Nulle part n’apparaissent encore les modes nouvelles qui entrèrent en
usage dès la fin du xive siècle.
Le maître A est un grand artiste. Issu des belles traditions parisiennes
du xive siècle, telles qu’elles s’étaient affirmées depuis Pucelle ; héritier de la science,
et aussi des conventions, de cette école (draperies fluides à enroulements en volutes,
— terrains étagés, semés à distances égales de touffes de fleurs et de feuilles, etc.),
il a porté cette forme d’art à son apogée, au point de vue de la science du dessin.
Le modelé est remarquablement suivi et complet. Il en a poussé l’analyse plus
loin qu’aucun de ses contemporains ou de ses prédécesseurs. Personne, parmi les
peintres de son temps, ni même parmi ceux qui l’ont immédiatement suivi, n’a
aussi correctement construit les figures, au point de vue de la correspondance
entre les parties en raccourci et les parties en vue. Il est, du reste, essentiellement
dessinateur : sa peinture n’est que du dessin rehaussé de couleurs ; les différences
de tons clairs et sombres n’y servent qu’à faire ressortir la forme, le modelé, et
non à représenter les jeux de la lumière.
Il travaille d’acquit : pour chaque forme, il possède un canon fermement
préconçu. Par exemple pour le nez, dont un trait longe l’arête et en montre les
variations d’épaisseur ; pour la bouche avec la dépression médiane de la lèvre
inférieure nettement marquée ; pour le menton, dans lequel cette dépression se
répète ; pour les cheveux, toujours rendus d’une certaine manière, avec une ten-
dance à exagérer l’occiput; pour l’œil, la main, le pied, etc. Là même où il
traite des visages difformes, de bourreaux par exemple, les traces de ces canons
sont visibles. Rien chez lui n’est imprévu, ni abandonné à l’inspiration du moment:
il travaille de science et non d’impression. C’est déjà, dans son genre, un classique
bien français.
Son influence se découvre dans un grand nombre de manuscrits contem-
porains. On peut affirmer qu’il a été une personnalité dominante dans le monde
artistique français pendant le troisième tiers du xive siècle.
Nous connaissons, d’ailleurs, une œuvre fort célèbre qui est indubitablement
de la même main. Je veux parler du fameux Parement de Narbonne. Celui-ci
contient précisément une série de scènes de la Passion, notamment le « Baiser
de Judas », la « Flagellation », le « Portement de Croix », le « Crucifiement ». —•
L’analogie de la composition entre le « Baiser de Judas » et la « Flagellation »
du Parement de Narbonne et les mêmes sujets, dans le fragment de Rothschild,
est frappante.
Mais des analogies de composition ne sont jamais probantes quant à
l’identité d’auteur ; elles prouvent seulement une continuité de tradition ou
d’imitation. Ce qui emporte la conviction, c’est l’identité absolue dans la com-
préhension des formes, et dans la manière de les rendre par le dessin ; même
vision, et mêmes habitudes manuelles.
Comparez, par exemple, la tête du Christ, les proportions du corps, les
mains, les têtes de la Madone, de la Madeleine et d’autres femmes et des
jeunes hommes imberbes, dans le « Parement de Narbonne » et dans les différentes
pages des « Très Belles Heures ».
usage dès la fin du xive siècle.
Le maître A est un grand artiste. Issu des belles traditions parisiennes
du xive siècle, telles qu’elles s’étaient affirmées depuis Pucelle ; héritier de la science,
et aussi des conventions, de cette école (draperies fluides à enroulements en volutes,
— terrains étagés, semés à distances égales de touffes de fleurs et de feuilles, etc.),
il a porté cette forme d’art à son apogée, au point de vue de la science du dessin.
Le modelé est remarquablement suivi et complet. Il en a poussé l’analyse plus
loin qu’aucun de ses contemporains ou de ses prédécesseurs. Personne, parmi les
peintres de son temps, ni même parmi ceux qui l’ont immédiatement suivi, n’a
aussi correctement construit les figures, au point de vue de la correspondance
entre les parties en raccourci et les parties en vue. Il est, du reste, essentiellement
dessinateur : sa peinture n’est que du dessin rehaussé de couleurs ; les différences
de tons clairs et sombres n’y servent qu’à faire ressortir la forme, le modelé, et
non à représenter les jeux de la lumière.
Il travaille d’acquit : pour chaque forme, il possède un canon fermement
préconçu. Par exemple pour le nez, dont un trait longe l’arête et en montre les
variations d’épaisseur ; pour la bouche avec la dépression médiane de la lèvre
inférieure nettement marquée ; pour le menton, dans lequel cette dépression se
répète ; pour les cheveux, toujours rendus d’une certaine manière, avec une ten-
dance à exagérer l’occiput; pour l’œil, la main, le pied, etc. Là même où il
traite des visages difformes, de bourreaux par exemple, les traces de ces canons
sont visibles. Rien chez lui n’est imprévu, ni abandonné à l’inspiration du moment:
il travaille de science et non d’impression. C’est déjà, dans son genre, un classique
bien français.
Son influence se découvre dans un grand nombre de manuscrits contem-
porains. On peut affirmer qu’il a été une personnalité dominante dans le monde
artistique français pendant le troisième tiers du xive siècle.
Nous connaissons, d’ailleurs, une œuvre fort célèbre qui est indubitablement
de la même main. Je veux parler du fameux Parement de Narbonne. Celui-ci
contient précisément une série de scènes de la Passion, notamment le « Baiser
de Judas », la « Flagellation », le « Portement de Croix », le « Crucifiement ». —•
L’analogie de la composition entre le « Baiser de Judas » et la « Flagellation »
du Parement de Narbonne et les mêmes sujets, dans le fragment de Rothschild,
est frappante.
Mais des analogies de composition ne sont jamais probantes quant à
l’identité d’auteur ; elles prouvent seulement une continuité de tradition ou
d’imitation. Ce qui emporte la conviction, c’est l’identité absolue dans la com-
préhension des formes, et dans la manière de les rendre par le dessin ; même
vision, et mêmes habitudes manuelles.
Comparez, par exemple, la tête du Christ, les proportions du corps, les
mains, les têtes de la Madone, de la Madeleine et d’autres femmes et des
jeunes hommes imberbes, dans le « Parement de Narbonne » et dans les différentes
pages des « Très Belles Heures ».