à l'indigestion.
Aussi, si j'étais le gouvernement, moi, je
commencerais par prendre une lime et je me
mettrais à l'ouvrage sans tarder.
HOMO.
MICII ADO A BOUT ÏV0TH1\G 1
SCÈNE I.
Une chambre à coucher. — Il fait nuit. — Mobi
lier modeste. — Du thé vert chauffe sur une
veilleuse placée sur la table denuit.—M. Piccon
revient d'un dîner officiel, où il a laissé autre
chose que du vin au fond de son verre. — Ses
idées sont légèrement troublées, ça se conçoit, et,
par esprit d'imitation, son estomac fait comme
ses idées. — Il est couché sur son lit, tout ha-
billè, et quelques éructations bruyantes annon-
cent qu'il ne sait pas trop bien lui-même com-
ment sa digestion va se terminer. )
m. piccon.
Diable!... je crois tout de même que le
chambertin est un vin légèrement pernicieux :
i me semble que tout tourne dans la cham-
bra m Les chaises valsent, la commode polke,
les p i| raits me font des grimaces, le piano a
des gargouillements dans le ventre... Sapristi !
pour un joli dîner, voilà un joli dîner!... C'é-
tait confortable et bien servi !... Rien du veau
froid et de la salade républicaine!... Parlez-
moi d'un repas comme çal... je m'en suis
donné jusque-là!... Ça, je puis le dire!...Mais
enfin, ce sont des choses qui n'arrivent pas
tous les jours !... Et on n'est pas en vacances
toute l'année!,.. Avons-nous ri, mon Dieu!
avons-nous ri !... 11 y avait surtout ce petit per-
cepteur des contributions avec ses yeux en
boules de loto et sa barbe en couteau catalan
qui s'en est donné une bosse/... Qui est-ce
qui dirait qu'il a été autrefois brigand dans
les Calabres?... Ce que c'est que dz nous!...
Un homme si tranquille aujourd'hui !...(// fait
entendre ici un bruit dans lequel M. Gustave
Flaubert reconnaîtrait un hommage au dieu Cré-
pitus... Il fait un mouvement de. surprise et s'é-
crie : ) Qui a parlé?... (Il se penche avec inquié'
tude du côté de la ruelle du lit.) Qui est là?...
(Il tremble et se met à claquer des dents.) Qui
signifie ceci?... Quelqu'un se serait-il introduit
dans cet appartement?... M'aurait-on suivi?..-
Quelqu'un de la police, peut-être?... (// cache
sa tête dans ses mains et sanglotte.) C'est vrai !...
j'ai été bien imprudent!... Galantuomo m'en
saura-t-il gré seulement?... Ah I j'ai peut-être
mal fait!... Faut-il rendre ou non Nice à la
France? je me le demande, mon Dieu! je me
le demande!... (7/ tombe dans une méditation
profonde. Tout à coup il lui semble entendre
quelque chose qui remue dans les rideaux du HU
derrière lui. Il se retourne virement, et aperçoit*
dans son costume d'u étudiant errant » Méphis-
tophélès. D'une voix étranglé, il s'écrie : ) Que me
veux-tu, spectre?
méphisto, railleur.
Bien rugi, Piccon !
m. piccon.
Qu'est:ce?... qu'y a-t-il?... Pourquoi viens-
tu?...
MÉPHISTO.
Pour te rassurer !
m. piccon.
Toi !
méphisto.
Moi, Méphisto, serviteur fidèle, comme dit
le libretto.
M. PICCON.
Et tu viens pour me rendre confiance en
moi-même.
. mephisto.
Juste, cadet Piccon.
M. PICCON.
Alors, tu estimes que j'ai bien fait de dire
tantôt que Nice n'avait qu'une chose à faire •'
c'était de tourner le dos à la France !
MÉPHIsTO.
Parbleu I
m. PICCON.
Ahl ah! voilà un parbleu! dont je suis
charmé.
MÉPHISTO.
Suis bien mon raisonnement.
M. PICCON.
Je lui marche sur les talons.
méphisto.
C'est bien simple. Il suffit de comprendre
que les devins changent selon les temps et les
circonstances. Quand, il y a quelque treize
ans, on réunit ton pays à la France, l'Italie
était une petite contrée très-divisée, très-
morcellée, qui ne savait jamais ce qu'elle de-
viendrait le lendemain; il n'y avait nulle rai-
son d'y tenir...
M. PICCON.
A !a bonne heure !
MÉPHISTO.
Ajoute à cela que la France était dans un
état de splendeur sur lequel tu ne pouvais
pas te méprendre.
(1) Beauco*]» de bruit pour rien. (Shaksspbars.)