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nos gens. De là leur inquiétude, de là leur joie en venant au-devant de nous. Comme ils sont établis
dans le khan de la ville, ils y prennent avec eux nos pauvres chevaux tant éprouvés, et dont l'un
meurt de fatigue la nuit même. Une jolie maison très-propre et bien meublée nous est réservée. Nous
ne pouvons croire que c'est là notre demeure, tant le bien-être y respire; charmant contraste avec la
misère du désert. Notre hôte est un Turc nommé Hadgi-Hassan, pour lequel M, de Picciotto, consul
d'Autriche à Halep, nous avait donné une lettre de recommandation qui lui a été remise par nos
gens. C'est certainement le musulman le plus respectable, le plus exempt de préjugés qui existe dans
l'empire ottoman. Nous restons deux jours chez lui, deux jours de délicieux repos après de si cruelles
fatigues, et, pendant ce temps, d ne cesse d'avoir pour nous les plus délicates attentions. 11 serait
difficile de trouver, en Europe même, une maison où l'on fût reçu avec autant de prévenances et de
cordialité. Notre hôte veut que, pendant notre séjour dans sa demeure, nous ne soyons traités que par
lui ; et, jusqu'à nos domestiques, toute notre caravane est nourrie chez lui. Le soir, après le diner, il égayé
notre cercle en nous raconlant quelques souvenirs de sa vie, qui semble aussi étrange que sa manière
d'accueillir les étrangers est rare. Mijitaire dans sa jeunesse, il servit sous plusieurs pachas de Syrie; mais
il renonça à celte carrière, entreprit le commerce, et il y réussit, avec tant de bonheur, avec tant d'hon-
neur aussi, que sa fortune est égale à l'estime dont il jouit. Nous ne savons pas, dit-il en terminant son
récit avec le sourire sur les lèvres, ce que la destinée ordonne de nous. J'ai bien couru le inonde, et
peut-être un jour irai-je en Europe, peut-être aurai-je besoin de vous. 11 faut se faire des amis partout.
Dans nos contrées, où l'on voit des fortunes si rapides, si inattendues, un service accordé à un
misérable de la plus basse classe vous est quelquefois rendu au centuple, peu de temps après, par ce
même homme arrivé au faite des honneurs. Ecoutez cette histoire, que je garde dans ma mémoire
comme un précepte et un guide de conduite. Un homme laissait en mourant à un (ils unique une
fortune considérable. Il lui recommanda de voyager pour s'instruire, et de se faire une maison dans
toutes les villes où il passerait. Le père meurt; le jeune homme, pour obéir à ses ordres, part, et partout
il se fait bâtir des maisons magnifiques. Un ancien ami de sa famille lui demandant la raison de ses
ridicules prodigalités, le jeune homme allègue les derniers ordres de son père. Vous ne les avez pas
compris, lui répliqua le sage vieillard; votre père n'a pu vous conseiller de dépenser follement la
fortune qu'il vous a laissée: il vous a dit de vous faire des amis partout où vous irez, de manière à
pouvoir retourner chez eux comme dans votre propre maison.
HOMS (Planche V, .y
Vue de la ville prise des ruines d'un tombeau antique.
Homs est une petite ville de douze à quinze mille habitants. On y compte mille maisons grecques.
Elle est bâtie en belles pierres, bien pavée et assez propre. C'est comme une sœur d'Halep, une sœur
cadette moins développée. C'est aussi une des villes les plus industrieuses de la Syrie. On y fabrique
des étoffes de soie, des manteaux et autres pièces d'habillement. Partout on ne voit que métiers, que
gens occupés à tisser, à préparer les laines, etc. Le vieux château est construit en talus comme celui
de Harim-Kalessi, mais il tombe en ruines; la ville était défendue autrefois par une enceinte de murs qui
se lézardent et croulent de toutes parts. A deux cents pas de la porte de Tripoli on me montre et je
dessine un tombeau antique construit en briques, et revêtu d'un petit appareil de pierres disposées en
guise d'ornement. 11 se détruit jour par jour, pierre par pierre, et son inscription grecque est devenue
presque illisible. Entre la porte de Tripoli et celle d'Halep, eu dehors des murs, on nous conduit
pour voir quelques restes d'une mosaïque* qui ornait sans doute autrefois une salle de bain.
Le dernier jour de notre douce halte dans cette ville, nous voyons arriver un petit homme bossu,
sourd et mal lagoté. C'était Marhanna lui-même, le grand conducteur des voyageurs à Palmyre. On
peut se figurer avec quel empressement nous admettons celui dont le nom seul nous avait fait
trembler dans le désert. A peine s'était-il installé sur le divan qu'il nous dit : J'arrive de Hamah, où
j'ai appris l'arrangement que vous avez fait pour aller à Palmyre. Je ne viens pas vous demander les
5oo piastres stipulées pour moi, elles ne peuvent me suffire. La règle établie est de 1,000 piastres
par personne. Vous étiez deux (il entendait mon père et moi), il faut donc me compter i,5oo piastres.
Nous nous mimes à rire à ce discours, fort éloquent sans doute sous sa tente au désert, mais très-
impertinent dans les murs d'Homs. Ici, que nous importent les prétentions de tous les Bédouins?
nos gens. De là leur inquiétude, de là leur joie en venant au-devant de nous. Comme ils sont établis
dans le khan de la ville, ils y prennent avec eux nos pauvres chevaux tant éprouvés, et dont l'un
meurt de fatigue la nuit même. Une jolie maison très-propre et bien meublée nous est réservée. Nous
ne pouvons croire que c'est là notre demeure, tant le bien-être y respire; charmant contraste avec la
misère du désert. Notre hôte est un Turc nommé Hadgi-Hassan, pour lequel M, de Picciotto, consul
d'Autriche à Halep, nous avait donné une lettre de recommandation qui lui a été remise par nos
gens. C'est certainement le musulman le plus respectable, le plus exempt de préjugés qui existe dans
l'empire ottoman. Nous restons deux jours chez lui, deux jours de délicieux repos après de si cruelles
fatigues, et, pendant ce temps, d ne cesse d'avoir pour nous les plus délicates attentions. 11 serait
difficile de trouver, en Europe même, une maison où l'on fût reçu avec autant de prévenances et de
cordialité. Notre hôte veut que, pendant notre séjour dans sa demeure, nous ne soyons traités que par
lui ; et, jusqu'à nos domestiques, toute notre caravane est nourrie chez lui. Le soir, après le diner, il égayé
notre cercle en nous raconlant quelques souvenirs de sa vie, qui semble aussi étrange que sa manière
d'accueillir les étrangers est rare. Mijitaire dans sa jeunesse, il servit sous plusieurs pachas de Syrie; mais
il renonça à celte carrière, entreprit le commerce, et il y réussit, avec tant de bonheur, avec tant d'hon-
neur aussi, que sa fortune est égale à l'estime dont il jouit. Nous ne savons pas, dit-il en terminant son
récit avec le sourire sur les lèvres, ce que la destinée ordonne de nous. J'ai bien couru le inonde, et
peut-être un jour irai-je en Europe, peut-être aurai-je besoin de vous. 11 faut se faire des amis partout.
Dans nos contrées, où l'on voit des fortunes si rapides, si inattendues, un service accordé à un
misérable de la plus basse classe vous est quelquefois rendu au centuple, peu de temps après, par ce
même homme arrivé au faite des honneurs. Ecoutez cette histoire, que je garde dans ma mémoire
comme un précepte et un guide de conduite. Un homme laissait en mourant à un (ils unique une
fortune considérable. Il lui recommanda de voyager pour s'instruire, et de se faire une maison dans
toutes les villes où il passerait. Le père meurt; le jeune homme, pour obéir à ses ordres, part, et partout
il se fait bâtir des maisons magnifiques. Un ancien ami de sa famille lui demandant la raison de ses
ridicules prodigalités, le jeune homme allègue les derniers ordres de son père. Vous ne les avez pas
compris, lui répliqua le sage vieillard; votre père n'a pu vous conseiller de dépenser follement la
fortune qu'il vous a laissée: il vous a dit de vous faire des amis partout où vous irez, de manière à
pouvoir retourner chez eux comme dans votre propre maison.
HOMS (Planche V, .y
Vue de la ville prise des ruines d'un tombeau antique.
Homs est une petite ville de douze à quinze mille habitants. On y compte mille maisons grecques.
Elle est bâtie en belles pierres, bien pavée et assez propre. C'est comme une sœur d'Halep, une sœur
cadette moins développée. C'est aussi une des villes les plus industrieuses de la Syrie. On y fabrique
des étoffes de soie, des manteaux et autres pièces d'habillement. Partout on ne voit que métiers, que
gens occupés à tisser, à préparer les laines, etc. Le vieux château est construit en talus comme celui
de Harim-Kalessi, mais il tombe en ruines; la ville était défendue autrefois par une enceinte de murs qui
se lézardent et croulent de toutes parts. A deux cents pas de la porte de Tripoli on me montre et je
dessine un tombeau antique construit en briques, et revêtu d'un petit appareil de pierres disposées en
guise d'ornement. 11 se détruit jour par jour, pierre par pierre, et son inscription grecque est devenue
presque illisible. Entre la porte de Tripoli et celle d'Halep, eu dehors des murs, on nous conduit
pour voir quelques restes d'une mosaïque* qui ornait sans doute autrefois une salle de bain.
Le dernier jour de notre douce halte dans cette ville, nous voyons arriver un petit homme bossu,
sourd et mal lagoté. C'était Marhanna lui-même, le grand conducteur des voyageurs à Palmyre. On
peut se figurer avec quel empressement nous admettons celui dont le nom seul nous avait fait
trembler dans le désert. A peine s'était-il installé sur le divan qu'il nous dit : J'arrive de Hamah, où
j'ai appris l'arrangement que vous avez fait pour aller à Palmyre. Je ne viens pas vous demander les
5oo piastres stipulées pour moi, elles ne peuvent me suffire. La règle établie est de 1,000 piastres
par personne. Vous étiez deux (il entendait mon père et moi), il faut donc me compter i,5oo piastres.
Nous nous mimes à rire à ce discours, fort éloquent sans doute sous sa tente au désert, mais très-
impertinent dans les murs d'Homs. Ici, que nous importent les prétentions de tous les Bédouins?