LE GRELOT
Faux Bonshommes!
Nous avons reçu cette semaine un nombre
infini de lettres, toutes plus intéressantes les
unes que les autres, cela va sans dire.
Celles-ci nous demandant l'adresse du
meilleur pédicure ;
Celles-là, si nous n'avions pas songé à join-
dre à nos bureaux de rédaction un de ren-
seignements pour les nouirices, ce qui per-
mettrait aux jeunes mères de notre clientèle
d'assurer une bonne alimentation à-leurs bé-
bés, tout en venant renouveler leur abonne-
ment.
Nous avons compté dix-sept de ces épîtres
sollicitant comme une faveur l'envoi de la
photographie de notre dessinateur Le Petit.
(0 Alfred! Alfredl... Veinard, va!)
Moi, j'ai retrouvé un créancier complète-
ment égaré depuis onze ans.
(Comme c'est agréable, hein ?)
Enfin, nous n'avions qu'à choisir, parmi
cette correspondance drolatique et édifiante,
les morceaux les plus dignes de vous être of-
ferts, lorsqu'en fouillant dans le tas, nous
sommes restés littéralement épatés devant les
deux tranches de style épistolaire suivantes,
que nous avons l'honneur de vous soumettre.
El nous prendrons la liberté de vous faire
observer qu'à l'exemple du Paris-Journal ,
nous pourrions, tout comme lui, vous offrir
une prime sérieuse d'horlogerie.
Mais nous connaissons les lecteurs du Gre-
lot.
Leur âme est insensible à ces petits ca-
deaux, destinés plutôt à entretenir l'abonne-
ment que l'amitié.
Ils donneraient tous ces broc.antages pour
une lionne plaisanterie ou une charge amu-
sante.
Et, disons-le, ils sont bien dans le vrai.
Donc, la parole est aux deux gâteux qui
nous ont, cette semaine, honoré de leur con-
fiance.
N° i,
A M. Nicolas Flammèche, au journal le
Grelot. [Pas chez lui, surtout!... il n'y est ja-
mais. )
« Monsieur,
Un mot d'abord qui vous expliquera bien
des choses.
Je suis bonapartiste.
(Tant pis.)
Vous vous en étiez peut-être déjà douté.
{A quoi?)
Mais n'importe, je suis fier d'affirmer car-
rément mes opinions à la face d'un journa-
liste aussi distingué que vous.)
(7/ me (latte... il va me faire mon mouchoir.)
Donc, cher n onsieur Flammèche, c'est la
douleur dans le cœur et la mort dans l'âme
que je vous écris ces quelques lignes.
(Pauvre chat, va !)
Connaissez-vous M. Bauny?
(Pas du tout.)
Eh bien, monsieur, M. Bauny est un di-
gne officier en retraite, administrateur de
l'Ordre...
(Une sinécure____pardon. . continuez dont,
je vous en prit)
Ce brave M. Bauny profitait, païaît-il, de
tous les moments que ses fonctions lui lais-
saient de libre...
(La journée, alors.)
Pour préparer bien tranquillement, au-
tant du moins qu'il était en son pouvoir, le
remontage sur le trône du jeune prince impé-
rial... (pardon pour remontage , qui semble-
rail, à première vue,,faire prendre notre dy-
nastie pour une vieille paiie de bottes, mais
n'ayant pas, comme vous , l'habitude de la
plume...)
(Ça se voit bien.)
Donc, ce vieux et fidèle serviteur, écrivait
des circulaires, rédigeait des manifestes, s
démanchait enfin tant qu'il pouvait pour ra-
mener un jour son petit Louis chéri.
Et bien, cher monsieur, save.i-vous ce qu'on
lui a fait à cet nomme ?
(Non mats je m'en doute)
On l'a persécuté, monsieur!... indignement
persécuté I...
Un commissaire de police a pénétré dans
son humble domicile, a fouillé partout et
qu'est-ce qu'il a trouvé cet agent d'un pouvoir
tyranique?
Rien que des aigles !
(Ça devait sentir bon dans la chambre!)
Empaillés, bien entendu.
Or, je vous le demande, est-ce que sous le
gouvernement de la République il est défendu
d'aimer les oiseaux?
J'ai mon portier qui élève dix-huit s rins
chez lui, est-ce que jamais un commissaire de
police a osé?...
Tenez, c'est une infamie ! .
Et on ne s'en est pas tenu à M. Bauny !...
On a persécuté M.le colonel Piétri;
On a persécuté M. Jules Amigues;
On a persécuté M. Moureaux;
On a persécuté M. Le Brun de Rabot;
On a persécuté tout le. monde enfin t
Èf l'on va persécuter la semaine prochaine
le Pays!... le Pays, je vous le demande un
peu!., un journal qui ne fait pas autre chose
que de prêcher tant qu'il peut la concilia-
tion!... car c'est un fait bien connu de tout le
monde : quand on veut parler d'un journal
qui prêche la conciliation, on dit pauvre Pays
va! est-i! conciliant, hein?... Non, vrai, ça
ressemble quelquefois même à de la faiblesse.
Eh bien, n'importe, monsieur!
On va le persécuter tout de même.
Et voilà des gens qui reprochent à l'Empire
ses mœurs politiques!
Ah I elle est bien bonne, celle-là!
E-t-ce que jamais l'Empire a employé la
violence pour s'attirer les cœurs?
Est-ce qu'il a jamais persécuté personne?
Est-ce qu'il a supprimé des journaux?
Déporté des républicains?
Arrêté des députés?
Fusillé des libéraux?
Fouillé des domiciies?
Saisi des papiers?
Perté enfin quelque atteinte que ce soit à
la liberté individuelle?
Allons donc!
Tout le inonde sait bien le contraire.
Et voilà les gens que l'on persécute I
Des gens qui n'ont d'autre pensée que de
faire le bonheur de la France et vingt-cinq
mille livres de rente à tous les Français !
Car, il n'est personne qui ne sache que, si
le prince impérial remonte (toujours ce diable
de remontage) sur le trône paternel, les pay-
san., et les ouvriers auront vingt-cinq mille
livr. s de rente chacun.
C'est un fait avéré, cela.
Eh bien, cher monsieur Flammèche, vous
qui avez tai.t d'influence sur le ministère...
qui êtes si ion... si aimable... si spirituel...
si... (Il va ni'emprunter de l'argent).
Dites, je vous piie, un mot de ces indignes
persécuteurs dans votre plus prochain nu-
méro.
L'opinion publique sera certainement émue
d'un tel état de choses, l'Assemblée intervien-
dra et nous pourrons continuer tranquille-
ment notre petit commerce.
Ce ne sera que justice, convenez-en.
Tout à vous, cher monsieur, et mille fois
merci.
Tape-a-mort.
Ancien officier de paix...
N" 2
A monsieur Nicolas Flammèche, au journal le
Grelot.
Monsieur,
J' i été ce matin frappé d'un coup violent.
(Où ça?)
Eu ouvrant mon Univers, qu'est-ce que j'y
vois?
(La Lune?)
J'y vois que ce pauvre M. de Saint-Chéron
vient d'être persécuté.
(Tiens lui aussi?)
Un homme si pieux, monsieur!... un légi-
timiste si pur!... un écrivain si édifiant!
(Tenez ne m'en parlez pas ; ça fait venir les
larmes aux y eux.)
L'accuser tfe trop chauffer dans sa Corres-
pondance le retour de notre bien aimé sire, le
roi Henri, cinquième du nom!
Comme si ce n'était pas répondre d'avance
au vœu de la France entière ! et surtout de
nos braves paysans, que nous avons toujours
aimés !
(Va-t'en voir s'ils viennent, Jean!
Va t'en voir s'ils viennent!)
Ah! monsieur, c'est abominable!... et je
suis sûr qu'à cette nouvelle votre âme géné-
reuse s'est indignée.
(Js t'en souhaite ! J'en ai ri comme une petite
folle.)
Depuis quand, monv*eur, n'est-il plus per-
mis sous un gouvernement régulier de cons-
pirer tout à son aise?
Voilà quatre-vingts ans que nous conspi-
rons, sachez-le!... sans aucun succès, par
exemple. Mais enfin nous conservons la bonne
iradition.
Et l'on voudrait nous empêcher de trou-
bler le p iys par des menées aussi généreuses
que bruyantes?
Allons donc I
On s'en ferait mourir.
Un mot de vous, monsieur, dans votre
plus prochain numéro.
Nous savons en quels termes vous êtes
avt c le ministère.
(Ça se voit à la façon dont on refuse nos des-
sins.)
On entendra votre voix éloquente et l'on
bous permettra de continuer tranquillement
notre petit commerce.
En attendant le plaisir de vous lire,
agréez, etc., etc.
Marquis de CasTagnette.
Faux bonshommes! Faux bonshommes !
Heureusement, la France sait ce que va-
lent vos paroles et n'est pas votre dupe.
Nous ne ferons pas votre partie.
Vos cartes sont biseautées etvous avez troj
souvent tourné le roi.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
L'ABAISSEMENT DES CARACTERES
11 y a quelques jours, le ministre de l'inté-
rieur se plaignait à la Chambre de l'abaisse-
ment des caractères,
Et franchement il n'avait point tort.
Nous n'avons guère fait de progrès de cf
côté,
Et ce n'est pas M. Target qui donnera de
nous u:ie haute idée aux puissances euro-
péennes.
Les puissances européennes doivent se dire :
« Mâtin!
« Si c'est comme ça que sont bâtis les re-
présentants,
« Comment donc la masse du peuple est-
elle faite,
« Car il n'est pas supposable que les élec-
teurs français prennent pour les représenter
les plus mauvais d'entre eux. »
Et cependant,
Voyez la maie chance,
Cette fois encore les puissances européen-
nes se tromperaient.
Il est certain qu'il est peu d'hommes du
peuple qui eussent fait ce qu'a fait M. Target.
Quoi d'étonnant!
Dans la masse du peuple on intrigue peu,
— on a trop à travailler pour cela, — et il n'y
a rien comme le travail pour préserver de ra-
baissement du caractère.
Ce n'est que dans les hautes classes qu'on
sait se plier à ce qu'on a poliment appelé « les
exigences d'une situation ».
Là, il faut faire son chemin, — ses affaires,
— sa fortune,
Et le plus vite possible!
On n'a pas de temps à perdre.
On veut pourvoir ses enfants, — servir ses
amis, — élever les siens, — sans s'oublier
soi-même bien entendu;
Et on fait alors bien des choses qui ne sont
pas absolument cornéliennes !
L'homme qui laboure, qui travaille le bois,
le fer, qui tisse, n'a pas d'occasion de s'abais-
ser le caractère,
Aussi, maintenant encore, comme du temps
de Courier, celui qui fait tout ce qui se fait sans
se vanter, sans rien dire, vaut-il mieux que la
cour ou ce qui aspire à le devenir.
Ce n'est qu'à ce contact qu'il s'amoindrit,
Et que « la roture déroge ».
Le peuple n'a pas baissé;
Il vaut autant, sinon mieux que le peuple d'il
y a cent ans :
Qu'on en dise autant des classes supé-
rieures !
Les qualités chevaleresques du temps passé
qui parfois semblaient justifier chez certains
hommes l'élévation et la fortune où on les
voyait,
Que sont-elles devenues?...
Mais où sont les neiges d'antan?
R.
LE COMITÉ DE RATAPOIL
Feu Ratapoil aîné.......Spectre.
Ralapoil cadet.........Son fils.
Frankaspie..........\
Rouable...........I Membres
Cigognac ....... • .. • • • > du, comité.
Du Marais de la Faisanderie . . . \
Février de la Botte......./
Craçhillon, agent d'affaires politiques et direc-
teur de théâtre.
Molardin, son commis et aboyeur.
Vh tlut— restreint — du peuple enthousiaste. —
Fonctionnaires, gardes-champêtres et autres
bipèdes généralement plus ou moins payés.
(La scène se passe au grand théâtre de l'Appel
au pmple. — Et dzim lai boum!... Dzim lac
boum !... En avant, la musique!)
SCÈNE I.
Au contrôle
craçhillon, qui tient la caisse.
Psitt eh! là-bas! Molardin!... qu'est-ce
que tu fais ?
molardin.
Je fais l'appel au peuple !
craçhillon.
Ça mord-il ?
molardin.
Pas trop !... Le public n'a pas l'air de cou-
per dans le boniment !
craçhillon.
Et dire qu'il n'y a encore dans le salon que
Portali et le prince Napoléon, avec les ré-
dacteurs de l'Avenir national !... Allons,
voyons, un peu de brio !... Encore un coup
de gueule !... Il faut décider le monde à en-
trer, autrement ces messieurs joueront de-
vant les banquettes, et ce soir, à la recette, le
patron fera un nez, je ne te dis que ça !... Du
poumon, Molardin , du poumon!... On joue
aujourd'hui la grande pièce, à grand specta-
cle, avec les grands acteurs et les grands ta-
bleaux, texte et musique de feu Ratapoil aîné,
intitulée : ('Empire, c'est la paie !... Allez, la
grosse caisse !
molardin, répétant à la porte du théâtre.
La grande pièce, à grand spectacle, avec les
grands acteurs et les grands tableaux, texte et
musique de feu Ralapoil aîné, intitulée :I'Em-
pire, c'est la paie!... Entrez, messieurs et
dames, entrez !... Suivez le monde!... (Quel-
ques personnes entrent et défilent devant Craçhil-
lon, qui reçoit la monnaie avec tous les signes
d'une jubilation non équivoque.)
craçhillon, à Molardin.
Dis qu'on fera paraître feu Ratapoil lui-
même !
molardin.
Mais, patron, est-ce qu'on l'a rapporté de
( liez le machiniste?...
craçhillon.
Oui, oui, ne t'inquiète pas 1...
molardin, à la porte du théâtre.
Le spectacle sera terminé par l'évocation
de feu Ratapoil lui-même !... Cette figure es-
sentiellement populaire, et qui a fait les déli-
ces de toutes les cours de l'Europe et de quel-
ques souverains étrangers, apparaîtra ce soir
devant le public pour la première fois qu'elle
a été réparée à neuf!... Allons, mesdames et
messieurs, entrez 1... Le prix des places n'est
pas augmenté !... Il n'en coûte que quarante
millions par an pour toute la France !... Les
soldats et les bonnes d'enfant ne paieront
pas!.,. Allons, mesdames et messieurs, hâtez-
vous de jouir de ce beau et intéressant spec-
tacle... (Un certain nombre de personnes des
deux sexes gravissent les quelques escaliers de
bois qui conduisent dans l'intérieur de la barra-
que.)
craçhillon.
Ça va bien I... ça va bien !... (A part.) En-
foncés, les badauds !
SCÈNE II.
Dans lu Nulle
L'intérieur d'un théâtre garni de monde. —
Quelques clarinettes, trois tambours, un cornet à
pistons, deux grosses caisses et un chapeau chi-
nois composent l'orchestre. — Dans la claque, on
aperçoit M. Clément Laurier qui s'est assis, pat-
erreur sans doute, sur les bancs des chevaliers du
lustre. — M. Gambetta est au balcon et made-
moiselle Alice Regnault aux avant-scènes. — Le
parterre semble en proie à une vive curiosité; des
cris : La pièce! la pièce! se font entendre.—En-
fin, les trois coups du régisseur retentissent et
la toile se lève.
Or, voici ce que représente le tableau quelle
découvre.
Sur le devant de la scène, Rouable adresse un
discours de longue haleine à une bande de
paysans en sabots qui t'écoutent la bouche
béante.
A droite du public, Cigognac, une longue ra-
pière pendue au côté, et le chapeau à plume d'au-
truche sur l'oieille droite, semble attendre quel-
qu'un, et se promène d'un air de tranchemon-
tagne.
A gauche, du Marais de la Faisanderie ayant
'levant lui une table de prestidigitation, exécute
des tours de passe-passe variés : il a à côté de
lui un mât pavoisé au sommet duquel flotte une
ùauderolle en calicot ou on lit : Ecole du fonc-
tionnaire.
Le fond du théâtre représente vn restaurant
à par lie fine; à l'une des fenêtres du premier
étage, on voit dans un étal de débraillemenl
plus que suffisant pour outrager la morale pu-
blique, Février de la Botte qui sable du Champa-
gne en compagnie de quelques joyeux drôles de
son bord.
Quant à Francaspic, il parcourt les différents
groupes en offrant à chacun des papiers rouges,
verts, jaunes, bleus dont on va comprendre bien-
tôt la signification.)
rouable, aux paysans.
Mes amis, l'Empire, voyez-vous, c'est la
paiel... Avez-vous jamais vu un temps où on
vendit aussi bien les carottes !...
un paysan.
Ça, c'est vrai 1
rouable.
Vous vendiez tu ut le. i .wble plus cher qu'au-
paravant... Il est vrai _ue les o-ivrioc» des
I
Faux Bonshommes!
Nous avons reçu cette semaine un nombre
infini de lettres, toutes plus intéressantes les
unes que les autres, cela va sans dire.
Celles-ci nous demandant l'adresse du
meilleur pédicure ;
Celles-là, si nous n'avions pas songé à join-
dre à nos bureaux de rédaction un de ren-
seignements pour les nouirices, ce qui per-
mettrait aux jeunes mères de notre clientèle
d'assurer une bonne alimentation à-leurs bé-
bés, tout en venant renouveler leur abonne-
ment.
Nous avons compté dix-sept de ces épîtres
sollicitant comme une faveur l'envoi de la
photographie de notre dessinateur Le Petit.
(0 Alfred! Alfredl... Veinard, va!)
Moi, j'ai retrouvé un créancier complète-
ment égaré depuis onze ans.
(Comme c'est agréable, hein ?)
Enfin, nous n'avions qu'à choisir, parmi
cette correspondance drolatique et édifiante,
les morceaux les plus dignes de vous être of-
ferts, lorsqu'en fouillant dans le tas, nous
sommes restés littéralement épatés devant les
deux tranches de style épistolaire suivantes,
que nous avons l'honneur de vous soumettre.
El nous prendrons la liberté de vous faire
observer qu'à l'exemple du Paris-Journal ,
nous pourrions, tout comme lui, vous offrir
une prime sérieuse d'horlogerie.
Mais nous connaissons les lecteurs du Gre-
lot.
Leur âme est insensible à ces petits ca-
deaux, destinés plutôt à entretenir l'abonne-
ment que l'amitié.
Ils donneraient tous ces broc.antages pour
une lionne plaisanterie ou une charge amu-
sante.
Et, disons-le, ils sont bien dans le vrai.
Donc, la parole est aux deux gâteux qui
nous ont, cette semaine, honoré de leur con-
fiance.
N° i,
A M. Nicolas Flammèche, au journal le
Grelot. [Pas chez lui, surtout!... il n'y est ja-
mais. )
« Monsieur,
Un mot d'abord qui vous expliquera bien
des choses.
Je suis bonapartiste.
(Tant pis.)
Vous vous en étiez peut-être déjà douté.
{A quoi?)
Mais n'importe, je suis fier d'affirmer car-
rément mes opinions à la face d'un journa-
liste aussi distingué que vous.)
(7/ me (latte... il va me faire mon mouchoir.)
Donc, cher n onsieur Flammèche, c'est la
douleur dans le cœur et la mort dans l'âme
que je vous écris ces quelques lignes.
(Pauvre chat, va !)
Connaissez-vous M. Bauny?
(Pas du tout.)
Eh bien, monsieur, M. Bauny est un di-
gne officier en retraite, administrateur de
l'Ordre...
(Une sinécure____pardon. . continuez dont,
je vous en prit)
Ce brave M. Bauny profitait, païaît-il, de
tous les moments que ses fonctions lui lais-
saient de libre...
(La journée, alors.)
Pour préparer bien tranquillement, au-
tant du moins qu'il était en son pouvoir, le
remontage sur le trône du jeune prince impé-
rial... (pardon pour remontage , qui semble-
rail, à première vue,,faire prendre notre dy-
nastie pour une vieille paiie de bottes, mais
n'ayant pas, comme vous , l'habitude de la
plume...)
(Ça se voit bien.)
Donc, ce vieux et fidèle serviteur, écrivait
des circulaires, rédigeait des manifestes, s
démanchait enfin tant qu'il pouvait pour ra-
mener un jour son petit Louis chéri.
Et bien, cher monsieur, save.i-vous ce qu'on
lui a fait à cet nomme ?
(Non mats je m'en doute)
On l'a persécuté, monsieur!... indignement
persécuté I...
Un commissaire de police a pénétré dans
son humble domicile, a fouillé partout et
qu'est-ce qu'il a trouvé cet agent d'un pouvoir
tyranique?
Rien que des aigles !
(Ça devait sentir bon dans la chambre!)
Empaillés, bien entendu.
Or, je vous le demande, est-ce que sous le
gouvernement de la République il est défendu
d'aimer les oiseaux?
J'ai mon portier qui élève dix-huit s rins
chez lui, est-ce que jamais un commissaire de
police a osé?...
Tenez, c'est une infamie ! .
Et on ne s'en est pas tenu à M. Bauny !...
On a persécuté M.le colonel Piétri;
On a persécuté M. Jules Amigues;
On a persécuté M. Moureaux;
On a persécuté M. Le Brun de Rabot;
On a persécuté tout le. monde enfin t
Èf l'on va persécuter la semaine prochaine
le Pays!... le Pays, je vous le demande un
peu!., un journal qui ne fait pas autre chose
que de prêcher tant qu'il peut la concilia-
tion!... car c'est un fait bien connu de tout le
monde : quand on veut parler d'un journal
qui prêche la conciliation, on dit pauvre Pays
va! est-i! conciliant, hein?... Non, vrai, ça
ressemble quelquefois même à de la faiblesse.
Eh bien, n'importe, monsieur!
On va le persécuter tout de même.
Et voilà des gens qui reprochent à l'Empire
ses mœurs politiques!
Ah I elle est bien bonne, celle-là!
E-t-ce que jamais l'Empire a employé la
violence pour s'attirer les cœurs?
Est-ce qu'il a jamais persécuté personne?
Est-ce qu'il a supprimé des journaux?
Déporté des républicains?
Arrêté des députés?
Fusillé des libéraux?
Fouillé des domiciies?
Saisi des papiers?
Perté enfin quelque atteinte que ce soit à
la liberté individuelle?
Allons donc!
Tout le inonde sait bien le contraire.
Et voilà les gens que l'on persécute I
Des gens qui n'ont d'autre pensée que de
faire le bonheur de la France et vingt-cinq
mille livres de rente à tous les Français !
Car, il n'est personne qui ne sache que, si
le prince impérial remonte (toujours ce diable
de remontage) sur le trône paternel, les pay-
san., et les ouvriers auront vingt-cinq mille
livr. s de rente chacun.
C'est un fait avéré, cela.
Eh bien, cher monsieur Flammèche, vous
qui avez tai.t d'influence sur le ministère...
qui êtes si ion... si aimable... si spirituel...
si... (Il va ni'emprunter de l'argent).
Dites, je vous piie, un mot de ces indignes
persécuteurs dans votre plus prochain nu-
méro.
L'opinion publique sera certainement émue
d'un tel état de choses, l'Assemblée intervien-
dra et nous pourrons continuer tranquille-
ment notre petit commerce.
Ce ne sera que justice, convenez-en.
Tout à vous, cher monsieur, et mille fois
merci.
Tape-a-mort.
Ancien officier de paix...
N" 2
A monsieur Nicolas Flammèche, au journal le
Grelot.
Monsieur,
J' i été ce matin frappé d'un coup violent.
(Où ça?)
Eu ouvrant mon Univers, qu'est-ce que j'y
vois?
(La Lune?)
J'y vois que ce pauvre M. de Saint-Chéron
vient d'être persécuté.
(Tiens lui aussi?)
Un homme si pieux, monsieur!... un légi-
timiste si pur!... un écrivain si édifiant!
(Tenez ne m'en parlez pas ; ça fait venir les
larmes aux y eux.)
L'accuser tfe trop chauffer dans sa Corres-
pondance le retour de notre bien aimé sire, le
roi Henri, cinquième du nom!
Comme si ce n'était pas répondre d'avance
au vœu de la France entière ! et surtout de
nos braves paysans, que nous avons toujours
aimés !
(Va-t'en voir s'ils viennent, Jean!
Va t'en voir s'ils viennent!)
Ah! monsieur, c'est abominable!... et je
suis sûr qu'à cette nouvelle votre âme géné-
reuse s'est indignée.
(Js t'en souhaite ! J'en ai ri comme une petite
folle.)
Depuis quand, monv*eur, n'est-il plus per-
mis sous un gouvernement régulier de cons-
pirer tout à son aise?
Voilà quatre-vingts ans que nous conspi-
rons, sachez-le!... sans aucun succès, par
exemple. Mais enfin nous conservons la bonne
iradition.
Et l'on voudrait nous empêcher de trou-
bler le p iys par des menées aussi généreuses
que bruyantes?
Allons donc I
On s'en ferait mourir.
Un mot de vous, monsieur, dans votre
plus prochain numéro.
Nous savons en quels termes vous êtes
avt c le ministère.
(Ça se voit à la façon dont on refuse nos des-
sins.)
On entendra votre voix éloquente et l'on
bous permettra de continuer tranquillement
notre petit commerce.
En attendant le plaisir de vous lire,
agréez, etc., etc.
Marquis de CasTagnette.
Faux bonshommes! Faux bonshommes !
Heureusement, la France sait ce que va-
lent vos paroles et n'est pas votre dupe.
Nous ne ferons pas votre partie.
Vos cartes sont biseautées etvous avez troj
souvent tourné le roi.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
L'ABAISSEMENT DES CARACTERES
11 y a quelques jours, le ministre de l'inté-
rieur se plaignait à la Chambre de l'abaisse-
ment des caractères,
Et franchement il n'avait point tort.
Nous n'avons guère fait de progrès de cf
côté,
Et ce n'est pas M. Target qui donnera de
nous u:ie haute idée aux puissances euro-
péennes.
Les puissances européennes doivent se dire :
« Mâtin!
« Si c'est comme ça que sont bâtis les re-
présentants,
« Comment donc la masse du peuple est-
elle faite,
« Car il n'est pas supposable que les élec-
teurs français prennent pour les représenter
les plus mauvais d'entre eux. »
Et cependant,
Voyez la maie chance,
Cette fois encore les puissances européen-
nes se tromperaient.
Il est certain qu'il est peu d'hommes du
peuple qui eussent fait ce qu'a fait M. Target.
Quoi d'étonnant!
Dans la masse du peuple on intrigue peu,
— on a trop à travailler pour cela, — et il n'y
a rien comme le travail pour préserver de ra-
baissement du caractère.
Ce n'est que dans les hautes classes qu'on
sait se plier à ce qu'on a poliment appelé « les
exigences d'une situation ».
Là, il faut faire son chemin, — ses affaires,
— sa fortune,
Et le plus vite possible!
On n'a pas de temps à perdre.
On veut pourvoir ses enfants, — servir ses
amis, — élever les siens, — sans s'oublier
soi-même bien entendu;
Et on fait alors bien des choses qui ne sont
pas absolument cornéliennes !
L'homme qui laboure, qui travaille le bois,
le fer, qui tisse, n'a pas d'occasion de s'abais-
ser le caractère,
Aussi, maintenant encore, comme du temps
de Courier, celui qui fait tout ce qui se fait sans
se vanter, sans rien dire, vaut-il mieux que la
cour ou ce qui aspire à le devenir.
Ce n'est qu'à ce contact qu'il s'amoindrit,
Et que « la roture déroge ».
Le peuple n'a pas baissé;
Il vaut autant, sinon mieux que le peuple d'il
y a cent ans :
Qu'on en dise autant des classes supé-
rieures !
Les qualités chevaleresques du temps passé
qui parfois semblaient justifier chez certains
hommes l'élévation et la fortune où on les
voyait,
Que sont-elles devenues?...
Mais où sont les neiges d'antan?
R.
LE COMITÉ DE RATAPOIL
Feu Ratapoil aîné.......Spectre.
Ralapoil cadet.........Son fils.
Frankaspie..........\
Rouable...........I Membres
Cigognac ....... • .. • • • > du, comité.
Du Marais de la Faisanderie . . . \
Février de la Botte......./
Craçhillon, agent d'affaires politiques et direc-
teur de théâtre.
Molardin, son commis et aboyeur.
Vh tlut— restreint — du peuple enthousiaste. —
Fonctionnaires, gardes-champêtres et autres
bipèdes généralement plus ou moins payés.
(La scène se passe au grand théâtre de l'Appel
au pmple. — Et dzim lai boum!... Dzim lac
boum !... En avant, la musique!)
SCÈNE I.
Au contrôle
craçhillon, qui tient la caisse.
Psitt eh! là-bas! Molardin!... qu'est-ce
que tu fais ?
molardin.
Je fais l'appel au peuple !
craçhillon.
Ça mord-il ?
molardin.
Pas trop !... Le public n'a pas l'air de cou-
per dans le boniment !
craçhillon.
Et dire qu'il n'y a encore dans le salon que
Portali et le prince Napoléon, avec les ré-
dacteurs de l'Avenir national !... Allons,
voyons, un peu de brio !... Encore un coup
de gueule !... Il faut décider le monde à en-
trer, autrement ces messieurs joueront de-
vant les banquettes, et ce soir, à la recette, le
patron fera un nez, je ne te dis que ça !... Du
poumon, Molardin , du poumon!... On joue
aujourd'hui la grande pièce, à grand specta-
cle, avec les grands acteurs et les grands ta-
bleaux, texte et musique de feu Ratapoil aîné,
intitulée : ('Empire, c'est la paie !... Allez, la
grosse caisse !
molardin, répétant à la porte du théâtre.
La grande pièce, à grand spectacle, avec les
grands acteurs et les grands tableaux, texte et
musique de feu Ralapoil aîné, intitulée :I'Em-
pire, c'est la paie!... Entrez, messieurs et
dames, entrez !... Suivez le monde!... (Quel-
ques personnes entrent et défilent devant Craçhil-
lon, qui reçoit la monnaie avec tous les signes
d'une jubilation non équivoque.)
craçhillon, à Molardin.
Dis qu'on fera paraître feu Ratapoil lui-
même !
molardin.
Mais, patron, est-ce qu'on l'a rapporté de
( liez le machiniste?...
craçhillon.
Oui, oui, ne t'inquiète pas 1...
molardin, à la porte du théâtre.
Le spectacle sera terminé par l'évocation
de feu Ratapoil lui-même !... Cette figure es-
sentiellement populaire, et qui a fait les déli-
ces de toutes les cours de l'Europe et de quel-
ques souverains étrangers, apparaîtra ce soir
devant le public pour la première fois qu'elle
a été réparée à neuf!... Allons, mesdames et
messieurs, entrez 1... Le prix des places n'est
pas augmenté !... Il n'en coûte que quarante
millions par an pour toute la France !... Les
soldats et les bonnes d'enfant ne paieront
pas!.,. Allons, mesdames et messieurs, hâtez-
vous de jouir de ce beau et intéressant spec-
tacle... (Un certain nombre de personnes des
deux sexes gravissent les quelques escaliers de
bois qui conduisent dans l'intérieur de la barra-
que.)
craçhillon.
Ça va bien I... ça va bien !... (A part.) En-
foncés, les badauds !
SCÈNE II.
Dans lu Nulle
L'intérieur d'un théâtre garni de monde. —
Quelques clarinettes, trois tambours, un cornet à
pistons, deux grosses caisses et un chapeau chi-
nois composent l'orchestre. — Dans la claque, on
aperçoit M. Clément Laurier qui s'est assis, pat-
erreur sans doute, sur les bancs des chevaliers du
lustre. — M. Gambetta est au balcon et made-
moiselle Alice Regnault aux avant-scènes. — Le
parterre semble en proie à une vive curiosité; des
cris : La pièce! la pièce! se font entendre.—En-
fin, les trois coups du régisseur retentissent et
la toile se lève.
Or, voici ce que représente le tableau quelle
découvre.
Sur le devant de la scène, Rouable adresse un
discours de longue haleine à une bande de
paysans en sabots qui t'écoutent la bouche
béante.
A droite du public, Cigognac, une longue ra-
pière pendue au côté, et le chapeau à plume d'au-
truche sur l'oieille droite, semble attendre quel-
qu'un, et se promène d'un air de tranchemon-
tagne.
A gauche, du Marais de la Faisanderie ayant
'levant lui une table de prestidigitation, exécute
des tours de passe-passe variés : il a à côté de
lui un mât pavoisé au sommet duquel flotte une
ùauderolle en calicot ou on lit : Ecole du fonc-
tionnaire.
Le fond du théâtre représente vn restaurant
à par lie fine; à l'une des fenêtres du premier
étage, on voit dans un étal de débraillemenl
plus que suffisant pour outrager la morale pu-
blique, Février de la Botte qui sable du Champa-
gne en compagnie de quelques joyeux drôles de
son bord.
Quant à Francaspic, il parcourt les différents
groupes en offrant à chacun des papiers rouges,
verts, jaunes, bleus dont on va comprendre bien-
tôt la signification.)
rouable, aux paysans.
Mes amis, l'Empire, voyez-vous, c'est la
paiel... Avez-vous jamais vu un temps où on
vendit aussi bien les carottes !...
un paysan.
Ça, c'est vrai 1
rouable.
Vous vendiez tu ut le. i .wble plus cher qu'au-
paravant... Il est vrai _ue les o-ivrioc» des
I