LE GRELOT
PRIME GRATUITE
Toute personne de la province qui s'abon-
nera à un des journaux ci-après, par l'entre-
mise de M. Madré, directeur-gérant du Grelot,
20, rue du Croissant, à Paris, aura droit à un
abonuement gratuit au journal le GRELOT,
savoir :
Pour un abonnement d'un an : 6 mois au GRELOT.
— de 6 mois : 3 mois —
L'abonnement à deux journaux doublera la
durée de l'envoi gratuit du GRELOT.
UM AU « MOIS
ht. o. fr.
Bien public............. 60 » 30
Chahivjiri............... 80 » 40
Constitutionnel,........ 64 • 32
XIX- Sièclh............. 62 • 32
Evénement.............. 64 > 32
Figaro................. 66 » 33
Français................ 58 » 31
Gazettb db Franck....... 66 • 35
Gaulois................. 64 » 32
Journal des Dèpws...... 80 » 40
Illustration............ 36 • 18
Moniteur universel...... *52 • 32
Monde.................. 40 » 22
Monde illustre.......... 24 » 13
Opinion nationale........ 64 • 32
Paris-Journal........... 50 » 28
Patrie.................. 64 . 32
Pats.................., 64 » 32
Presse.....,............ 64 » 32
Rappel................. 54 • 27
République française. .... 64 • 32
Revcb des- Ori i-Mondes. . 56 » 29
Siècle.................. 64 » 3i
Soir................. 64 • 32
Temps................. 68 • 34
Univers................ 58 » 30
Union.................. 68 > 35
Les prix qui précèdent sont, bien entendu, les prix
fixés par les administrations de chacun de ces jour-
aaux.
Pauvre Mitonnet!
Le citoyen Mitonnet est ce qu'on peut ap-
peler un conservateur.
Il a fait de magnifiques affaires en vendant
pendant le siège, aux Parisiens affamés, des
tablettes de chocolat confectionnées avec du
poussier de mottes.
Ce qui n'était déjà pas trop bête, conve-
nez-en.
11 a gagné, à ce petit trafic; une malhon-
nête aisance dont il jouit sans remords.
Ne parlez pas à Mitonnet de république, par
exemple !
Vous le feriez entrer dans des rages bleues.
La République est son cauchemar, à - cet
homme
Ca lui est bien permis, n'est-ce pas?
Quand on est riche, c'est pour se passer ses
fantaisies.
Donc Mitonnet est concervateur, ce qui fait
qu'il attend avec quelque anxiété le résultat
des élections municipales.
Mais il a confiance dr.ns le bon sens de la
population parisienne, cette population qui
s'est laissé prendre pendant si longtemps à
ton poussier de mottes.
Ces bons bourgeois se garderont bien d'af-
firmer par leur vote un régime qui ne saurait
avoir les sympathies des honnêtes gens.
Ils nommeront Brisacier, le bonapartiste, ou
le marquis du Gommeux, ce pur dont les an-
cêtres remontent aux croisades, pendant que
lui ne remonte... que sa pendule.
Mitonnet est donc tranquillement devant
son feu.
Madame Mitonnet est à ses côtés, raccom-
modant philosophiquement les chaussettes con-
jugales.
La lampe jette une lueur douce sur ce
couple délicieux.
Le thé fume dans la bouillotte.
La bûcbe pétille dans la cheminée.
C'est charmant.
Mitonnet est plongé dans le premier-Pans
de la Pairie.
Il le savoure.
— Quel journal ! s'écrie-t-il enfin !... Que
d'esprit! de bon sens! et de patriotisme 1...
Ah! sapristi,; ce sont des gaillards qui écri-
vent là-dedans. Parlez-moi de ces gens-là ! en
voilà des journalistes!... de vrais.de bons,
d'excellents journalistes !... incapables de faire
de mal a une mouche... autrement que par
leur haleine,., mais c'est là un malheur qui
peut arriver à tout le monde. Tiens, Bi-
chetle... écoute-moi ça... lu m'en diras après
des nouvelles. Ça te fait-il plaisir, au moins?
bighette, secouant la ttte d'un air résigné.
Si ça t'amuse ?
mitonnet.
Comment si ça m'amuse?... je le crois bien...
écoute et applaudis.
Mitonnet entonne d'une voix prétentieuse la
prose en pâte ferme de notre confrère... (bi-
gre ! pas de réclame!... il se croirait du la-
lent.)
Je n'étonnerai personne en disant qu'au
bout de vingt lignes, Mme Mitonnet balance
doucement la tête comme une personne qui
lutte contre le sommeil.
Mitonnet, emporté par la situation, ne s'a-
perçoit de rien et continue.
Cinq minutes après, Bichette, complètement
endormie, laisse échapper de sa main la chau-
sette maritale qui va tomber dans la théière.
mitonnet, au combte des délices et Usant toujours.
«Avec de pareils arguments.il est imposible
que notre triomphe ne soit pas complet. Oui,
nous l'emporterons!... et à une écrasante ma-
jorité)... les républicains seront enfoncés!...
d'abord y en a-t-il des républicains?... je me
refuse à le croire!... il n'y a pas de républi-
cains!... il n'y a que des voyous !... »
Bravo !... bravo!... bravo!... voilà qui est
bien tapé !... non, il n'y a pas de républi-
cains !... entends-tu, Bichette, il n'y en a
pas!...
t A ce moment un ronflement sonore s'échappe
de la poitrine de Mme Mitonnet.
Mitonnet considère sa moitié avec un senti-
ment de pitié.
— Oh ! ces femmes 1... ces femmes I... ma
parole d'honneur, je vous demande un peu à
quoi ça sert!... Tenez, regardez-moi celle-
là !... elle ronfle !... heureusement nous som-
mes là, nous!... Tiens!... ma chaussette dans
la théière !... mais il paraît que ça détache...
ah ! je suis d'une impatience 1
(// se lève et va à la fenêtre tambouriner sur les
vitres.)
Ce q i'il pleut !... c'est insensé !... j'ai joli-
ment bien fait de ne pas sortir aujourd'kui...
Il est vrai que je n'ai pas déposé mon vote
dans l'urne... mais bah! il y en a bien assez
j-ans moi qui y sont allés... et puis, un vote de
plus ou de moins, ça n'a pas d'importance...
d'ailleurs, je suis sûr du quartier... tous
réacs !... Ma foi, je n'y tiens plus... Je vais en-
voyer chercher le Soir... voilà encore un bon
journal !... et intéressant!... Joséphine!...
(Entre la bonne.)
joséphine.
Monsieur m'a appelée?
mitonnet.
Allez-moi m'acheter le Soir.
joséphine.
Eh bien, merci !... descendre par ce temps-
là!...
mitonnet.
Il faudrait peut-être que ce fût moi!
joséphine.
Non pas vous... mais madame pourrait
bien...
mitol-net.
Madame dort... sans cela, croysz bien, Jo-
séphine, qu'elle se fûrt empressée de vous évi-
ter cette peine.
* joséphine, marronnant entre ses dents.
En v'ià une baraque I...
mitonnet.
Vous dites?
joséphine.
Moi?... rien.
(Elle sort.)
mitonnet.
V< ilà pourtant où nous ont conduit les exé-
crables principes de 89. Jamais, du temps de
nos pries, un domestique ne se serait per-
mis... Ahl voilà Bichette qui se réveille...Tu
as bien dormi, Bichette?
Mn.o mitonnet.
Merci, mon ami. (Souriant avec un chaste
embarras.) Est-ce que nous n'allons pas nous
coucher, chéri?
mitonnet.
Me coucher avant de savoir le tésultat du
vote?... Jamais!
m°" mitonnet, rougissant.
Cependant... mon bon ami... tu m'avais
promis...
mitonnet.
Le citoyen passe avant le mari, sachez-le,
madame.
(Rentre Joséphine.)
joséphine.
Le v'ià... vot! journal... Quel temps de
chien !... Oh ! ces maîtres !...
mitonnet.
C'est bien... sortez... (Il déplie le journal fié-
vreusement, le parcourt, pousse un cri et s'affaisse
dans un fauteuil.)
madame mitonnet.
0 ciel !... Mitonnet!... tu te trouves mal?...
mitonnet, d'une voix éteinte.
Tous !... tous passés !... Malédiction!...
madame mitonnet.
Tous?...Tous, qui?
mitonnet.
Tous les radicaux!.,, tous ces gredins!...
tous ces va-nu-pieds !.. Ah ! je n'en revien-
drai pas !...
madame mitonnet , avec son plus doux sourire.
Eh bien, maintenant que tu es fixé... il me
semble que nous pouvons aller nous coucher
à présent ?
mitonnet, furieux.
Oui, certes, j'irai me coucher... J'ai besoin
de calmer mes nerfs... mais quant à ce que
je vous avais promis, madame... n'y comptez
pas!... il me serait impossible en présence
d'un pareil désastre... de réunir deux idées.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
QUE LES BONS TREMBLENT
et que
LES MÉCHANTS SE RASSIRENT!
11 y a de quoi !
Qu'est-ce qu'on lit en effet dans la Ga-
zette des Tribunaux!
Que M. Rouher a bien été mandé devant
le juge d'instruction, mais que c'est comme
témoin et non comme accuse! !
Parbleu !...
Et Grandperret aussi !
La Gazette des Tribunaux ne veut pas que
même le soupçon effleure ces deux colombes!
Eux, conspirer !
Il n'y a pas de danger !
IL y avait un Comité de l'appel au peuple,
— c est vrai,
Mais ils n'en savaient rien,
Ils ne s'en doutaient même pas !...
Rouher dirige toutes les manœuvres bona-
partistes dont nous voyons se dérouler le pro-
gramme depuis plus de deux ans ;
C'est pourquoi il ignorait qu'on s'occupât
d'assurer la majorité dans les élections aux
candidats bonapartistes!...
Y a-t-il quelque chose qui saute aux yeux
plus clairement ?
Pour moi, cette question m'illumine !
J'en suis ébloui 1
Comment ne s'est-on pas dit cela plus tôt!...
Voilà ce que la Gazette des Tribunaux vient
faire entendre!»
Accuser Rouher de conspirer en faveur de
Napoléon IV,
Quelle horreur !
Et quelle invraisemblance !
Tout le monde conspirait avant Rouher !
Vous,
Moi,
Pierre, Paul, Joseph et Barnabe!
Mais qu'est-ce que vous voulez !
Il y a des gens si mal intentionnés!
A les en croire, Rouher ne serait pas in-
nocent!
Alors que tout le monde sait, — puisqu'il
l'a dit, — que c'était par la déclaration de
M. Cyprien Girard qu'il avait appris qu'il y
avait un comité de l'appel au peuple.
MOB.
LE GOUVERNEMENT EST SAUVÉ!
tragi-comédie en quelques scenfs
« Il parait certain que M. Thiers
n'abordera pas la tribune, à moins
d'incidents politiques tout à fait im-
prévus, pour laisser à la lutte un ca-
ractère ministériel et constitution-
rel. »
(Journaux roses, la veille de la
rentrée de la Chambre.)
SCÈNE I
A a préfecture de police
M. Léon Renault; installé commodément dans le
fauteuil de Piêtri, donne audience à quelques-
uns de ses fidèles « observateurs ». — Il pa-
raît soucieux ; il y a de quoi : la chambre va
se rouvrir après-demain, et il parait que le
sinistre vieillard est dans nos murs.
m. l. renault.
Vous disiez donc, Crapouillard, que vous
l'aviez vu?...
crapouillard.
Oui, monsieur le préfet... en propre per-
sonne!... 11 avait son chapeau gris, le misé-
rable!... Vous savez bien, monsieur le préfet,
i son chapeau gris I
m. l. renault, songeur.
Oui!... &on chaptau gris du temps de l'em-
pire!... son chapeau gris signe d'orage !
crapouillard.
Et ce qui complique la situation, monsieur
le préfet, c'est qu'il avait sous le bras un gros
rouleau de papier!
m. l. renault.
Des papiers!... vous dites, Crapouillard,
qu'il avait sous le bras des papiers...
crapouillard.
Oui, monsieur le préfet, un gros rouleau!...
m. l. renault, à pari.
Que faire, mon Dieu, que faire!... \& suis
sûr qu'il prépare un discours, — et s'il parle,
quelle.'responsabilité ne vais-je pas encourir!. .
Il se produira dans les bas-fonds soeiaux une
agitationI... (Haut. ) Crapouillard!
crapouillard.
Monsieur le préfet !
m. l. renault.
11 faut absolument que v»us sachiez s'il a
l'intention de parler à la rentrée....
crapouillard.
Je voudrais bien... mais comment faire !
m. l. renault.
Cela vous regarde.
crapouillard, à part.
Oh! les chefs!... (Haut.) Monsieur le pré-
fet, je ne crois pas me tromper en vous affir-
mant que ce sera bien difficile...
m. l. renault.
Allez!... je vous paierai en conséquence...
crapouillard.
Puisqu'il faut tout vous dire, monsieur le
préfet, je dois vous avouer qu'au moment où
je le surpris, il était accompagné de M. Jules
Simon, à qui il donna la main en le quittant,
et à qui il dit : « Pour ce qui est de la tri-
bune, c'est une affaire entendue!... »
m. l. renault.
Qrte ne le disiez-vous tout de suite, Cra-
pouillard !... Allons, assez causé!... Mettez-
vous en campagne, et songez que nous répon-
dons de l'ordre et de la sécurité du pays !...
Surveillez jour et nuit ce petit bonhomme, et
tâchez de savoir quels sont les points essen-
tiels de son discours!...
crapouillard.
J'y vais de ce pas, et monsieur le préfet
peut être assuré de mon zèle.
SCÈNE II
m. l. renault, seul et rêveur. Il chantonne :
C'est un métier bien difficile
u« garder la propriété,
De défendre les champs et la ville
Du vol et de l'iniquité !
Tiens ... quels sont donc ces vers si bien
appropriés à ma situation?... Ma foi, je n'en
sais rien !... Mais ce poète était un bien grand
homme!... Oui, c'est bien difficile!... surtout
quand on a affaire à un homme aussi pervers,
aussi entêté et aussi roublard, comme nous
disions dans le temps à Procope,— car on n'y
parlait pas toujours la langue de Bossuet,
dans le temps, à Procope !... Et dire que tout
ça retombe sur moi 1... que je suis chargé de
l'ordre et delà sécurité de cette grandecité!...
Que je réponds de tout, de l'allumage des
becs de gaz et de la tranquillité des fau-
bourgs !... que je suis un père de famille pour
Paris !... car enfin, hein ! il n'y a pas à aire,
je suis un père, quoi!... un vrai père!... En-
fin!... Il faut toujours que je prévienne le mi-
nistre de l'intérieur de ce qui se passe, parce
que, après tout, un homme seul ne peut pas
accepter des charges comme ça sans être un
peu aidé... Voyons, écrivons!... (Il prend une
plume et trace de sa plus belle écriture :)
Monsieur le ministre!
On m'informe que le pays est à la veille de
courir les plus graves dangers... La patrie,
monsieur le ministre, n'a pas trop, dans ces
pénibles conjonctures, de tous ses défenseurs,
et il faut que Votre Excellence fasse, comme
moi-même, appel à toute son énergie pour ne
point reculer devant la gravité des décisions
qu'il nous faudra prendre. Un homme, —
hélas ! monsieur le ministre, vous ne le con-
naissez nue trop ! — un homme qui s'est ac-
quis déjà une si triste célébrité depuis trois
ans, — qui ne cherche qu'à jeter le trouble et
ta désunion dans tous les partis,— M. Thiers,
puisqu'il faut l'appeler par son nom, —
M. Thiers est en train de préparer un dis-
cours dont il est impossible, jusqu'à présent,
de calculer les effets incendiaires, mais où il
fera sans doute usage de toutes les armes dont
sa noirceur sait si bien se servir d'ordinaire.
Vous jugerez comme moi, monsieur le minis-
tre, qu'il n'est que temps de recourir à toutes
les forces que la loi met à notre disposition
pour prévenir les conséquences redoutables
qui pourraient résulter des lugubres projets de
ce propre-à-rien.
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Toute personne de la province qui s'abon-
nera à un des journaux ci-après, par l'entre-
mise de M. Madré, directeur-gérant du Grelot,
20, rue du Croissant, à Paris, aura droit à un
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savoir :
Pour un abonnement d'un an : 6 mois au GRELOT.
— de 6 mois : 3 mois —
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UM AU « MOIS
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Bien public............. 60 » 30
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XIX- Sièclh............. 62 • 32
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République française. .... 64 • 32
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Soir................. 64 • 32
Temps................. 68 • 34
Univers................ 58 » 30
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Les prix qui précèdent sont, bien entendu, les prix
fixés par les administrations de chacun de ces jour-
aaux.
Pauvre Mitonnet!
Le citoyen Mitonnet est ce qu'on peut ap-
peler un conservateur.
Il a fait de magnifiques affaires en vendant
pendant le siège, aux Parisiens affamés, des
tablettes de chocolat confectionnées avec du
poussier de mottes.
Ce qui n'était déjà pas trop bête, conve-
nez-en.
11 a gagné, à ce petit trafic; une malhon-
nête aisance dont il jouit sans remords.
Ne parlez pas à Mitonnet de république, par
exemple !
Vous le feriez entrer dans des rages bleues.
La République est son cauchemar, à - cet
homme
Ca lui est bien permis, n'est-ce pas?
Quand on est riche, c'est pour se passer ses
fantaisies.
Donc Mitonnet est concervateur, ce qui fait
qu'il attend avec quelque anxiété le résultat
des élections municipales.
Mais il a confiance dr.ns le bon sens de la
population parisienne, cette population qui
s'est laissé prendre pendant si longtemps à
ton poussier de mottes.
Ces bons bourgeois se garderont bien d'af-
firmer par leur vote un régime qui ne saurait
avoir les sympathies des honnêtes gens.
Ils nommeront Brisacier, le bonapartiste, ou
le marquis du Gommeux, ce pur dont les an-
cêtres remontent aux croisades, pendant que
lui ne remonte... que sa pendule.
Mitonnet est donc tranquillement devant
son feu.
Madame Mitonnet est à ses côtés, raccom-
modant philosophiquement les chaussettes con-
jugales.
La lampe jette une lueur douce sur ce
couple délicieux.
Le thé fume dans la bouillotte.
La bûcbe pétille dans la cheminée.
C'est charmant.
Mitonnet est plongé dans le premier-Pans
de la Pairie.
Il le savoure.
— Quel journal ! s'écrie-t-il enfin !... Que
d'esprit! de bon sens! et de patriotisme 1...
Ah! sapristi,; ce sont des gaillards qui écri-
vent là-dedans. Parlez-moi de ces gens-là ! en
voilà des journalistes!... de vrais.de bons,
d'excellents journalistes !... incapables de faire
de mal a une mouche... autrement que par
leur haleine,., mais c'est là un malheur qui
peut arriver à tout le monde. Tiens, Bi-
chetle... écoute-moi ça... lu m'en diras après
des nouvelles. Ça te fait-il plaisir, au moins?
bighette, secouant la ttte d'un air résigné.
Si ça t'amuse ?
mitonnet.
Comment si ça m'amuse?... je le crois bien...
écoute et applaudis.
Mitonnet entonne d'une voix prétentieuse la
prose en pâte ferme de notre confrère... (bi-
gre ! pas de réclame!... il se croirait du la-
lent.)
Je n'étonnerai personne en disant qu'au
bout de vingt lignes, Mme Mitonnet balance
doucement la tête comme une personne qui
lutte contre le sommeil.
Mitonnet, emporté par la situation, ne s'a-
perçoit de rien et continue.
Cinq minutes après, Bichette, complètement
endormie, laisse échapper de sa main la chau-
sette maritale qui va tomber dans la théière.
mitonnet, au combte des délices et Usant toujours.
«Avec de pareils arguments.il est imposible
que notre triomphe ne soit pas complet. Oui,
nous l'emporterons!... et à une écrasante ma-
jorité)... les républicains seront enfoncés!...
d'abord y en a-t-il des républicains?... je me
refuse à le croire!... il n'y a pas de républi-
cains!... il n'y a que des voyous !... »
Bravo !... bravo!... bravo!... voilà qui est
bien tapé !... non, il n'y a pas de républi-
cains !... entends-tu, Bichette, il n'y en a
pas!...
t A ce moment un ronflement sonore s'échappe
de la poitrine de Mme Mitonnet.
Mitonnet considère sa moitié avec un senti-
ment de pitié.
— Oh ! ces femmes 1... ces femmes I... ma
parole d'honneur, je vous demande un peu à
quoi ça sert!... Tenez, regardez-moi celle-
là !... elle ronfle !... heureusement nous som-
mes là, nous!... Tiens!... ma chaussette dans
la théière !... mais il paraît que ça détache...
ah ! je suis d'une impatience 1
(// se lève et va à la fenêtre tambouriner sur les
vitres.)
Ce q i'il pleut !... c'est insensé !... j'ai joli-
ment bien fait de ne pas sortir aujourd'kui...
Il est vrai que je n'ai pas déposé mon vote
dans l'urne... mais bah! il y en a bien assez
j-ans moi qui y sont allés... et puis, un vote de
plus ou de moins, ça n'a pas d'importance...
d'ailleurs, je suis sûr du quartier... tous
réacs !... Ma foi, je n'y tiens plus... Je vais en-
voyer chercher le Soir... voilà encore un bon
journal !... et intéressant!... Joséphine!...
(Entre la bonne.)
joséphine.
Monsieur m'a appelée?
mitonnet.
Allez-moi m'acheter le Soir.
joséphine.
Eh bien, merci !... descendre par ce temps-
là!...
mitonnet.
Il faudrait peut-être que ce fût moi!
joséphine.
Non pas vous... mais madame pourrait
bien...
mitol-net.
Madame dort... sans cela, croysz bien, Jo-
séphine, qu'elle se fûrt empressée de vous évi-
ter cette peine.
* joséphine, marronnant entre ses dents.
En v'ià une baraque I...
mitonnet.
Vous dites?
joséphine.
Moi?... rien.
(Elle sort.)
mitonnet.
V< ilà pourtant où nous ont conduit les exé-
crables principes de 89. Jamais, du temps de
nos pries, un domestique ne se serait per-
mis... Ahl voilà Bichette qui se réveille...Tu
as bien dormi, Bichette?
Mn.o mitonnet.
Merci, mon ami. (Souriant avec un chaste
embarras.) Est-ce que nous n'allons pas nous
coucher, chéri?
mitonnet.
Me coucher avant de savoir le tésultat du
vote?... Jamais!
m°" mitonnet, rougissant.
Cependant... mon bon ami... tu m'avais
promis...
mitonnet.
Le citoyen passe avant le mari, sachez-le,
madame.
(Rentre Joséphine.)
joséphine.
Le v'ià... vot! journal... Quel temps de
chien !... Oh ! ces maîtres !...
mitonnet.
C'est bien... sortez... (Il déplie le journal fié-
vreusement, le parcourt, pousse un cri et s'affaisse
dans un fauteuil.)
madame mitonnet.
0 ciel !... Mitonnet!... tu te trouves mal?...
mitonnet, d'une voix éteinte.
Tous !... tous passés !... Malédiction!...
madame mitonnet.
Tous?...Tous, qui?
mitonnet.
Tous les radicaux!.,, tous ces gredins!...
tous ces va-nu-pieds !.. Ah ! je n'en revien-
drai pas !...
madame mitonnet , avec son plus doux sourire.
Eh bien, maintenant que tu es fixé... il me
semble que nous pouvons aller nous coucher
à présent ?
mitonnet, furieux.
Oui, certes, j'irai me coucher... J'ai besoin
de calmer mes nerfs... mais quant à ce que
je vous avais promis, madame... n'y comptez
pas!... il me serait impossible en présence
d'un pareil désastre... de réunir deux idées.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
QUE LES BONS TREMBLENT
et que
LES MÉCHANTS SE RASSIRENT!
11 y a de quoi !
Qu'est-ce qu'on lit en effet dans la Ga-
zette des Tribunaux!
Que M. Rouher a bien été mandé devant
le juge d'instruction, mais que c'est comme
témoin et non comme accuse! !
Parbleu !...
Et Grandperret aussi !
La Gazette des Tribunaux ne veut pas que
même le soupçon effleure ces deux colombes!
Eux, conspirer !
Il n'y a pas de danger !
IL y avait un Comité de l'appel au peuple,
— c est vrai,
Mais ils n'en savaient rien,
Ils ne s'en doutaient même pas !...
Rouher dirige toutes les manœuvres bona-
partistes dont nous voyons se dérouler le pro-
gramme depuis plus de deux ans ;
C'est pourquoi il ignorait qu'on s'occupât
d'assurer la majorité dans les élections aux
candidats bonapartistes!...
Y a-t-il quelque chose qui saute aux yeux
plus clairement ?
Pour moi, cette question m'illumine !
J'en suis ébloui 1
Comment ne s'est-on pas dit cela plus tôt!...
Voilà ce que la Gazette des Tribunaux vient
faire entendre!»
Accuser Rouher de conspirer en faveur de
Napoléon IV,
Quelle horreur !
Et quelle invraisemblance !
Tout le monde conspirait avant Rouher !
Vous,
Moi,
Pierre, Paul, Joseph et Barnabe!
Mais qu'est-ce que vous voulez !
Il y a des gens si mal intentionnés!
A les en croire, Rouher ne serait pas in-
nocent!
Alors que tout le monde sait, — puisqu'il
l'a dit, — que c'était par la déclaration de
M. Cyprien Girard qu'il avait appris qu'il y
avait un comité de l'appel au peuple.
MOB.
LE GOUVERNEMENT EST SAUVÉ!
tragi-comédie en quelques scenfs
« Il parait certain que M. Thiers
n'abordera pas la tribune, à moins
d'incidents politiques tout à fait im-
prévus, pour laisser à la lutte un ca-
ractère ministériel et constitution-
rel. »
(Journaux roses, la veille de la
rentrée de la Chambre.)
SCÈNE I
A a préfecture de police
M. Léon Renault; installé commodément dans le
fauteuil de Piêtri, donne audience à quelques-
uns de ses fidèles « observateurs ». — Il pa-
raît soucieux ; il y a de quoi : la chambre va
se rouvrir après-demain, et il parait que le
sinistre vieillard est dans nos murs.
m. l. renault.
Vous disiez donc, Crapouillard, que vous
l'aviez vu?...
crapouillard.
Oui, monsieur le préfet... en propre per-
sonne!... 11 avait son chapeau gris, le misé-
rable!... Vous savez bien, monsieur le préfet,
i son chapeau gris I
m. l. renault, songeur.
Oui!... &on chaptau gris du temps de l'em-
pire!... son chapeau gris signe d'orage !
crapouillard.
Et ce qui complique la situation, monsieur
le préfet, c'est qu'il avait sous le bras un gros
rouleau de papier!
m. l. renault.
Des papiers!... vous dites, Crapouillard,
qu'il avait sous le bras des papiers...
crapouillard.
Oui, monsieur le préfet, un gros rouleau!...
m. l. renault, à pari.
Que faire, mon Dieu, que faire!... \& suis
sûr qu'il prépare un discours, — et s'il parle,
quelle.'responsabilité ne vais-je pas encourir!. .
Il se produira dans les bas-fonds soeiaux une
agitationI... (Haut. ) Crapouillard!
crapouillard.
Monsieur le préfet !
m. l. renault.
11 faut absolument que v»us sachiez s'il a
l'intention de parler à la rentrée....
crapouillard.
Je voudrais bien... mais comment faire !
m. l. renault.
Cela vous regarde.
crapouillard, à part.
Oh! les chefs!... (Haut.) Monsieur le pré-
fet, je ne crois pas me tromper en vous affir-
mant que ce sera bien difficile...
m. l. renault.
Allez!... je vous paierai en conséquence...
crapouillard.
Puisqu'il faut tout vous dire, monsieur le
préfet, je dois vous avouer qu'au moment où
je le surpris, il était accompagné de M. Jules
Simon, à qui il donna la main en le quittant,
et à qui il dit : « Pour ce qui est de la tri-
bune, c'est une affaire entendue!... »
m. l. renault.
Qrte ne le disiez-vous tout de suite, Cra-
pouillard !... Allons, assez causé!... Mettez-
vous en campagne, et songez que nous répon-
dons de l'ordre et de la sécurité du pays !...
Surveillez jour et nuit ce petit bonhomme, et
tâchez de savoir quels sont les points essen-
tiels de son discours!...
crapouillard.
J'y vais de ce pas, et monsieur le préfet
peut être assuré de mon zèle.
SCÈNE II
m. l. renault, seul et rêveur. Il chantonne :
C'est un métier bien difficile
u« garder la propriété,
De défendre les champs et la ville
Du vol et de l'iniquité !
Tiens ... quels sont donc ces vers si bien
appropriés à ma situation?... Ma foi, je n'en
sais rien !... Mais ce poète était un bien grand
homme!... Oui, c'est bien difficile!... surtout
quand on a affaire à un homme aussi pervers,
aussi entêté et aussi roublard, comme nous
disions dans le temps à Procope,— car on n'y
parlait pas toujours la langue de Bossuet,
dans le temps, à Procope !... Et dire que tout
ça retombe sur moi 1... que je suis chargé de
l'ordre et delà sécurité de cette grandecité!...
Que je réponds de tout, de l'allumage des
becs de gaz et de la tranquillité des fau-
bourgs !... que je suis un père de famille pour
Paris !... car enfin, hein ! il n'y a pas à aire,
je suis un père, quoi!... un vrai père!... En-
fin!... Il faut toujours que je prévienne le mi-
nistre de l'intérieur de ce qui se passe, parce
que, après tout, un homme seul ne peut pas
accepter des charges comme ça sans être un
peu aidé... Voyons, écrivons!... (Il prend une
plume et trace de sa plus belle écriture :)
Monsieur le ministre!
On m'informe que le pays est à la veille de
courir les plus graves dangers... La patrie,
monsieur le ministre, n'a pas trop, dans ces
pénibles conjonctures, de tous ses défenseurs,
et il faut que Votre Excellence fasse, comme
moi-même, appel à toute son énergie pour ne
point reculer devant la gravité des décisions
qu'il nous faudra prendre. Un homme, —
hélas ! monsieur le ministre, vous ne le con-
naissez nue trop ! — un homme qui s'est ac-
quis déjà une si triste célébrité depuis trois
ans, — qui ne cherche qu'à jeter le trouble et
ta désunion dans tous les partis,— M. Thiers,
puisqu'il faut l'appeler par son nom, —
M. Thiers est en train de préparer un dis-
cours dont il est impossible, jusqu'à présent,
de calculer les effets incendiaires, mais où il
fera sans doute usage de toutes les armes dont
sa noirceur sait si bien se servir d'ordinaire.
Vous jugerez comme moi, monsieur le minis-
tre, qu'il n'est que temps de recourir à toutes
les forces que la loi met à notre disposition
pour prévenir les conséquences redoutables
qui pourraient résulter des lugubres projets de
ce propre-à-rien.