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Laborde, Alexandre Louis Joseph de; Laborde, Léon Emmanuel Simon Joseph de [Hrsg.]
Voyage de l'Asie mineure — Paris, 1838

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https://doi.org/10.11588/diglit.4046#0019
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— 5 —

Ces traversées continuelles nous fournissent d'ailleurs un spectacle inattendu. Quand vient la nuit,
quand elle est le plus sombre, au moment d'un orage, la rame, en agitant la surface liquide, l'enflamme;
l'eau de la mer devient argentée, et, dans sa phosphorescence animée, elle semble habitée par une
population de vers luisants. Tous les ports de l'Orient présentent, dit-on, ce spectacle ; aucun ne l'offre,
dans certaines circonstances favorables, d'une manière plus frappante. La chaloupe alors vogue sur une
merde feu, dont les étincelles ruissellent sur les rames, jaillissent au loin, et s'attachent à tout.

VUE DE POTAMOS (PI. III, 8).

(Dessinée par Léon de Laborde.)

Plusieurs jours se sont passés en visites de politesse; quelques heures, et ce ne sont pas les moins
douces, ont été données à la correspondance. Aujourd'hui il est décidé que toute la société du bord
ira visiter une maison de campagne turque appartenant à Soliman Aga, le grand douanier de Smyrne.
C'est le consul d'Angleterre, M. Werry, un original que les Turcs appellent le consul fou, qui a arrangé
cette partie de plaisir. Nous allons donc débarquer à son échelle. Mais la mer est agitée par l'Imbat,
il est difficile de mettre pied à terre; un jeune officier anglais veut sauter sur le quai, il a mal me-
suré la distance, il perd l'équilibre sur le bord qui est élevé de deux ou trois pieds; un drogman du
consulat veut le retenir, il est entraîné, et tous deux culbutent dans la mer; un petit Turc, plein de
dévouement, se précipite pour les sauver; malheureusement, son ardeur ne lui permettant pas de cal-
culer ses mouvements, il tombe dans l'eau précisément au moment où les naufragés remontaient à la
surface; il les submerge de nouveau tous les deux, et tous les trois alors luttent entre eux, se débattent,
se heurtent, s'enfoncent, se relèvent. L'énorme turban de drap blanc du drogman abandonne sa tête
rasée et flotte au milieu des combattants, sa grande robe le soutient sur l'eau; enfin on le retire, mais
l'officier anglais se débat encore; des spectateurs officieux l'ont saisi par une jambe, et, malgré ses
cris, s'efforcent de le retirer ainsi hors de l'eau, transformant en position ridicule une situation d'ail-
leurs intéressante. Cette petite catastrophe, qui n'a rien eu d'alarmant, nous a mis en gaieté. Elle a
rompu l'embarras de tous les débuts; il ne fallait rien de moins qu'un naufrage pour introduire quelque
familiarité entre Anglais et Français. Nous voilà donc en route sur le chemin de Bournaba, passant
auprès du pont des Caravanes, le pont classique, le début obligé de tout artiste en Orient. Je l'ai des-
siné comme on le dessinera encore, mais j'ai pensé qu'il était trop connu pour prendre place dans mon
ouvrage. C'est une misérable construction, redevable de tout son charme et de sa célébrité au paysage qui
l'encadre, aux costumes variés, aux cavaliers pittoresques et aux longues caravanes de chameaux qui
viennent incessamment l'animer. Après avoir traversé les cimetières, nous nous trouvons au but de notre
promenade. L'intendant de Soliman nous reçut à la porte de l'habitation, et nous conduisit dans une jolie
maison distribuée comme l'étaient celles des Romains. Elle entoure une cour carrée, au milieu de laquelle
est un bassin plein d'eau. Des deux côtés s'ouvrent des salles bien aérées, garnies tout autour de larges
divans. C'est là que sont reçus les étrangers, que l'on prend le café, que l'on fume. Pendant que nous
parcourons les jardins, dont la riche végétation et les kiosques élégants excitent notre admiration, les
dames visitent le harem. Elles reviennent bientôt, et leur rapport, attendu avec la plus vive curiosité,
calme beaucoup les regrets que nous avait inspirés notre exclusion. Nos jolies Anglaises étaient évidem-
ment sous le coup d'un mécompte; leur imagination s'était élancée au delà du réel, et le harem ne leur
avait offert qu'un point de comparaison à l'avantage du mariage. Attristées de ce résultat, elles s'en
vengeaient par l'amertume de leurs critiques. Douze femmes assez laides, disaient-elles, ornent ce lieu
de délices; une seule, jeune et jolie, est destinée au sérail d'Ibrahim-Pacha; mais toutes semblent acca-
blées sous le joug de l'ennui ou de la contrainte. En somme, une prison dorée. Notre visite aux écuries eut
plus de succès. Si les femmes sont esclaves, ces beaux animaux vivent en liberté; au moins les freins
qui les retiennent par les pieds laissent-ils aux attitudes du corps, comme au mouvement de la tête et
du col toute aisance; ce n'est qu'en hiver, pendant deux ou trois mois, qu'on les enferme; le reste de
l'année ils frappent le gazon de leurs pieds impatients, et l'air de leurs hennissements joyeux.

SMYRNE.
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