76 LA CONCEPTION HIÉRARCHIQUE DE LA SOCIÉTÉ
existante. Car, pour l’homme du moyen-âge, cette idée
visait, non point une impossible égalité future dans cette
vie, mais la très proche égalité dans la mort. Chez Eustache
Deschamps, nous la trouvons en rapport direct avec la repré-
sentation de la danse macabre, faite pour consoler de
l’injustice de ce monde. C’est Adam lui-même qui parle à sa
postérité :
Enfans, enfans, de moy, Adam, venuz,
Qui après Dieu suis peres premerain
Créé de lui, tous estes descenduz
Naturelment de ma coste et d’Evain ;
Vo mere fut. Comment est l’un'villain
Et l’autre prant le nom de gentillesce
De vous, freres ? dont vient tele noblesce ?
Je ne le scay, se ce n’est des vertus,
Et les villains de tout vice qui blesce :
Vous estes tous d’une pel revestus.
Quant Dieu me fist de la boe ou je fus,
Homme mortel, faible, pesant et vain,
Eve de moy, il nous créa tous nuz,
Mais l’esperit nous inspira a plain
Perpétuel, puis eusmes soif et faim,
Labour, dolour, et enfans en tristesce ;
Pour noz pechiez enfantent a destresce
Toutes femmes ; vilment estes conçuz.
Dont vient ce nom : vilain, qui les cuers blesce ?
Vous estes tous d’une pel revestuz.
Les roys puissans, les contes et les dus,
Li gouverneur du peuple et souverain,
Quant ilz naissent, de quoy sont ilz vestuz ?
D’une orde pel.
...Prince, pensez, sanz avoir en desdain
Les povres gens, que la mort tient le frain (1).
C’est conformément à ces idées que d’enthousiastes adeptes
de l’idéal chevaleresque mettent parfois en relief les actions
des héros paysans, afin d’enseigner à la noblesse « que parfois
ceux-là qu’ils estiment villageois sont animés du plus grand
courage » (2).
Car le fond de toutes ces idées est ceci : la noblesse a la
(1) Deschamps, VI, p. 124, n° 1176.
(2) Molinet, II, pp. 104-107 ; Jean Le Maire de Belges, Les chansons de
Namur, 1507.
existante. Car, pour l’homme du moyen-âge, cette idée
visait, non point une impossible égalité future dans cette
vie, mais la très proche égalité dans la mort. Chez Eustache
Deschamps, nous la trouvons en rapport direct avec la repré-
sentation de la danse macabre, faite pour consoler de
l’injustice de ce monde. C’est Adam lui-même qui parle à sa
postérité :
Enfans, enfans, de moy, Adam, venuz,
Qui après Dieu suis peres premerain
Créé de lui, tous estes descenduz
Naturelment de ma coste et d’Evain ;
Vo mere fut. Comment est l’un'villain
Et l’autre prant le nom de gentillesce
De vous, freres ? dont vient tele noblesce ?
Je ne le scay, se ce n’est des vertus,
Et les villains de tout vice qui blesce :
Vous estes tous d’une pel revestus.
Quant Dieu me fist de la boe ou je fus,
Homme mortel, faible, pesant et vain,
Eve de moy, il nous créa tous nuz,
Mais l’esperit nous inspira a plain
Perpétuel, puis eusmes soif et faim,
Labour, dolour, et enfans en tristesce ;
Pour noz pechiez enfantent a destresce
Toutes femmes ; vilment estes conçuz.
Dont vient ce nom : vilain, qui les cuers blesce ?
Vous estes tous d’une pel revestuz.
Les roys puissans, les contes et les dus,
Li gouverneur du peuple et souverain,
Quant ilz naissent, de quoy sont ilz vestuz ?
D’une orde pel.
...Prince, pensez, sanz avoir en desdain
Les povres gens, que la mort tient le frain (1).
C’est conformément à ces idées que d’enthousiastes adeptes
de l’idéal chevaleresque mettent parfois en relief les actions
des héros paysans, afin d’enseigner à la noblesse « que parfois
ceux-là qu’ils estiment villageois sont animés du plus grand
courage » (2).
Car le fond de toutes ces idées est ceci : la noblesse a la
(1) Deschamps, VI, p. 124, n° 1176.
(2) Molinet, II, pp. 104-107 ; Jean Le Maire de Belges, Les chansons de
Namur, 1507.