152 LES CONVENTIONS AMOUREUSES
Jeune homme, il avait été emmené par son père dans un
château afin de faire la connaissance d’une jeune fille avec
laquelle on désirait le voir se marier. Celle-ci l’avait ac-
cueilli des plus aimablement. Pour l’éprouver, il lui parla de
différents sujets. La conversation tomba sur les prisonniers,
et le jeune gentilhomme fit un cérémonieux compliment :
« Mademoiselle, il vaudroit mieulx cheoir à estre votre pri-
sonnier que à tout plain d’autres, et pense que vostre prison
serait pas si dure comme celle des Angloys. — Si me respondit
qu’elle avoyt veu nagaires cel qu’elle vouldroit bien qu’il
feust son prisonnier. Et lors je luy demanday se elle luy
feroit male prison, et elle me dit que nennil et qu’elle le
tandroit ainsi chier comme son propre corps, et je lui dis
que celui estoit bien eureux d’avoir si doulce et si noble pri-
son. Que vous dirai-je ? Elle avait assez de langaige et lui
sambloit bien, selon ses parolles, qu’elle savoit assez, et si
avoit l’ueil bien vif et legier. » En prenant congé, elle lui de-
mande deux ou trois fois de revenir bientôt, comme si elle le
connaissait depuis longtemps. « Et quant nous fumes partis,
mon seigneur de père me dist : « Que te samble de celle que
tu as veue. Dy m’en ton avis. » Mais les encouragements par
trop pressants de la jeune fille avaient enlevé au jeune
homme tout désir de faire plus ample connaissance. « Mon
seigneur, elle me semble belle et bonne, mais je ne luy seray
ja plus de près que je suis, si vous plaist. » Les fiançailles
n’eurent pas lieu, et le chevalier dit avoir eu plus tard des
raisons de ne pas s’en repentir (1). Des morceaux de ce
genre, pris sur le vif, et qui nous montrent comment les
mœurs s’alliaient à l’idéal, sont malheureusement excessi-
vement rares au siècle qui nous occupe. Que le chevalier ne
nous en a-t-il dit un peu plus long sur sa propre vie !
La plus grande partie du livre se compose de considéra-
tions d’ordre général. Pour ses filles, il songe d’abord à un bon
mariage. Et le mariage n’avait pas grand chose à faire avec
l’amour. Il retrace le long « débat » qu’il eut avec sa femme
sur le sujet de l’amour permis, « le fait d’amer par amours ».
(1) P. 28.
Jeune homme, il avait été emmené par son père dans un
château afin de faire la connaissance d’une jeune fille avec
laquelle on désirait le voir se marier. Celle-ci l’avait ac-
cueilli des plus aimablement. Pour l’éprouver, il lui parla de
différents sujets. La conversation tomba sur les prisonniers,
et le jeune gentilhomme fit un cérémonieux compliment :
« Mademoiselle, il vaudroit mieulx cheoir à estre votre pri-
sonnier que à tout plain d’autres, et pense que vostre prison
serait pas si dure comme celle des Angloys. — Si me respondit
qu’elle avoyt veu nagaires cel qu’elle vouldroit bien qu’il
feust son prisonnier. Et lors je luy demanday se elle luy
feroit male prison, et elle me dit que nennil et qu’elle le
tandroit ainsi chier comme son propre corps, et je lui dis
que celui estoit bien eureux d’avoir si doulce et si noble pri-
son. Que vous dirai-je ? Elle avait assez de langaige et lui
sambloit bien, selon ses parolles, qu’elle savoit assez, et si
avoit l’ueil bien vif et legier. » En prenant congé, elle lui de-
mande deux ou trois fois de revenir bientôt, comme si elle le
connaissait depuis longtemps. « Et quant nous fumes partis,
mon seigneur de père me dist : « Que te samble de celle que
tu as veue. Dy m’en ton avis. » Mais les encouragements par
trop pressants de la jeune fille avaient enlevé au jeune
homme tout désir de faire plus ample connaissance. « Mon
seigneur, elle me semble belle et bonne, mais je ne luy seray
ja plus de près que je suis, si vous plaist. » Les fiançailles
n’eurent pas lieu, et le chevalier dit avoir eu plus tard des
raisons de ne pas s’en repentir (1). Des morceaux de ce
genre, pris sur le vif, et qui nous montrent comment les
mœurs s’alliaient à l’idéal, sont malheureusement excessi-
vement rares au siècle qui nous occupe. Que le chevalier ne
nous en a-t-il dit un peu plus long sur sa propre vie !
La plus grande partie du livre se compose de considéra-
tions d’ordre général. Pour ses filles, il songe d’abord à un bon
mariage. Et le mariage n’avait pas grand chose à faire avec
l’amour. Il retrace le long « débat » qu’il eut avec sa femme
sur le sujet de l’amour permis, « le fait d’amer par amours ».
(1) P. 28.