LE GRELOT
LA SEMAINE
Semaine bien remplie, il faut le dire!
D'abord nous avons eu deux journaux frap-
pés : l'Union et {Événement.
Plus une note au vinaigre envoyée à la Ré-
publique française;
Plus une contre-note, une raison vinaigrée
adressée au Journal des Débats;
Plus un communiqué déposé à la première
colonne du XIX Siècle.
Plus...
Je crois que c'est tout.
Mais pour une semaine il ne faut pas se mon-
trer trop exigeant, n'est-ce pas?
Je n'ai pas à revenir sur l'éreintement que
Veui Ilot a cru devoir, dans sa vérité, administrer
au maréchal Serrano.
Le bâtoniste de {'Univers appelant Serrano
un Alphonse n'a rien qui nous étonne.
On sait l'urbanité qui distingue la polémique
de notre confrère.
Je ne suis pas fâché, entre nous, qu'on l'ait
rappelé à l'ordre, tout en déplorant qu'on
n'ait pas laissé ce soin au conseil de salubrité.
Il y a de ces articles qu'on balaye le matin.
Mais ce que le. Grelot ne pourra jamais di-
gérer, même avec l'aide du thé le plus éner-
gique, c'est que l'administration s'ingère dans
les discussions de boutique et prétende régle-
menter la façon dont une thèse est défendue
dans un journal.
Ainsi voilà ce pauvre Journal des Débals au-
quel on donne de la férule parce qu'il, a osé
dire que celui qui n'est pas pour la République
est pour £ Empire.
J'ai beau faire passer cette phrase au crible
de la critique la plus sévère, je n'y vois rien qui
puisse mériter les foudres de l'administration.
Voyons, ma bonne censure, il faudrait s'en-
tendre.
11 n'y a que les royalistes qui puissent se
fâcher d'avoir été omis par notre contrère.
Mais alors, est-ce que*...
Hein?... qu'en pensez-vous?
Car enfin il est bien évident que la question
tend de jour en jour à se préciser.
De tous les partis qui nous déchirent, il n'y
en a réellement que deux en présence.
M. de Chambord est passé à l'étal de premier
comique en tous genres; les d'Orléans n'existent
plus qu'à l'état de chasseur et de touristes.
(Voir le duc d'Aumale.)
Que r=>sle-t-il donc sur la brèche?
Les républicains et les bonapartistes.
Où est le mal de dire que tous ceux qui ne
se rallient pas à la République préparent for-
cément l'Empire?
C'est, absolument comme si on vous envoyait
passer six mois à la Nouvelle-Calédonie pour
avoir afiirmé que lorsqu'il ne fait pas jour, il
fait forcément nuit.
Donc nous ne comprenons pas trop bien la
colère d'Anastasie.
Mais il y a, à l'heure qu'il est, tint de choses
auxquelles il est impossible de rien compren-
dre !
C'est égal, le Grelot, au risque de s'exposer
à toutes les rigueurs de l'administration offre
un pleurà son grand confrère, et prie le Journal
des Débats de recevoir l'assurance de toute sa
sympathie... et de son étonnement le plus
corsé.
férence que l'ex-empereur avait cru devoir
dans un bon mouvement, rendre ce brave sol
dat à la société.
On est reconnaissant, ou on ne l'est pas.
Ne pouvant rien faire de mieux pour le bo
naparlisme, le capitaine a voulu contribuer à
en délivrer une des têtes de colonne.
Vous ajouterez cela à vos états de service,
capitaine.
Et si vous n'avez pas d'avancement le jour
de la rentrée du numéro IV, c'est que les
hommes seront bien ingrats!
NICOLAS FLAMMÈCHE.
Nous avons eu, comme pendant à ces scènes
dramatiques, un épisode assez gai que nous a
fourni la réception du nouvel ambas-adeur
d'Espagne, M. le marquis de la Vega-Armijo.
Ce noble hidalgo, dans un discours plein
d'une dignité castillane, a bien voulu recon-
naître que la France était encore trop heureuse
d'avoir à saluer son gouvernement, en laissant
entendre que si nous étions bien sages, on
pourrait voir à Madrid à nous envoyer comme
par le passé des guitares et des castagnettes.
Merci, marquis 1
Ma;s, en vérité, vous êtes trop bon... Il ne
fallait pas vous déranger pour si peu. Nous
comptons encore pour quelque chose, soyez-
en sûr et nous n'avons guère besoin de vos
compliments de condoléance.
Je sais bien que l'Allemagne est dans votre
jeu, ce qui vous rend tout fier.
Vous verrez ce qu'il vous en cuira, du
reste... et avant peu.
Mein herr de Bismark vous réserve un de
ces boléros !...
Je ne vous dis que ça, marquis; je ne vous
dis que ça.
Rien ne manquera à Bazaine pour que son
histoire passe à la postérité la plus reculée.
Voilà maintenant que ça se complique d'un
déguisement qui n'obtiendrait qu'uri succès
d'estime tout au plus à l'Ambigu.
Il parai! que la rameuse de la barque qui a
escamoté l'illustre défenseur de Metz, était
un rameur.
Et ce rameur, c'était le capitaine Doineau,
ex-condamné comme Bazaine, avec cette dit'-
CE QUI REMPLACE TOUT
Vous avez envie de devenir député, — je
suppose...
C'est une singulière idée, c'est vrai,
Mais le monde est si bizarre, — et puis, tous
les goûts sont dans la nature, n'est-ce pas !
Donc, vous avez celte envie.
Alors, vous vous mettez devant votre glace;
Vous vous regàrdez bien dans le blanc des
yeux,
Et vous vous dites :
« C'est égal, mon gaillard, tu as un rude
toupet!
« Voyons,
« Tu veux devenir député I
« Quel titre as-tu à être nommé !
« Aucun, mon garçon, tu es bien forcé de
le reconnaître !
« Tu n'es ni un orateur,
« Ni un savant,
« Ni un homme politique,
« Ni, comme disait Figaro, quelqu'un qui
tienne à quelque chose, —
« Et cependant, ça te démange 1
« Tu veux faire ton petit chemin dans le
monde!
« Tu veux te pousser !
« Tu veux devenir M. de Fiolle-moi-la-
Manche!
« Mais le moyen 1
« Car, enfin, si tu te présentes tel que tu es,
- les électeurs se gausseront de toi, et tu
auras bien dix-septvoix en comptant la tienne :
« Que faire!
« Eh ! parbleu! c'est bien simple!
« Soyons candidat officiel I »
Vous vous mettez candidat officiel,
Et tout est dit.
Ça n'est pas plus malin que ça!...
Sous l'Empire c'est ainsi que ça se passait :
Dès qu'on était candidat officiel,
On ne vous demandait pas seulement si
vous saviez lire;
Les instituteurs et fonctionnaires à tout poil
vous portaient aux nues,
Et les soupières de Janvier de la Motte vous
tendaient les bras!...
Il parait que ce sont ces temps fortunés que
l'on cherche à nous ramener.
YYY.
LE DUEL
DE M. ALPHONSE ET DE M. VEUILLOT
Le concert avant l'orage
A la suite du remarquable article qui a valu
à Y Univers quinze jours de suspension, et dans
lequel, — on s'en souvient, —le gracieux ré-
dacteur de celte feuille ultrà-papisle traitait
le maréchal Serrano de « M. Alphonse », —
tout le clan vénérable des ganaches légiti-
mistes accourut présenter ses félicitations à
M. Louis Veuillot.
Il y avait tant de monde que l'excellent Eu-
gène ne savait plus où donner de la tête.
Les bureaux de Y Univers étaient littérale-
ment encombrés : on y voyait M. le général
Du Temple, M. Jean Brunet, le marquis de
Franclieu, le jeune M. Changarnier, l'hé-
roïque M. de Cazenove de Pradines, et toutes
les gloires de la presse religieuse, Coquille,
Poujoulàt, Laurentie et tutti quanti.
On serrait avec affection les mains de
M. Veuillot.
On relisait son article dans les coins, en
poussant des petits :
— Ah! mon frère! comme c'est dil! comme
c'est torché!
Ah! qu'en termes galants ces choses-là sont mises!
Faut-il qu'un gouvernement ait peu de
cœur pour ne point faire grâce à une littéra-
ture aussi colorée et aussi saine!... Ça vous
fait l'effet d'un baume sur l'estomac!
Et le jeune M. Changarnier faisait des signes
de croix.
Et l'héroïque M. Cazenove de Pradines jurait
par les saints qu'à la rentrée le ministre le
payerait cher.
Bref, on agitait en l'air les mouchoirs
blancs, — dans lesquels de temps en temps
on versait un pleur; — et M. Veuillot palpait
avec une satisfaction évidente le tubercule
qui lui sert de nez, quand tcut à coup une
porte s'ouvrit avec fracas, et un garçon de
bureau s'avançant vers le rédacteur en chef
de Y Univers, lui lendit un papier plié en qua-
tre, en s'écriant :
Seigneur, c'est une lettre
Qu'en vos propres mains on m'a dit de remettre !
Quelle était cette lettre?
M. Louis Veuillot saisit cette lettre avec em-
pressement.
Peut-être crût-il un instant que c'étaient les
compliments de condoléances de l'évêché sur
la suppression de son journal!
Hélas!
Mystère et pisciculture!
En examinant la suscription de la lettre, il
s'aperçut que cette écriture lui étail complé
tement inconnuel
Néanmoins, il rompit le cachet.
Et il lut...
Horreur !
Voilà ce qu'on lai écrivait :
Texte original
« Mon petit vieux,
« Tu n'es pas gêné, tu sais !
« Va toujours !
« Prends-en à ton aise!
« Mais, — patience, — tout cela va se ré-
gler entre nous deux...
« Ce début, n'est-ce pas, t'indique suffi-
samment que j'ai lu ton article, — et que ça
ne peut pas me convenir.
« Quand je dis à moi, — je me trompe.
« A moi, ça m'est bien indifférent.
« Mais c'est à la petite Corhonnette!
« Tu sais bien, la petite Cochonnelle!...
«Béoui! parbleu! celle qui est tous les
soirs au café des Princes, sur le divan de
droite, — et qui a un signe, là, comme çà,
près de l'œil gauche, avec trois ou quatre pe-
tits poils qui frisent dessus!
« Parbleu ! tu ne connais que ça, — car tu
sais, avec moi il ne faut pas faire le malin :
nous savons bien que tu ne t'en prives pas de
faire tes farces!...
«Eh bien! sais-tu ce qu'elle m'a dit, hier
soir, Cochonnette, comme tout le monde était
parti, et que j'étais dans sa chambre en train
de défaire mes botlines?
« Non, tu ne sais pas, n'est-ce pas?
« Eh bienl mon petit vieux, elle m'a dit, en
me passant {'Univers sous le nez :
« — Est-ce que tu connais çà, toi?
« Il faut que je te dise, moi, je ne lis ja-
mais les journaux, — excepté le Petit Journal,
quelquefois, quand il y a un bon procès en
cour d'assises, comme Moreau et Boudas.
« — Non, que je lui dis.
« — Eh bien! renifle çà, — qu'elle me ré-
pond.
« Et voilà comment j'ai lu ton article...
« Ah! pour être torché, c'est torché!...
« Moi, j'en ai rigolé !
« Mais, Cochonnette, c'est pas ça!
« Elle m'a dit :
« — Si tu ne réponds pas, tu n'es qu'un
capon !
« Je lui ai dit :
« — Qu'est-ce qu'il faut que je fasse?
« — Demande-lui réparation, — m'a-t-elle
dit.. Il t'a insulté!... il t'a comparé à Ser-
rano !
« Entre nous, je ne vois pas en quoi lu m'as
insulté;
« Mais tu conçois, du moment que Cocho-
nette le veut!
« C'est une question d'existence!
« En conséquence, — au reçu de la pré-
seule, — tu voudras bien t'arranger avec Gu-
gusse et Polyte qui sont chargés de te la por-
ter, et qui t'attendront à la porte.
Ton
« Monsieur Alphonse. »
Terrible anxiété.
A peine M. Louis Veuillot avait-il pris con-
naissance de cette lettre qu'on le vit pâlir hor-
riblement.
Ses yeux devinrent ronds comme des bou-
les de lolo,
Et son nez en éprouva des frémissements
spasmodiques :
C'était épouvantable avoir.
Tous les assistants en frissonnèrent.
— Qu'y a-t-il? demanda-t-on de tous côtés.
— Que se passe-t-il?
— Serait-ce encore ce misérable Paredès?...
s'écria le jeune M. Changarnier.
M. Veuillot ne répondait pas.
— Au nom du ciel, Louis, — dit Eugène
d'une voix plus douce que le bêlement de l'a-
gneau qui va naître, —au nom du ciel, dites-
nous ce qui vous arrive!
M. Veuillot semblait être devenu de pierre.
H était livide, — ce qui ne l'embellissait
pas.
— Mais qui donc vous écrit, jarnidieu?
s'écria M. Jean Brunet au comble de l'in-
quiétude.
M. Veuillot fit un effort suprême sur lui-
même.
Ses lèvres s'entr'ouvrirent avec peine,
Et on l'entendit murmurer à mi-voix :
— C'est M. Alphonse !
Tous devinrent nftVenscnicut pâles-
Il y avait de quoi !
— Grands dieux! soupira M. Du Temple...
quel contre-temps !
— Que faire? demande M. Veuillot.
— Il est cerl;.in que, cette fois, vous ne
pouvez pas dire que c'est un hjmme politi-
que, M. Alphonse !
M. Veuillot se mit à trembler de tousses
membres.
— Je serai donc obligé de me battre avec
lui?... soupira-t-il.
— J'en ai peur !... répondit le jeune M.
Changarnier.
— Que faire, mon Dieu! que faire?... dit
M. Veuillot en cachant son nez dans ses
mains... Avec ça que mes principes me le dé-
fendent, vous le savez bien, mes frères?
— Sans doute, dit M. Du Temple, — mais
aussi vous avez été le comparer h un maréchal
d'Espagne, c'est une mauvaise plaisanterie?
— J'en conviens, répondit M. Louis Veuillot
en baissant la tête.
Puis s'adressant à M. Laurentie et à son frère
Eugène :
— Voyons, Laurentie, et toi, Eugène, allez
voir ces messieurs Gugusse et Polyte, dit-il,—"
et tâchez d'arranger l'affaire!... Mon Dieu, -~
s'ils ne demandent que des excuses!...
Implacables !
Laurentie et Eugène sortirent.
Ils se rendirent dans la s:ille où Gugusse et
Polyte les attendaient.
Là, ils sautèrent sur leurs pieds d'étonue-
mentj — M. Laurentie un peu moins haut
qu'Eugène, à cause de son grand âge.
En effet,
Au lieu de deux petits jeunes gens des bou-
levards, en veston de velours, et des accroche-
cœurs arrondis sur les tempes,
Ils avaient en face d'eux, deux individu*
portant des uniformes très-brodés, et dont le
teint basané accusait, à n'en pas douter, l'ori-
gine espagnole.
— Que signifie ceci? dit M. Laurentie, bas
à l'oreille d'Eugène.
— C'est-à-dire que j'en suis comme une
folle!... répondit Eugène.
Puis, s'avançant vers les deux témoins de
M. Alphonse :
— Messieurs, dit-il, vous exigez une répa-
ration de Louis?
— Certainement, carambal dirent ensemble
les deux envoyés.
— En disant qu'il ne le fera plus, vous sa-
tisferait-il?
— Ça n'est pas assez, pomjneta!
— Mais s'il se mettait à genoux!
— Il faut que nous en référions à ceiui qu
nous envoie... Il est chez le marchand de vins
ici à côté, qui attend la réponse !
— Allez, messieurs, allez,—dit Eugène, —
et revenez-nous avec des paroles de paix!
— Nous espérons bien que non, — répon-
dirent les deux témoins.
C'était lui !
Au moment où ils refermaient la porte sur
eux, — Eugène, — un garçon subtil, — eut
une idée.
— Reste-là, dit-il au vieux Laurentie, —je
me doute de quelque chose... Ce teint cuivré,
cet or sur les habits, ce caramba, tout m'indi-
que qu'il y a du louche en cette affaire... je
suis ces misérables, —car je veux voir si mes
soupçons ne me trompent pas.
En disant ces mots, il se précipite dans l'es-
calier sur les pas des témoins de M. Alphonse.
Ils étaient déjà dans la rue.
Mais il n'eut pas de peine à le rejoindre.
Il le vit entrer chez le marchand de vins de
la place des Victoires.
Là un homme jeune encore les attendait.
Il était vêtu de noir, avait un chapeau haute
forme, un stick au bout des doigts, et d'énor-
mes favoris bruns peignés en broussailles.
Un lorgnon flânait négligemment sur son
gilet.
A cette vue, Eugène ne put retenir un cri
— C'était un piège, dit-il, — je m'en dou-
tais bien!... C'est une vengeance d'amour : le
malheureux est jaloux! Il en veut à Louis d'a-
voir débiné le truc !...
Il revint à toutes jambes aux bureaux de
l'Univers, et er.lra comme une bombe dans le
cabinet où son frère et ses amis l'attendaient.
LA SEMAINE
Semaine bien remplie, il faut le dire!
D'abord nous avons eu deux journaux frap-
pés : l'Union et {Événement.
Plus une note au vinaigre envoyée à la Ré-
publique française;
Plus une contre-note, une raison vinaigrée
adressée au Journal des Débats;
Plus un communiqué déposé à la première
colonne du XIX Siècle.
Plus...
Je crois que c'est tout.
Mais pour une semaine il ne faut pas se mon-
trer trop exigeant, n'est-ce pas?
Je n'ai pas à revenir sur l'éreintement que
Veui Ilot a cru devoir, dans sa vérité, administrer
au maréchal Serrano.
Le bâtoniste de {'Univers appelant Serrano
un Alphonse n'a rien qui nous étonne.
On sait l'urbanité qui distingue la polémique
de notre confrère.
Je ne suis pas fâché, entre nous, qu'on l'ait
rappelé à l'ordre, tout en déplorant qu'on
n'ait pas laissé ce soin au conseil de salubrité.
Il y a de ces articles qu'on balaye le matin.
Mais ce que le. Grelot ne pourra jamais di-
gérer, même avec l'aide du thé le plus éner-
gique, c'est que l'administration s'ingère dans
les discussions de boutique et prétende régle-
menter la façon dont une thèse est défendue
dans un journal.
Ainsi voilà ce pauvre Journal des Débals au-
quel on donne de la férule parce qu'il, a osé
dire que celui qui n'est pas pour la République
est pour £ Empire.
J'ai beau faire passer cette phrase au crible
de la critique la plus sévère, je n'y vois rien qui
puisse mériter les foudres de l'administration.
Voyons, ma bonne censure, il faudrait s'en-
tendre.
11 n'y a que les royalistes qui puissent se
fâcher d'avoir été omis par notre contrère.
Mais alors, est-ce que*...
Hein?... qu'en pensez-vous?
Car enfin il est bien évident que la question
tend de jour en jour à se préciser.
De tous les partis qui nous déchirent, il n'y
en a réellement que deux en présence.
M. de Chambord est passé à l'étal de premier
comique en tous genres; les d'Orléans n'existent
plus qu'à l'état de chasseur et de touristes.
(Voir le duc d'Aumale.)
Que r=>sle-t-il donc sur la brèche?
Les républicains et les bonapartistes.
Où est le mal de dire que tous ceux qui ne
se rallient pas à la République préparent for-
cément l'Empire?
C'est, absolument comme si on vous envoyait
passer six mois à la Nouvelle-Calédonie pour
avoir afiirmé que lorsqu'il ne fait pas jour, il
fait forcément nuit.
Donc nous ne comprenons pas trop bien la
colère d'Anastasie.
Mais il y a, à l'heure qu'il est, tint de choses
auxquelles il est impossible de rien compren-
dre !
C'est égal, le Grelot, au risque de s'exposer
à toutes les rigueurs de l'administration offre
un pleurà son grand confrère, et prie le Journal
des Débats de recevoir l'assurance de toute sa
sympathie... et de son étonnement le plus
corsé.
férence que l'ex-empereur avait cru devoir
dans un bon mouvement, rendre ce brave sol
dat à la société.
On est reconnaissant, ou on ne l'est pas.
Ne pouvant rien faire de mieux pour le bo
naparlisme, le capitaine a voulu contribuer à
en délivrer une des têtes de colonne.
Vous ajouterez cela à vos états de service,
capitaine.
Et si vous n'avez pas d'avancement le jour
de la rentrée du numéro IV, c'est que les
hommes seront bien ingrats!
NICOLAS FLAMMÈCHE.
Nous avons eu, comme pendant à ces scènes
dramatiques, un épisode assez gai que nous a
fourni la réception du nouvel ambas-adeur
d'Espagne, M. le marquis de la Vega-Armijo.
Ce noble hidalgo, dans un discours plein
d'une dignité castillane, a bien voulu recon-
naître que la France était encore trop heureuse
d'avoir à saluer son gouvernement, en laissant
entendre que si nous étions bien sages, on
pourrait voir à Madrid à nous envoyer comme
par le passé des guitares et des castagnettes.
Merci, marquis 1
Ma;s, en vérité, vous êtes trop bon... Il ne
fallait pas vous déranger pour si peu. Nous
comptons encore pour quelque chose, soyez-
en sûr et nous n'avons guère besoin de vos
compliments de condoléance.
Je sais bien que l'Allemagne est dans votre
jeu, ce qui vous rend tout fier.
Vous verrez ce qu'il vous en cuira, du
reste... et avant peu.
Mein herr de Bismark vous réserve un de
ces boléros !...
Je ne vous dis que ça, marquis; je ne vous
dis que ça.
Rien ne manquera à Bazaine pour que son
histoire passe à la postérité la plus reculée.
Voilà maintenant que ça se complique d'un
déguisement qui n'obtiendrait qu'uri succès
d'estime tout au plus à l'Ambigu.
Il parai! que la rameuse de la barque qui a
escamoté l'illustre défenseur de Metz, était
un rameur.
Et ce rameur, c'était le capitaine Doineau,
ex-condamné comme Bazaine, avec cette dit'-
CE QUI REMPLACE TOUT
Vous avez envie de devenir député, — je
suppose...
C'est une singulière idée, c'est vrai,
Mais le monde est si bizarre, — et puis, tous
les goûts sont dans la nature, n'est-ce pas !
Donc, vous avez celte envie.
Alors, vous vous mettez devant votre glace;
Vous vous regàrdez bien dans le blanc des
yeux,
Et vous vous dites :
« C'est égal, mon gaillard, tu as un rude
toupet!
« Voyons,
« Tu veux devenir député I
« Quel titre as-tu à être nommé !
« Aucun, mon garçon, tu es bien forcé de
le reconnaître !
« Tu n'es ni un orateur,
« Ni un savant,
« Ni un homme politique,
« Ni, comme disait Figaro, quelqu'un qui
tienne à quelque chose, —
« Et cependant, ça te démange 1
« Tu veux faire ton petit chemin dans le
monde!
« Tu veux te pousser !
« Tu veux devenir M. de Fiolle-moi-la-
Manche!
« Mais le moyen 1
« Car, enfin, si tu te présentes tel que tu es,
- les électeurs se gausseront de toi, et tu
auras bien dix-septvoix en comptant la tienne :
« Que faire!
« Eh ! parbleu! c'est bien simple!
« Soyons candidat officiel I »
Vous vous mettez candidat officiel,
Et tout est dit.
Ça n'est pas plus malin que ça!...
Sous l'Empire c'est ainsi que ça se passait :
Dès qu'on était candidat officiel,
On ne vous demandait pas seulement si
vous saviez lire;
Les instituteurs et fonctionnaires à tout poil
vous portaient aux nues,
Et les soupières de Janvier de la Motte vous
tendaient les bras!...
Il parait que ce sont ces temps fortunés que
l'on cherche à nous ramener.
YYY.
LE DUEL
DE M. ALPHONSE ET DE M. VEUILLOT
Le concert avant l'orage
A la suite du remarquable article qui a valu
à Y Univers quinze jours de suspension, et dans
lequel, — on s'en souvient, —le gracieux ré-
dacteur de celte feuille ultrà-papisle traitait
le maréchal Serrano de « M. Alphonse », —
tout le clan vénérable des ganaches légiti-
mistes accourut présenter ses félicitations à
M. Louis Veuillot.
Il y avait tant de monde que l'excellent Eu-
gène ne savait plus où donner de la tête.
Les bureaux de Y Univers étaient littérale-
ment encombrés : on y voyait M. le général
Du Temple, M. Jean Brunet, le marquis de
Franclieu, le jeune M. Changarnier, l'hé-
roïque M. de Cazenove de Pradines, et toutes
les gloires de la presse religieuse, Coquille,
Poujoulàt, Laurentie et tutti quanti.
On serrait avec affection les mains de
M. Veuillot.
On relisait son article dans les coins, en
poussant des petits :
— Ah! mon frère! comme c'est dil! comme
c'est torché!
Ah! qu'en termes galants ces choses-là sont mises!
Faut-il qu'un gouvernement ait peu de
cœur pour ne point faire grâce à une littéra-
ture aussi colorée et aussi saine!... Ça vous
fait l'effet d'un baume sur l'estomac!
Et le jeune M. Changarnier faisait des signes
de croix.
Et l'héroïque M. Cazenove de Pradines jurait
par les saints qu'à la rentrée le ministre le
payerait cher.
Bref, on agitait en l'air les mouchoirs
blancs, — dans lesquels de temps en temps
on versait un pleur; — et M. Veuillot palpait
avec une satisfaction évidente le tubercule
qui lui sert de nez, quand tcut à coup une
porte s'ouvrit avec fracas, et un garçon de
bureau s'avançant vers le rédacteur en chef
de Y Univers, lui lendit un papier plié en qua-
tre, en s'écriant :
Seigneur, c'est une lettre
Qu'en vos propres mains on m'a dit de remettre !
Quelle était cette lettre?
M. Louis Veuillot saisit cette lettre avec em-
pressement.
Peut-être crût-il un instant que c'étaient les
compliments de condoléances de l'évêché sur
la suppression de son journal!
Hélas!
Mystère et pisciculture!
En examinant la suscription de la lettre, il
s'aperçut que cette écriture lui étail complé
tement inconnuel
Néanmoins, il rompit le cachet.
Et il lut...
Horreur !
Voilà ce qu'on lai écrivait :
Texte original
« Mon petit vieux,
« Tu n'es pas gêné, tu sais !
« Va toujours !
« Prends-en à ton aise!
« Mais, — patience, — tout cela va se ré-
gler entre nous deux...
« Ce début, n'est-ce pas, t'indique suffi-
samment que j'ai lu ton article, — et que ça
ne peut pas me convenir.
« Quand je dis à moi, — je me trompe.
« A moi, ça m'est bien indifférent.
« Mais c'est à la petite Corhonnette!
« Tu sais bien, la petite Cochonnelle!...
«Béoui! parbleu! celle qui est tous les
soirs au café des Princes, sur le divan de
droite, — et qui a un signe, là, comme çà,
près de l'œil gauche, avec trois ou quatre pe-
tits poils qui frisent dessus!
« Parbleu ! tu ne connais que ça, — car tu
sais, avec moi il ne faut pas faire le malin :
nous savons bien que tu ne t'en prives pas de
faire tes farces!...
«Eh bien! sais-tu ce qu'elle m'a dit, hier
soir, Cochonnette, comme tout le monde était
parti, et que j'étais dans sa chambre en train
de défaire mes botlines?
« Non, tu ne sais pas, n'est-ce pas?
« Eh bienl mon petit vieux, elle m'a dit, en
me passant {'Univers sous le nez :
« — Est-ce que tu connais çà, toi?
« Il faut que je te dise, moi, je ne lis ja-
mais les journaux, — excepté le Petit Journal,
quelquefois, quand il y a un bon procès en
cour d'assises, comme Moreau et Boudas.
« — Non, que je lui dis.
« — Eh bien! renifle çà, — qu'elle me ré-
pond.
« Et voilà comment j'ai lu ton article...
« Ah! pour être torché, c'est torché!...
« Moi, j'en ai rigolé !
« Mais, Cochonnette, c'est pas ça!
« Elle m'a dit :
« — Si tu ne réponds pas, tu n'es qu'un
capon !
« Je lui ai dit :
« — Qu'est-ce qu'il faut que je fasse?
« — Demande-lui réparation, — m'a-t-elle
dit.. Il t'a insulté!... il t'a comparé à Ser-
rano !
« Entre nous, je ne vois pas en quoi lu m'as
insulté;
« Mais tu conçois, du moment que Cocho-
nette le veut!
« C'est une question d'existence!
« En conséquence, — au reçu de la pré-
seule, — tu voudras bien t'arranger avec Gu-
gusse et Polyte qui sont chargés de te la por-
ter, et qui t'attendront à la porte.
Ton
« Monsieur Alphonse. »
Terrible anxiété.
A peine M. Louis Veuillot avait-il pris con-
naissance de cette lettre qu'on le vit pâlir hor-
riblement.
Ses yeux devinrent ronds comme des bou-
les de lolo,
Et son nez en éprouva des frémissements
spasmodiques :
C'était épouvantable avoir.
Tous les assistants en frissonnèrent.
— Qu'y a-t-il? demanda-t-on de tous côtés.
— Que se passe-t-il?
— Serait-ce encore ce misérable Paredès?...
s'écria le jeune M. Changarnier.
M. Veuillot ne répondait pas.
— Au nom du ciel, Louis, — dit Eugène
d'une voix plus douce que le bêlement de l'a-
gneau qui va naître, —au nom du ciel, dites-
nous ce qui vous arrive!
M. Veuillot semblait être devenu de pierre.
H était livide, — ce qui ne l'embellissait
pas.
— Mais qui donc vous écrit, jarnidieu?
s'écria M. Jean Brunet au comble de l'in-
quiétude.
M. Veuillot fit un effort suprême sur lui-
même.
Ses lèvres s'entr'ouvrirent avec peine,
Et on l'entendit murmurer à mi-voix :
— C'est M. Alphonse !
Tous devinrent nftVenscnicut pâles-
Il y avait de quoi !
— Grands dieux! soupira M. Du Temple...
quel contre-temps !
— Que faire? demande M. Veuillot.
— Il est cerl;.in que, cette fois, vous ne
pouvez pas dire que c'est un hjmme politi-
que, M. Alphonse !
M. Veuillot se mit à trembler de tousses
membres.
— Je serai donc obligé de me battre avec
lui?... soupira-t-il.
— J'en ai peur !... répondit le jeune M.
Changarnier.
— Que faire, mon Dieu! que faire?... dit
M. Veuillot en cachant son nez dans ses
mains... Avec ça que mes principes me le dé-
fendent, vous le savez bien, mes frères?
— Sans doute, dit M. Du Temple, — mais
aussi vous avez été le comparer h un maréchal
d'Espagne, c'est une mauvaise plaisanterie?
— J'en conviens, répondit M. Louis Veuillot
en baissant la tête.
Puis s'adressant à M. Laurentie et à son frère
Eugène :
— Voyons, Laurentie, et toi, Eugène, allez
voir ces messieurs Gugusse et Polyte, dit-il,—"
et tâchez d'arranger l'affaire!... Mon Dieu, -~
s'ils ne demandent que des excuses!...
Implacables !
Laurentie et Eugène sortirent.
Ils se rendirent dans la s:ille où Gugusse et
Polyte les attendaient.
Là, ils sautèrent sur leurs pieds d'étonue-
mentj — M. Laurentie un peu moins haut
qu'Eugène, à cause de son grand âge.
En effet,
Au lieu de deux petits jeunes gens des bou-
levards, en veston de velours, et des accroche-
cœurs arrondis sur les tempes,
Ils avaient en face d'eux, deux individu*
portant des uniformes très-brodés, et dont le
teint basané accusait, à n'en pas douter, l'ori-
gine espagnole.
— Que signifie ceci? dit M. Laurentie, bas
à l'oreille d'Eugène.
— C'est-à-dire que j'en suis comme une
folle!... répondit Eugène.
Puis, s'avançant vers les deux témoins de
M. Alphonse :
— Messieurs, dit-il, vous exigez une répa-
ration de Louis?
— Certainement, carambal dirent ensemble
les deux envoyés.
— En disant qu'il ne le fera plus, vous sa-
tisferait-il?
— Ça n'est pas assez, pomjneta!
— Mais s'il se mettait à genoux!
— Il faut que nous en référions à ceiui qu
nous envoie... Il est chez le marchand de vins
ici à côté, qui attend la réponse !
— Allez, messieurs, allez,—dit Eugène, —
et revenez-nous avec des paroles de paix!
— Nous espérons bien que non, — répon-
dirent les deux témoins.
C'était lui !
Au moment où ils refermaient la porte sur
eux, — Eugène, — un garçon subtil, — eut
une idée.
— Reste-là, dit-il au vieux Laurentie, —je
me doute de quelque chose... Ce teint cuivré,
cet or sur les habits, ce caramba, tout m'indi-
que qu'il y a du louche en cette affaire... je
suis ces misérables, —car je veux voir si mes
soupçons ne me trompent pas.
En disant ces mots, il se précipite dans l'es-
calier sur les pas des témoins de M. Alphonse.
Ils étaient déjà dans la rue.
Mais il n'eut pas de peine à le rejoindre.
Il le vit entrer chez le marchand de vins de
la place des Victoires.
Là un homme jeune encore les attendait.
Il était vêtu de noir, avait un chapeau haute
forme, un stick au bout des doigts, et d'énor-
mes favoris bruns peignés en broussailles.
Un lorgnon flânait négligemment sur son
gilet.
A cette vue, Eugène ne put retenir un cri
— C'était un piège, dit-il, — je m'en dou-
tais bien!... C'est une vengeance d'amour : le
malheureux est jaloux! Il en veut à Louis d'a-
voir débiné le truc !...
Il revint à toutes jambes aux bureaux de
l'Univers, et er.lra comme une bombe dans le
cabinet où son frère et ses amis l'attendaient.