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Le Journal d'Abou Naddara = Abū Naẓẓāra = The Man with the Glasses = garīdat abī naẓẓāra = The Journal of the Man with the Glasses = Journal Oriental Illustré — Paris, 1905

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Issue 11/12 (12.1905)
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https://doi.org/10.11588/diglit.56681#0039
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LETTRE D’EGYPTE
Le Caire, 27 Octobre 1907.
Vénérable Cheikh,
J’accepte avec une joie patriotique de devenir votre correspondant
ici et ne vous demande en récompense que la faveur de me recommander
à un grand journal quotidien de Paris pour être son correspondant
égyptien.
La situation de la Vallée du Nil n’est pas si brillante qu’on la croit
en Europe Nous allons avoir bientôt la guerre, et la preuve est que
S. E. sir Wingate Pacha, gouverneur général du Soudan, est ar<ivé au
Caire avant l’expiration de son congé. Son arrivée imprévue a suscité
beaucoup de craintes dans les spères politiques bien renseignées.
S’agit-il de rétablir le budget du Soudan, ou bien d’une expédi’ion sur
Darfour? C’est plutôt de l’expédition qu’il s’agit. En effet. Wingate
Pacha a mis tout en œuvre à Londres pour convaincre le War-Ofïice
de placer sous son commandement direct l'armée d'occupation anglaise
du Soudan qui est ordinairement sous celui du commandant de l’armée
d’occupation du Caire. En outre, le gouvernement soudanais ne fait que
demander des crédits aux finances égyptiennes pour ouvrir des routes
praticables pour Darfour; en apparance pour faciliter les relations
commerciales, mais, en réalité, pour préparer les voies de l’expédition
projetée par Sir Wingate Pacha, Ali ben Dinan, sultan de Darfour,
égyptien de naissance, homme politique et militaire, connaissant à fond
les agissement des Anglais, se prépare à la lutte. Malgré la petite étendue
de ses états, il possède des braves et valeureux soldats capables de
tenir tête à Sir Wingate et ses troupes, car ils sont armés de fusils
modernes, ainsi que le gouvernement soudanais l’a constaté dans leurs
dernières razias.
Le Darfour, pays montagneux, défendu par cinquante mille guerriers
donnera du fil à tordre aux Anglais qui en convoitent la possession.
1b S. N... .au.

LITTÉRATURE MUSULMANE
Poésie Persane
Hommage à S. E. Momtazos Saltané,
Ministre de Perse à Paris.
Nous avons lu avec un vif intérêt le livre de M. J. Darmesteter,
d’heureuse mémoire sur Les origines de la poésie persane, publié par
l'éditeur bien connu Ernest Leroux, 28, rue Bonaparte, Paris. Nous
recommandons à nos lecteurs l’acquisition de ce volume, dont nous
extrayons ces quelques morceaux qui démontrent la sublimité de la
poésie du pays des Schahs :
I
Avec les cils de tes yeux tu m’as volé mon cœur : tu me vo’es avec
tes cils et tu prétends me condamner avec tes lèvres. Faudra-t-il que je
te paye l’amende pour m’avoir volé mon cœur ? Avez-vous vu jamais
pareille merveille : un voleur qu’on indemnise ! Abou Salik.
II
Laisse couler ton sang sur la terre, cela vaut mieux que de laisser
s’écouler ton honneur. Crois-moi. mieux vaut encore s’agenouiller
devant les idoles que s’agenouiller devant l’homme. Abou Salik.
III
Une seule fois dans l’année vient le grand jour de fête ; ton regard est
pour moi une fête éternelle.
Une seule fois dans l’année vient la rose ; ton visage est pour moi
une rose éternelle.
Une seule fois dans le jardin je cueille la violette en bouquet ; tes
tresses parfumées sont un éternel bouquet de violettes.
Une seule fois éclot le narcisse dans les champs ; le narcisse de tes
yeux éclot toute l’année.
Le narcisse endormi ne revient pas ; ton narcisse noir endormi revient
et se réveille.
Il y a bien le cyprès qui dans le jardin verdoie toute l’année ; mais
près de ta taille il est courbé et penché. Roudagui.
IV
Je ne me noircis pas les cheveux pour redevenir jeune et pécher à
nouveau. On met des vêtements noirs au jour de malheur ; ie noircis
mes cheveux pour pleurer ce malheur, ma vieillesse. Roudagui.
V
La rose est un trésor descendu du ciel; l’homme au milieux des roses
en devient plus noble.
Marchand de roses, pourquoi vends-tu des roses pour de l'argent ?
Que pourrais tu bien acheter avec l’argent de t- s roses qui soit plus
précieux que tes roses ? Kisal.
VI
Cela te fait de la peine que je me farde et me teigne les cheveux. Je
ne cherche pas à me rajeunir : seulement j’ai peur qu’on ne cherche en
moi la sagesse du vieillard et qu’on ne la trouve point. Kisai.
VII
J’entrai dans ce monde pour voir ce que je pourrais bien y dire et y
taire :
— Y dire des vers, y faire la vie.
Or, J’ai passé toute "ma vie dans ce bas monde sous le faix comme un

chameau, esclave de mes enfants, enchaîné dans les liens de la famille.
Tout compte fait, que me laissent dans la main mes cinquante ans ?
Un livre de compte avec cent mille fautes
Comment à la fin solderai-je ce compte qui s’ouvre avec le mensono-e
et se ferme avec le néant ?
Hélas ! où est la gloire de ma jeunesse ? où est le charme de la vie ?
Hélas ! où est la beauté? où est la grâce ?
Ma tête est blanche comme le lait, mon "«’ur est noir comme la poix.
Mes joues sont comme le nénuphar, mon corps comme le maigre
rameau.
Jour et nuit, la crainte de la mort me fait trembler, comme un enfant
indocile qui tremble devant le fou t.
Tout est passé, et je suis passé. Ce qui devait être a été. J’ai été, et
mon chant n’est plus qu'un conte d’enfant.
O Kisâi. la cinquantaine a étendu sur toi ses cinq doigts; elle abat
tes ailes à coups de poing et de griffe ! ' Kisai.
VIII
On me dit : « Pourquoi ne fais-tu pas bonne chère ? Pourquoi
n’ornes-tu pas ta demeure de tapis bizarrés ? »
Que ferais-je du chant des musiciens dans la clameur des guerriers?
Que ferais-je des séances au bosquet de roses, sous le piétinement
des chevaux ?
A quoi bon à présent le bouillonnement du vin et l’ambroisie bue aux
lèvres de l’échanson ?
C’est le sang qui doit bouillonner sur les anneaux de la cuirasse.
Mon cheval et mon armure, voilà ma table de banquet et mon
jardin. Ma flèche et mon arc, voilà ma tulipe et mon lis.
Le roi Ibrahim MuNtasir.
IX
Le vin est l’ennemi de l’ivrogne et l’ami de l’homme sobre.
A petite dose, c’est de l’antidote; à forte dose, c’est du poison.
Un vin généreux nourrit l’esprit ; la chose est sûre.- car en vérité sa
couleur éclipse la couleur de la rose.
Dégoût amer, comme le conseil d’un père, mais aussi utile : permis
aux gens d’esprit, interdit aux sots.
Est-ce la faute du vin, si c’est un sot qui le boit et s’il s’en va à
l’aveugle dans la nuit ? Nous, c'est vers Dieu qu’il nous guide.
Le décret de la religion le permet au sage, si celui de la raison le
défend aux âmes.
Bois sagement d’un vin pur, comme Bon Ali ; aussi vrai que Dieu
existe, ton être en deviendra Dieu même. Avicenne.

DERNIER ÉCHO
du Banquet en l'honneur des Noces d’Or littéraires du Cheikh Abou Naddara
Après avoir cité les sympathiques comptes rendus de ce banquet
nous pensions que la liste des journaux qui les avaient accueillis était
close La vie parisienne est tellement hâtive que lé souvenir d’un
événement même important, est vite effacé. Cependant, celui de ce
banquet semble vivre encore dans l’esprit des convives Témoin l’article
ci-après que nous choisissons, parmi tant d’autres, pour son alerte
désinvolture. Il est extrait de la Roulotte Belge, de Bruxelles (directeurs :
Georges Lecomte et Louis Moreau).
La Rédaction.
UN AMI DE LA FRANCE
Le Cheikh égyptien Abou Naddara, involontairement notre hôte, le
demeure volontiers. Nous le choyons tant ! Et il mérite tant d’être
choyé ! Poète comme tous les orientaux, sans doute, mais poète en six
langues, il est aussi grand orateur devant Allah. 11 compte ses discouis.
A cent, il a dû faire, non une croix, mais un croissant. A mille, il avait
soif : nous lui avons offert un banquet pour célébrer en même temps
scs Noces d’Or littéraires. Y assistaient les amis parisiens que lui ont
acquis son humeur méridionale, sa verve montmartroise et sa galanterie
française, et ses frères d’Orient empressés à fêter celui qui sait si bien
exprimer leurs espérances. En attendant leur réalisation, la cordialité
de notre accueil adoucit l’amertume du Cheikh exilé. Les Français
n’ont-ils pas quelques raisons pour vibrer à l’unisson de son cœur de
patriote? — Mais à demain les pensées graves ! Ce soir, c’est le poète
et l’homme d’esprit qu’on célèbre en vers et en discours de toutes
langues. On verse, à ceux qui ne disent rien, un peu plus de cham-
pagne : et nous nous croyons tous aussi spirituels et savants qu’Abou
Naddara. Et les parisiens ont le don des langues! Applaudissements
au lyrisme arabe; périodes éloquentes et d’une sonorité inconnue
entendues d’un air entendu. C’est que tous les pays méditerranéens,
et la Perse, et les Indes, et 1 Océanie même avaient leurs représentants
dans cette fête et montraient ainsi au vénérable Cheikh jusqu’où va sa
parole et s’étend son influence. — Au départ : « Es-salam aleik,
Cheik! — Aleikoum es-salam, Siàdi ! » (1). Du Restaurant Central,
rue Montmartre, où je venais de vivre quelques heures comme aux
pays du Soleil levant, je suis revenu à Paris. Et la nuit fraîche, sur le
boulevard illuminé, m’a paru noire et glacée.
Pierre Halary.
Nous remercions notre jeune confrère et ami Pierre Halary de son
charmant article. Nous n’avions pas attendu qu’ils nous exprimât
spontanément sa sympathie pour le Cheikh pour connaître la valeur de
sa signature. Aujourd’hui, nous nous bornerons à rappeler à nos
lecteurs que M. Pierre Halary est l’auteur de ï' Avènement à l’Empire,
poème qui a eu un grand retentissement et dont nous nous promettons
de parler dans notre prochain numéro.
La Rédaction. '
(1) C’est-à-dire : « Que la paix soit avec toi Cheikh ! »
« Que la paix soit avec vous Messieurs ! »
 
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