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Laborde, Alexandre Louis Joseph de; Laborde, Léon Emmanuel Simon Joseph de [Editor]
Voyage de l'Asie mineure — Paris, 1838

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https://doi.org/10.11588/diglit.4046#0018
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s'étalent de riches marchandises dans de petites boutiques en bois, qui n'ont pour elles ni le style
oriental ni les couleurs variées, et qui sont tout bonnement misérables. Chaque métier, chaque nature
de marchandises est réunie et comme parquée dans une allée particulière, pour la plus grande commo-
dité des consommateurs, de la police, et même des négociants qui, placés dans les mêmes conditions in-
dustrielles que nos marchands au moyen âge, devaient se constituer de la même manière. Toute la
journée, ces bazars sont pleins de monde. Les caractères particuliers à chaque nation Forment un con-
traste piquant. Ici, c'est un Turc accroupi devant sa boutique et fumant silencieusement son narguilet;
ce menuisier, ce serrurier, qui, assis, travaillent des pieds et des mains, ce sont encore des Turcs. Vous
reconnaissez les Arméniens à leur bonnet noir surmonté de quatre pointes rouges; ils vendent les soieries
et les tapis. Les Juifs sont les courtiers du commerce; la petite mèche de cheveux qui sort de dessous
leur petit turban les fait aisément reconnaître. Ils sont d'habitude les interprètes de tous les étrangers qui
viennent faire des empiètes, s'aidant, pour remplir cet office, d'un italien mêlé d'hébreu et d'espagnol.
Guidés par l'un d'eux, nous passons la journée entière à parcourir les bazars, à étudier les mœurs, à nous
l'endre compte des coutumes. Au milieu de cette foule constamment en mouvement, et dansées petites
rues étroites, resserrées par deux trottoirs entre lesquels coule un sale ruisseau, nous voyons passer pour la
première fois la charrette de l'Orient, la monture du désert, le chameau; spectacle étrange et d'un carac-
tère imposant, quand ces caravanes interminables vont, d'un pas lent et grave, déposer dans les caravan-
sérails les énormes fardeaux qu'elles apportent de l'intérieur de l'Anatolie, de la Syrie ou delà Perse.
Etes-vous heurté par un portefaix, vous vous étonnez moins du poids énorme qu'il transporte que de
la manière singulière dont il le charge. Il a sur le dos une espèce de bât, très-épais à la partie inférieure,
et retenu sur les épaules par deux avances crochues qui reviennent sur la poitrine. C'est là-dessus qu'il
met sa charge, et il la tient presque horizontalement, en marchant toujours courbé.

Au mouvement des passants, à l'encombrement des marchandises, à l'empiétement des boutiques
sur la voie publique, vient se joindre l'embarras, souvent le dégoût, quelquefois le danger d'une
ménagerie complète mise en liberté. Ici, des chiens à demi sauvages, qui n'ont pas de maîtres, mais que
le Turc respecte, qu'il nourrit et abreuve par déférence pour le Coran, protecteur de toutes les créatures
de Dieu; les chassant toutefois de sa maison, les éloignant de sa personne, de peur des souillures. On ne
peut faire un pas sans marcher sur ces animaux, aussi repoussants que leur race est vile. Dans les maisons
ruinées, qui alternent avec les maisons neuves, sont les nids de toutes les chiennes; elles déposeut là leur
portée, et peu de temps après sortent de ces repaires, suivies d'une foule de petits, qu'elles forment et
exercent à cette existence vagabonde. On trouve aussi, au milieu de ces rues, de petites vaches errant
en liberté, des moutons d'une vilaine laine, et qui ont une queue large comme deux mains, du milieu
de laquelle sort une autre petite queue de quelques pouces de long. La saleté générale est entretenue
par ces animaux qui heurtent le passant, ou par ces chiens qui le mordent, mais sans lui inspirer la
crainte d'un plus grand malheur, la rage étant inconnue dans tout l'Orient.

Après avoir fait quelques empiètes, nous voulûmes, tout frais débarqués de l'Europe, faire l'épreuve
des restaurants de l'Asie. On nous mena chez un rôtisseur turc, manger le ragoût le plus recherché.
H se compose de viande de mouton hachée, mise autour d'une brochette, et rôtie sur le gril entre
deux croûtes de pain. Comme il n'y a dans ce pays ni tables ni chaises, on s'assoit par terre autour
d'un tabouret qui supporte un large plateau, sur lequel on sert le repas. On mange avec ses doigts, et
dans la boutique se trouve une fontaine avec du savon pour se laver les mains. Une salade à l'ail com-
pléta ce régal, qui, servi abondamment pour trois personnes, nous coûta deux piastres turques, plus un liard
pour un grand verre de sorbet fait avec des raisins de Corinthe, le coco de l'Orient; plus, enfin, un
liard et demi pour une tasse de café dont on ne retire pas le marc, et dans lequel on ne met pas de sucre.

En retournant à bord, nous passons devant une mosquée : on nous permet d'y entrer; on n'exige
même pas qu'à l'exemple des Turcs, nous otions nos souliers, et nous profanons ainsi à la fois et le lieu
et sa propreté; mais la population du littoral a perdu son fanatisme, comme ailleurs son caractère.
Celle de Smyrne pousse la tolérance jusqu'à l'indifférence.

Comme l'amiral Neale doit stationner quelques jours à Smyrne, il nous engage à restera son bord, et
l'offre est faite de telle sorte, qu'elle rend impossible un refus. Cet arrangement cependant se concilie
mal avec l'obligation d'aller continuellement en ville, d'autant plus qu'il s'élève depuis midi jusqu'à six
heures du soir un vent du nord violent qui agile la mer et rend la traversée difficile. Ne calomnions pas
cette brise salutaire, bien connue des habitants sous le nom d'imbat : sans elle, Smyrne serait inhabitable
en été; car c'est elle qui chasse les miasmes el rafraîchit l'air embrasé par un soleil ardent.
 
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