LE GRILOT
LE RÊVE DE CASCARET
Cascaret est député.
Mon Dieu, je ne lui en veux pas.
C'est un état tout comme un autre.
Cascaret ne brille pas par son éloquence...
au contraire.
Son emploi, dans les grandes séances, con-
siste à dire d'une voix glapissante : Ah! ah!...
très-bien!... à la question!... à Vordre!...
Je défie qu'on lui ait jamais vu prendre le
chemin de la tribune.
C'est un des plus jolis interrupteurs.
Chacun son rôle dans la nature, n'est-ce
pas?
Le rosier produit des roses, le chêne des
glands, Cascaret des interruptions.
Députés de père en fils, les Cascaret ont
toujours interrompu.
C'est dans ie sang.
A cela près, bon homme et émargeant ses
appointements avec une régularité digne de
tous les encouragements.
Cascaret trouve la vie douce, et il a rai-
son.
Moyennant Quelques bureaux de tabac qu'il
promet éternellement à tes électeurs, il est
constamment renommé.
C'est donc un homme parfaitement heu-
reux... riche, jeune encore, l'œil vif, aimant
•les femmes et encore à môme de leur être
agréable.
Mais...
Ah ! voilà!... il y a un mais dans son exis-
tence si paisible et si bien réglée.
Cascaret a un cauchemar dans sa vie :
La DISSOLUTION !
Cascaret ne veut pas se dissoudre.
Il se trouve bien où il est. Il se cramponne I
à sa stalle, il s'attache désespérément à son
pupitre... il ne veut pas quitter Versailles,
dont il savoure l'air excellent, ni la caisse de
l'Assemblée qu'il trouve agréable à saigner le
31 du mois.
On a beau lui dire :
— Mais Cascaret, mon ami, il faut pourtant
se faire une raison. Voilà quatre ans que vous
êtes là. Certes, vous avez interrompu mieux
que personne ; mais on finit par se fatiguer de
tout, même d'interrompre.
— Jamais!...
— Soit. Cependant n'admettez-vous pas
que quelq-u'autre de vos compatriotes ne soit
plus apte que vous à représenter à présent le
besoin d'interruption de votre département?
— C'est impossible 1... Je connais mes élec-
teurs.
Eux aussi, ils vous connaissent, trop peut-
être...
— Monsieur !...
_Enfin, qu'est-ce que cela vous Sait de vous
en aller un moment, d'opérer ce qu'au théâtre
on appelle une fausse sortie, puisque, giâce aux
bureaux de tabac éternellement promis, vous
êtes sûr que vos braves électeurs vous renver-
ront ici ?
—* Sûr 1.., Sûr !... Certes, je crois pouvoir
compter sur leur reconnaissance.... Mais en
statistique, est-on jamais sûr de rien?
— Ah ! pour cela il est de fait...
_Qui me répond que quelque Gringalet
ne profitera pas de cette occasion pour se ré-
pandre à mes dépens en telles paroles, et pour
me subtiliser le meilleur de mes électeurs.
— Ahl dame !...
— Ils sont si bêtes, avec cela 1...
— Ah ! vous en convenez donc?
— Bêtes n'est pas le mot précisément...
c'est naïfs que je voulais dire.
— Cascaret, vous êtes dur pour vos amis !
— Et c'est qu'aussi je suis exaspéré !...
Cette satanée dissolution qu'on me corne con-
tinuellement aux oreilles !... Je ne veux pas
m'en aller, moi, na !...
_Parbleu ! je comprends ça, mon cher
Cascaret, mais...
— Il n'y a pas de mais 1
— Si...
— Il n'y a pas de si !...
Cette Chambre est à mon gré.
M'y voici. J'y resterai!...
Comme on chante dans Jean de Paris.
— Du moment où vous le prenez comme
ça !...
_Parbleu!... comment voulez-vous donc
que je le prenne?...Tenez, voyez-vous ce seul
mot de dissolution me met dans des colères
bleues... Savez-vous ce que j'ai fait à mon
médecin ce maiin.
— Non.
— Eh bien, je l'ai flanqué du haut en bas
de mes escaliers.
— Parce que?...
_ Parce qu'il m'avait recommandé de
tremper un bobo que j'ai au doigt dans une
dissolution d'acide phénique!...
— Eh bien, mais, il me semble que 1 acide
phénique...
— L'acide phénique, soit!... mais la disso-
lution!... jamais 1...
NICOLAS FLAMMÈCHE.
Au moment de mettre sous presse, on nous
apprend que Cascaret vient d'être transporté
chez le docteur Blanche.
Son état est des plus inquiétants. Le com-
missaire qui lui a porté sa malle lui ayant de-
mandé un pourboire de dix sous, Cascaret a
failli le dévorer.
On ne pense pas qu'il en revienne.
LA RÉPUBLIQUE DE BÊRÂNGER
On peut aller même à la messe;
AiDsi le veut la liberté.
(Béranger.)
Et pourquoi non?
Ceci s'adresse à messieurs les Belges qui
viennent de se livrer sur le dos de quelques
imbéciles à une orgie de coups de canne, in-
digne d'un peuple aussi intelligent et qui vous
a donné tant de leçons de vrai libéralisme.
Voici les faits :
Quelques milliers de bonshommes s'ima-
ginent d'élever près de Gand une concurrence
à la grotte miraculeuse de Lourdes.
Ça les amusait, ces braves gens, d'aller
boire un grand verre d'eau pure, avec accom-
pagnement de cantiques.
Mon Dieu, j'avoue que ces ridicules parades
m'auraient laissé absolument indifférent.
Il fallait laisser les bons pèlerins avaler
leur eau merveilleuse, y prendre des bains et
y tirer des coupes tout à leur aise. Car enfin,
ces gens-là sont des citoyens comme les au-
tres, et qui ont, comme tout le monde, droit
d'avoir une opinion, même celle de se griser
d'eau pure.
La liberté, mes enfants! la liberté pour
tous !
An lieu de cela, on leur tombe dessus à bras
raccourcis; ce qui est injuste d'abord et mal-
adroit ensuite. Car cela donne à ces farceurs
le droit au martyre, ce qui peut en faire des
gens dangereux à un moment donné.
Et puis, franchement, sans être libres nous-
mùmes, laissons libres les autres.
C'est le bon sens qui jugera.
Là est le droit, là est la justice, savez-vous?
Etj'ajouterai : là est l'esprit.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
Jamais contents!
C'est positif!
Il y a des gens qui vous demanderaient la
lune,— à qui vous la donneriez, — et qui
demanderaient encore une demi-douzaine
d'étoiles pour mettre autour.
Tenez, M. Laboulaye, par exemple!
Cet ancien plébiscitaire a demandé aux ré-
publicains,— auxquels il a subtilisé un en-
crier avec l'habileté que l'on sait, — de le
nommer député. Ils l'ont nommé.
Il a voulu être de la gauche. On l'y a reçu,
— comme s'il n'avait pas de cadavres dans
son existence.
Il a voulu être de la commission des Trente.
On l'en a mis.
Et aujourd'hui, le voilà qui ne veut plus
s'en aller, et qui prétend rester de la com-
mission des Trente jusqu'à la lin des siècles,
dût-il être le seul membre!
Insatiable!
C'est comme l'impératrice.
On l'a comblée de toutes les façons!
On l'a laissée emporter tout ce qu'elle a
vculu !
Jules Simon lui a lui-même emballé et ex-
pédié sa cuvette et autres menus objets de
toilette.
De peur qu'elle n'eût pas assez de monnaie
pour s'acheter de la poudre de riz et des
fausses nattes, — bien que ce ne soit proba-
blement pas pour des prunes qu'on se soit
fait payer pendant dix ans l'entretien d'une
armée sur le pied de guerre, alors qu'on avait
deux cent vingt mille hommes sous les ar-
mes.
On lui a donné à plusieurs reprises des
sommes suffisantes à doter d'écoles et d'hos-
pices un quart de nos départements.
Eh bien! elle n'est pas contente 1 Elle veut
qu'on lui achète encore ses bibelots au prix de
l'or, -- et qu'on lui donne pour son coM-
cream.
Insatiable, comme le plébiscitaire Labou-
laye !
Ah! ces bonapartistes, anciens ou nou-
veaux, hommes ou femmes, ils sont tous les
mêmes!
Et on les trouve toujours sur le chemin de
la caisse, — de la croix, — ou de la Belgi-
que !
ZED.
LA FAMILLE BÊTAPIN
C'est aujourd'hui le grand jour, le terrible
jour
Le jour où l'on doit voter sur la proposition
de Courcelle.
La famille Bêtapin, réunie dans le jardin
(huit mètres carrés, y compris le perron qui
conduit dans la salle à manger) semble plon-
gée dans une morne inquiétude.
M. Bêtapin, député de la nuance...
Mon Dieu! de la nuance que vous vou-
drez!
M. Bêtapin est à Versailles !
Que va-t-il se passer dans cette redoutable
séance !
Voilà ce que se demande la famille Bêta-
pin !
Et, ici, il faut que j'ouvre une parenthèse.
M. Bêtapin, ancien notaire du département
du... Finistère, par exemple, si vous vou-
lez...
M. Bêtapin a été nommé député au scrutin
du 8 février 1871.
A tous égards, du reste, il était digne de
l'être '
C'est un honnête homme, ami de l'ordre
sous quelque régime que ce soit, — des lois,
cela va sans dire, — de la religion, vous le de-
vinez,— et d'une aisance honorable... comme
vous et moi.
Quand il fut élu, il se dit que le pays avait
besoin d'être reconstitué sur ses bases,—que
l'anarchie devait être abattue.il n'était que
temps; — que les bons principes et les hom-
mes destinés à les soutenir baissaient de jour
en jour, — et que puisque lui, Bêtapin, était
un de ces rares hommes , comme la France
en compte trop peu, — son élection était un
des faits les plus heureux qui pussent se pré-
senter dans le département du,.. Finistère.
Le fait était d'autant plus heureux égale-
ment, d'un autre côté, que M. Bêtapin n'ayant
jamais passé pour un aigle dans son pays , sa
clientèle, pendant son passage au notariat,
avait été, pour ainsi dire, insignifiante, — et
qu'il vivotait avant la guerre dans un castel
ayant plutôt l'air d'une ferme que d'un pa-
lais, avec toute sa famille, — et trois mille li-
vres de rente.
Son traitement de député avait donc, com-
me on dit, contribué à mettre pas mal de
beurre dans ses épinards; — et depuis quatre
ans, la bonne, Bretonne qu'on avait amenée
à Paris, parce qu'on sait ce que valent les
bonnes de Paris, pouvait se permettre le sa-
medi soir d'acheter un gigot de mouton ou
une poularde.
* *
Tout allait donc bien.
On avait presque treize mille francs de
rentes !
Mademoiselle Isoline, plusieurs fois pré-
sentée dans le monde et invitée une fois à
l'Elysée, s'était entendu dire une fois par la
maréchale :
« Elle est charmante cette petite ! »
Et concevait déjà l'espérance de se marier
au moins à un attaché de l'ambassade turque
ou à un conseiller d'Etat.
Le fils aîné, Gilles Bêtapin, avait le légi-
time soupçon que la magistrature devait man-
quer d'un substitut de procureur de la Répu-
blique, ou d'un sous-receveur général de son
âge et de sa nuance.
Et M. Bêtapin pére ne concevait plus au-
cune crainte sur le sort de ses fils Adalbert,
Amaury, Gontran etMelchior, et de sa petite
dernière, la blonde Yseult.
Hélas! hélas! Fatalité!...
Kvuyxri, comme dit Hugo !
Cet avenir de soie et d'or fut tout à coup
traversé par une catastrophe !
La catastrophe, mes enfants, vous l'avez
j devinée, n'est-ce pasl
La catastrophe dont je veux parler,
C'est la proposition Courcelle.
*
Lorsque la nouvelle de cette horrible pro-
position arriva aux oreilles de madame Bêta-
pin, une épouvantable angoisse s'empara de
son cœur maternel.
A quoi tendait cette proposition ?
Je n'ose le dire, mes enfants!
A supprimer tes élections partielles, —^^c'est-
à-dire, à conduire, dans un bref délai, aux
élections générales.
*
* *
Le matin du jour affreux où cette sinistre
proposition devait être discutée à la Chambre,
Mme Bêtapin prit à part M. Bêtapin un peu
avant son départ;
Elle lui passe au cou une petite médaille et
lui dit :
« Allez, mon ami, que Dieu vous protège!
» Songez bien qu'il y va de l'avenir de nos
enfants ! »
M. Bêtapin lui baisa tristement le front, et
murmura :
« Oui!... que Dieu protège la France!... Et
la Bretagne surtout !...
« Mais j'espère qu'il nous aura en sa sainte
garde, — et que tout tournera bien ! »
Donc, la famille Bêtapin tout entière était
réunie dans le jardin de la petite maison d'Au-
teuil.
Mme Bêtapin lisait le Traité de la Perfeetion
Chrétienne.
Mlle Isoline brodait.
M. Gilles parcourait la Patrie.
Adalbert et Amaury jouaient au cheval
fondu.
Gontrand sifflait.
Melchior se tournait les doigts dans le nez.
Et la blonde Yseult mangeait une tartine de
confitures.
*
* *
Tout-à-coup, Mme Bêtapin posa son livre
sur ses genoux et dit :
— Gilles, quelle heure est-il ?
— Six heures et demie, répondit Gilles...
Et papa qui ne rentre pas !
— Ah! quelle séance! quelle séance!...
Amaury et Adalbert, ne faites pas tant de
bruit, méchants enfants... je ne conçois pas
que vous puissiez tant vous amuser, quand
vous savez qu'en ce moment votre père est si
contrarié !
— Mais, maman...
— Taisez-vous, monsieur!... Ça doit être
terrible!... Toute la gauche doit faire des ef-
forts inouïs pour faire voter la proposition!...
— Ça, naturellement!
— Oui. ils sont sûrs d'être tous renommés,
eux!... aussi égoïstes, comme ils le sont tous,
ils se soucient bien que votre père perde son
siège.
— Bah ! il n'est pas dit que la proposition
passera!... Nous en avons bien vu d'autres!
— Sans doute, mon enfant!... mais c'est
précisément parce que nous en avons tant vu
qu'il y a des chances...
— Allons, maman, vous voyez touten noir...
Au fond, tous ces messieurs tiennent autant
que papa à garder leur place, et la preuve...
Ici mademoiselle Isoline prit la parole :
— Maman, dit-elle, si la modiste n'apporte
pas mon chapeau ce soir, il faudrait bien pas-
ser chez elle I...
— Vous choisissez bien votre moment, ma-
demoiselle, fit sévèrement madame Bêtapin...
c'est, en effet, le temps de parler de chapeau
alors qu'on est peut-être en train de nous
renvoyer chez nous !
— Mais, maman, il y a de temps en temps
des bals chez le sous-préfet de...
— Taisez-vous, mademoiselle, vous n'avez
en tête que des frivolités... Gilles, quelle
heure est-il ?
— Sept heures dix, répondit Gilles... Et
papa qui ne rentre pas 1
— S'il avait au moins l'esprit d'envoyer une
dépêche!...
— Oh ! ce n'est pas le moment de faire des
faux frais !
— Tu as raison, Gilles !... Ah ! je suis dans
des trnnses abominables!
— Bigre! Il est de fait que si ça passe, et
que nous soyons obligés de retourner à notre
castel de Brisetonbec-les-pois-chiches, ce ne
sera pas drôle ! •
— Mais songe donc, Gilles... Yseult, ne
donnez pas toute votre tartine au chien, vi-
laine fille ! songe donc comme nos voisins se
moqueront de nous, tout en ayant l'air de
nous plaindre!
— Ce serait un coup dur, oui!... M:iis com-
ment, diablel cela s'esl-il fait!... Comment
est-on arrivé à consentir à voter sur cette pro-
position ridicule, au lieu de l.i renvoyer sim-
plement par la question préalable!...
— Et cela passera, j'en snis sûr, cela pas-
sera!... Ah! Dieu nous abandonnera!...Gilles,
quelle heure est-il?
— Huit heures, maman!
— C'est fini, nous sommes perdus!... kn
père n'ose pas rentrer à la maison avec cette
mauvaise nouvelle!...
Tout à coup, on entend un grand bruit de
sonnette !
» Madame Bêtapin ne fait qu'un saut sur sa
LE RÊVE DE CASCARET
Cascaret est député.
Mon Dieu, je ne lui en veux pas.
C'est un état tout comme un autre.
Cascaret ne brille pas par son éloquence...
au contraire.
Son emploi, dans les grandes séances, con-
siste à dire d'une voix glapissante : Ah! ah!...
très-bien!... à la question!... à Vordre!...
Je défie qu'on lui ait jamais vu prendre le
chemin de la tribune.
C'est un des plus jolis interrupteurs.
Chacun son rôle dans la nature, n'est-ce
pas?
Le rosier produit des roses, le chêne des
glands, Cascaret des interruptions.
Députés de père en fils, les Cascaret ont
toujours interrompu.
C'est dans ie sang.
A cela près, bon homme et émargeant ses
appointements avec une régularité digne de
tous les encouragements.
Cascaret trouve la vie douce, et il a rai-
son.
Moyennant Quelques bureaux de tabac qu'il
promet éternellement à tes électeurs, il est
constamment renommé.
C'est donc un homme parfaitement heu-
reux... riche, jeune encore, l'œil vif, aimant
•les femmes et encore à môme de leur être
agréable.
Mais...
Ah ! voilà!... il y a un mais dans son exis-
tence si paisible et si bien réglée.
Cascaret a un cauchemar dans sa vie :
La DISSOLUTION !
Cascaret ne veut pas se dissoudre.
Il se trouve bien où il est. Il se cramponne I
à sa stalle, il s'attache désespérément à son
pupitre... il ne veut pas quitter Versailles,
dont il savoure l'air excellent, ni la caisse de
l'Assemblée qu'il trouve agréable à saigner le
31 du mois.
On a beau lui dire :
— Mais Cascaret, mon ami, il faut pourtant
se faire une raison. Voilà quatre ans que vous
êtes là. Certes, vous avez interrompu mieux
que personne ; mais on finit par se fatiguer de
tout, même d'interrompre.
— Jamais!...
— Soit. Cependant n'admettez-vous pas
que quelq-u'autre de vos compatriotes ne soit
plus apte que vous à représenter à présent le
besoin d'interruption de votre département?
— C'est impossible 1... Je connais mes élec-
teurs.
Eux aussi, ils vous connaissent, trop peut-
être...
— Monsieur !...
_Enfin, qu'est-ce que cela vous Sait de vous
en aller un moment, d'opérer ce qu'au théâtre
on appelle une fausse sortie, puisque, giâce aux
bureaux de tabac éternellement promis, vous
êtes sûr que vos braves électeurs vous renver-
ront ici ?
—* Sûr 1.., Sûr !... Certes, je crois pouvoir
compter sur leur reconnaissance.... Mais en
statistique, est-on jamais sûr de rien?
— Ah ! pour cela il est de fait...
_Qui me répond que quelque Gringalet
ne profitera pas de cette occasion pour se ré-
pandre à mes dépens en telles paroles, et pour
me subtiliser le meilleur de mes électeurs.
— Ahl dame !...
— Ils sont si bêtes, avec cela 1...
— Ah ! vous en convenez donc?
— Bêtes n'est pas le mot précisément...
c'est naïfs que je voulais dire.
— Cascaret, vous êtes dur pour vos amis !
— Et c'est qu'aussi je suis exaspéré !...
Cette satanée dissolution qu'on me corne con-
tinuellement aux oreilles !... Je ne veux pas
m'en aller, moi, na !...
_Parbleu ! je comprends ça, mon cher
Cascaret, mais...
— Il n'y a pas de mais 1
— Si...
— Il n'y a pas de si !...
Cette Chambre est à mon gré.
M'y voici. J'y resterai!...
Comme on chante dans Jean de Paris.
— Du moment où vous le prenez comme
ça !...
_Parbleu!... comment voulez-vous donc
que je le prenne?...Tenez, voyez-vous ce seul
mot de dissolution me met dans des colères
bleues... Savez-vous ce que j'ai fait à mon
médecin ce maiin.
— Non.
— Eh bien, je l'ai flanqué du haut en bas
de mes escaliers.
— Parce que?...
_ Parce qu'il m'avait recommandé de
tremper un bobo que j'ai au doigt dans une
dissolution d'acide phénique!...
— Eh bien, mais, il me semble que 1 acide
phénique...
— L'acide phénique, soit!... mais la disso-
lution!... jamais 1...
NICOLAS FLAMMÈCHE.
Au moment de mettre sous presse, on nous
apprend que Cascaret vient d'être transporté
chez le docteur Blanche.
Son état est des plus inquiétants. Le com-
missaire qui lui a porté sa malle lui ayant de-
mandé un pourboire de dix sous, Cascaret a
failli le dévorer.
On ne pense pas qu'il en revienne.
LA RÉPUBLIQUE DE BÊRÂNGER
On peut aller même à la messe;
AiDsi le veut la liberté.
(Béranger.)
Et pourquoi non?
Ceci s'adresse à messieurs les Belges qui
viennent de se livrer sur le dos de quelques
imbéciles à une orgie de coups de canne, in-
digne d'un peuple aussi intelligent et qui vous
a donné tant de leçons de vrai libéralisme.
Voici les faits :
Quelques milliers de bonshommes s'ima-
ginent d'élever près de Gand une concurrence
à la grotte miraculeuse de Lourdes.
Ça les amusait, ces braves gens, d'aller
boire un grand verre d'eau pure, avec accom-
pagnement de cantiques.
Mon Dieu, j'avoue que ces ridicules parades
m'auraient laissé absolument indifférent.
Il fallait laisser les bons pèlerins avaler
leur eau merveilleuse, y prendre des bains et
y tirer des coupes tout à leur aise. Car enfin,
ces gens-là sont des citoyens comme les au-
tres, et qui ont, comme tout le monde, droit
d'avoir une opinion, même celle de se griser
d'eau pure.
La liberté, mes enfants! la liberté pour
tous !
An lieu de cela, on leur tombe dessus à bras
raccourcis; ce qui est injuste d'abord et mal-
adroit ensuite. Car cela donne à ces farceurs
le droit au martyre, ce qui peut en faire des
gens dangereux à un moment donné.
Et puis, franchement, sans être libres nous-
mùmes, laissons libres les autres.
C'est le bon sens qui jugera.
Là est le droit, là est la justice, savez-vous?
Etj'ajouterai : là est l'esprit.
NICOLAS FLAMMÈCHE.
Jamais contents!
C'est positif!
Il y a des gens qui vous demanderaient la
lune,— à qui vous la donneriez, — et qui
demanderaient encore une demi-douzaine
d'étoiles pour mettre autour.
Tenez, M. Laboulaye, par exemple!
Cet ancien plébiscitaire a demandé aux ré-
publicains,— auxquels il a subtilisé un en-
crier avec l'habileté que l'on sait, — de le
nommer député. Ils l'ont nommé.
Il a voulu être de la gauche. On l'y a reçu,
— comme s'il n'avait pas de cadavres dans
son existence.
Il a voulu être de la commission des Trente.
On l'en a mis.
Et aujourd'hui, le voilà qui ne veut plus
s'en aller, et qui prétend rester de la com-
mission des Trente jusqu'à la lin des siècles,
dût-il être le seul membre!
Insatiable!
C'est comme l'impératrice.
On l'a comblée de toutes les façons!
On l'a laissée emporter tout ce qu'elle a
vculu !
Jules Simon lui a lui-même emballé et ex-
pédié sa cuvette et autres menus objets de
toilette.
De peur qu'elle n'eût pas assez de monnaie
pour s'acheter de la poudre de riz et des
fausses nattes, — bien que ce ne soit proba-
blement pas pour des prunes qu'on se soit
fait payer pendant dix ans l'entretien d'une
armée sur le pied de guerre, alors qu'on avait
deux cent vingt mille hommes sous les ar-
mes.
On lui a donné à plusieurs reprises des
sommes suffisantes à doter d'écoles et d'hos-
pices un quart de nos départements.
Eh bien! elle n'est pas contente 1 Elle veut
qu'on lui achète encore ses bibelots au prix de
l'or, -- et qu'on lui donne pour son coM-
cream.
Insatiable, comme le plébiscitaire Labou-
laye !
Ah! ces bonapartistes, anciens ou nou-
veaux, hommes ou femmes, ils sont tous les
mêmes!
Et on les trouve toujours sur le chemin de
la caisse, — de la croix, — ou de la Belgi-
que !
ZED.
LA FAMILLE BÊTAPIN
C'est aujourd'hui le grand jour, le terrible
jour
Le jour où l'on doit voter sur la proposition
de Courcelle.
La famille Bêtapin, réunie dans le jardin
(huit mètres carrés, y compris le perron qui
conduit dans la salle à manger) semble plon-
gée dans une morne inquiétude.
M. Bêtapin, député de la nuance...
Mon Dieu! de la nuance que vous vou-
drez!
M. Bêtapin est à Versailles !
Que va-t-il se passer dans cette redoutable
séance !
Voilà ce que se demande la famille Bêta-
pin !
Et, ici, il faut que j'ouvre une parenthèse.
M. Bêtapin, ancien notaire du département
du... Finistère, par exemple, si vous vou-
lez...
M. Bêtapin a été nommé député au scrutin
du 8 février 1871.
A tous égards, du reste, il était digne de
l'être '
C'est un honnête homme, ami de l'ordre
sous quelque régime que ce soit, — des lois,
cela va sans dire, — de la religion, vous le de-
vinez,— et d'une aisance honorable... comme
vous et moi.
Quand il fut élu, il se dit que le pays avait
besoin d'être reconstitué sur ses bases,—que
l'anarchie devait être abattue.il n'était que
temps; — que les bons principes et les hom-
mes destinés à les soutenir baissaient de jour
en jour, — et que puisque lui, Bêtapin, était
un de ces rares hommes , comme la France
en compte trop peu, — son élection était un
des faits les plus heureux qui pussent se pré-
senter dans le département du,.. Finistère.
Le fait était d'autant plus heureux égale-
ment, d'un autre côté, que M. Bêtapin n'ayant
jamais passé pour un aigle dans son pays , sa
clientèle, pendant son passage au notariat,
avait été, pour ainsi dire, insignifiante, — et
qu'il vivotait avant la guerre dans un castel
ayant plutôt l'air d'une ferme que d'un pa-
lais, avec toute sa famille, — et trois mille li-
vres de rente.
Son traitement de député avait donc, com-
me on dit, contribué à mettre pas mal de
beurre dans ses épinards; — et depuis quatre
ans, la bonne, Bretonne qu'on avait amenée
à Paris, parce qu'on sait ce que valent les
bonnes de Paris, pouvait se permettre le sa-
medi soir d'acheter un gigot de mouton ou
une poularde.
* *
Tout allait donc bien.
On avait presque treize mille francs de
rentes !
Mademoiselle Isoline, plusieurs fois pré-
sentée dans le monde et invitée une fois à
l'Elysée, s'était entendu dire une fois par la
maréchale :
« Elle est charmante cette petite ! »
Et concevait déjà l'espérance de se marier
au moins à un attaché de l'ambassade turque
ou à un conseiller d'Etat.
Le fils aîné, Gilles Bêtapin, avait le légi-
time soupçon que la magistrature devait man-
quer d'un substitut de procureur de la Répu-
blique, ou d'un sous-receveur général de son
âge et de sa nuance.
Et M. Bêtapin pére ne concevait plus au-
cune crainte sur le sort de ses fils Adalbert,
Amaury, Gontran etMelchior, et de sa petite
dernière, la blonde Yseult.
Hélas! hélas! Fatalité!...
Kvuyxri, comme dit Hugo !
Cet avenir de soie et d'or fut tout à coup
traversé par une catastrophe !
La catastrophe, mes enfants, vous l'avez
j devinée, n'est-ce pasl
La catastrophe dont je veux parler,
C'est la proposition Courcelle.
*
Lorsque la nouvelle de cette horrible pro-
position arriva aux oreilles de madame Bêta-
pin, une épouvantable angoisse s'empara de
son cœur maternel.
A quoi tendait cette proposition ?
Je n'ose le dire, mes enfants!
A supprimer tes élections partielles, —^^c'est-
à-dire, à conduire, dans un bref délai, aux
élections générales.
*
* *
Le matin du jour affreux où cette sinistre
proposition devait être discutée à la Chambre,
Mme Bêtapin prit à part M. Bêtapin un peu
avant son départ;
Elle lui passe au cou une petite médaille et
lui dit :
« Allez, mon ami, que Dieu vous protège!
» Songez bien qu'il y va de l'avenir de nos
enfants ! »
M. Bêtapin lui baisa tristement le front, et
murmura :
« Oui!... que Dieu protège la France!... Et
la Bretagne surtout !...
« Mais j'espère qu'il nous aura en sa sainte
garde, — et que tout tournera bien ! »
Donc, la famille Bêtapin tout entière était
réunie dans le jardin de la petite maison d'Au-
teuil.
Mme Bêtapin lisait le Traité de la Perfeetion
Chrétienne.
Mlle Isoline brodait.
M. Gilles parcourait la Patrie.
Adalbert et Amaury jouaient au cheval
fondu.
Gontrand sifflait.
Melchior se tournait les doigts dans le nez.
Et la blonde Yseult mangeait une tartine de
confitures.
*
* *
Tout-à-coup, Mme Bêtapin posa son livre
sur ses genoux et dit :
— Gilles, quelle heure est-il ?
— Six heures et demie, répondit Gilles...
Et papa qui ne rentre pas !
— Ah! quelle séance! quelle séance!...
Amaury et Adalbert, ne faites pas tant de
bruit, méchants enfants... je ne conçois pas
que vous puissiez tant vous amuser, quand
vous savez qu'en ce moment votre père est si
contrarié !
— Mais, maman...
— Taisez-vous, monsieur!... Ça doit être
terrible!... Toute la gauche doit faire des ef-
forts inouïs pour faire voter la proposition!...
— Ça, naturellement!
— Oui. ils sont sûrs d'être tous renommés,
eux!... aussi égoïstes, comme ils le sont tous,
ils se soucient bien que votre père perde son
siège.
— Bah ! il n'est pas dit que la proposition
passera!... Nous en avons bien vu d'autres!
— Sans doute, mon enfant!... mais c'est
précisément parce que nous en avons tant vu
qu'il y a des chances...
— Allons, maman, vous voyez touten noir...
Au fond, tous ces messieurs tiennent autant
que papa à garder leur place, et la preuve...
Ici mademoiselle Isoline prit la parole :
— Maman, dit-elle, si la modiste n'apporte
pas mon chapeau ce soir, il faudrait bien pas-
ser chez elle I...
— Vous choisissez bien votre moment, ma-
demoiselle, fit sévèrement madame Bêtapin...
c'est, en effet, le temps de parler de chapeau
alors qu'on est peut-être en train de nous
renvoyer chez nous !
— Mais, maman, il y a de temps en temps
des bals chez le sous-préfet de...
— Taisez-vous, mademoiselle, vous n'avez
en tête que des frivolités... Gilles, quelle
heure est-il ?
— Sept heures dix, répondit Gilles... Et
papa qui ne rentre pas 1
— S'il avait au moins l'esprit d'envoyer une
dépêche!...
— Oh ! ce n'est pas le moment de faire des
faux frais !
— Tu as raison, Gilles !... Ah ! je suis dans
des trnnses abominables!
— Bigre! Il est de fait que si ça passe, et
que nous soyons obligés de retourner à notre
castel de Brisetonbec-les-pois-chiches, ce ne
sera pas drôle ! •
— Mais songe donc, Gilles... Yseult, ne
donnez pas toute votre tartine au chien, vi-
laine fille ! songe donc comme nos voisins se
moqueront de nous, tout en ayant l'air de
nous plaindre!
— Ce serait un coup dur, oui!... M:iis com-
ment, diablel cela s'esl-il fait!... Comment
est-on arrivé à consentir à voter sur cette pro-
position ridicule, au lieu de l.i renvoyer sim-
plement par la question préalable!...
— Et cela passera, j'en snis sûr, cela pas-
sera!... Ah! Dieu nous abandonnera!...Gilles,
quelle heure est-il?
— Huit heures, maman!
— C'est fini, nous sommes perdus!... kn
père n'ose pas rentrer à la maison avec cette
mauvaise nouvelle!...
Tout à coup, on entend un grand bruit de
sonnette !
» Madame Bêtapin ne fait qu'un saut sur sa