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Laborde, Alexandre Louis Joseph de; Laborde, Léon Emmanuel Simon Joseph de [Editor]
Voyage de l'Asie mineure — Paris, 1838

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https://doi.org/10.11588/diglit.4046#0230
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— 138 —

le moulin tournera, et le pont donnera passage aux voyageurs, s'il prend fantaisie au Cydnus de changer
encore une fois son cours. Après deux heures de marche, nous passons près du tombeau moderne de
Kelaga, un des derebeys qui ont donné le plus d'embarras aux Turcs; mais un monument aussi médiocre
n'est pas fait pour détourner l'attention du spectacle ravissant offert par la nature. Du milieu d'une
plaine, où la fertilité prête son concours à une végétation des tropiques, l'œil se promène sur les grandes
terrasses du Taurus, qui s'élèvent les unes au-dessus des autres, en variant de ton et de dessin, jus-
qu'aux neiges éternelles qui couronnent le sommet. Une température tiède encore au 26 décembre
dispose à une douce admiration, et fait comprendre comment cette contrée est devenue un moment l'hé-
ritière de la civilisation, en fixant, en enchaînant près d'elle les arbitres de la destinée du monde, empe-
reurs, rois ou simples héros.

Deux coupures dans la montagne marquent le passage des rivières de Tarse et d'Axlana, une troisième
indique les fameuses Pilae Siliciœ. On nous montre aussi un vieux château ruiné qui s'appelle Ilchmé; on
croit dans le pays qu'il renferme des trésors; les habiles prétendent avoir vu par des fissures de l'or ré-
pandu par terre et en grande quantité. Une source minérale chargée de soufre bouillonne et coule à
côté: si elle est salutaire, c'est là l'or répandu par terre; car la sauté est le véritable trésor de la vie.
Quoique réunissant vingt-cinq mille âmes seulement, Adana est une grande ville. Ses maisons, es-
pacées au milieu des jardins, couvrent une surface immense, et de loin elle pourrait être comparée
aux plus grandes cités de l'Orient. 11 est vrai qu'à mesure qu'on pénètre dans la ville, ses maisons
basses et misérables, ses rues boueuses et l'absence de grands édifices donnent une opinion moins
favorable de son importance; mais richesse et boue font une de ces oppositions assez communes en
Orient, et celle-ci convient à un chef-lieu de pachalick de premier ordre. Je dessinai plusieurs vues
du pont sans fin de celte ville, de sa grande mosquée d'une riche architecture, de son château et de
ces mille aspects pittoresques que forment les masures de TOrient, au milieu de sa chaude verdure et
colorées par son soleil ardent. Mais j'ai dû omettre des sites plus importants, des monuments remar-
quables, et j'ai laissé aussi ces vues dans mes portefeuilles, je ne dirai pas sans regret, mais avec l'es-
pérance de les publier un jour.

Nous trouvons à Adana quelque chose de plus rare en Orient qu'une ruine, nous trouvons un
homme. Noury-Pacha, chargé du gouvernement de cette contrée après avoir rempli des missions
importantes, dont une à Paris, nous reçut avec les manières d'un grand seigneur et la familiarité d'un
Français. Il s'exprimait sur la politique européenne avec une sûreté de jugement inconnue certes à
Adana et fort rare à Londres, à Vienne ou à Paris, et, quand il nous demandait des nouvelles du prince
de Tallevraud, du général Sébastiani et de plusieurs autres personnages qu'il avait connus en France, il
nous transportait, sans s'en douter, au milieu même des salons dont il s'informait. Tel maître, tel valet,
dit le proverbe : le kiaiabey, ou secrétaire général du pacha, sans avoir les formes distinguées de son
chef, partageait les mêmes goûts; il nous montra une collection de camées et de médailles recueillis
dans ce pays, et qui n'était, selon lui, qu'un appendice à son musée laissé à Constantinople. L'acces-
soire était de nature à donner une grande idée du principal.

La pluie nous retenait à Adana; nous allions chaque jour chez Je pacha nous entretenir avec ce Turc
civilisé de ce que nous désirions savoir, et c'est presque toujours ce qu'il sait très-bien. Un matin, il nous
lit assister sur son balcon, à côté de lui, à une sorte de prière publique ou de divan qui se tient chaque
jour dans sa grande cour. Tous les officiers de sa maison en grand costume, les Tartares avec leurs bon-
nets évasés, les dehlis avec leurs turbans en tromblons, les tchaouchs et cavas avec leurs turbans pit-
toresques, toute sa maison militaire enfin au grand complet forme cercle sous ses yeux, une musique
nombreuse, criarde, bruyante, joue des fanfares, et cinq tchaouchs placés au centre jettent en l'air leurs
bâtons avec l'adresse de nos tambours-majors, mais aussi avec la gravité musulmane. Quand les fanfares
ont cessé, quand on a prié pour la conservation du Sultan et du pacha, un homme, tête nue, veste à bas,
bras nus et manches retroussées jusqu'au coude, s'avance; c'est le bourreau: lui seul ose se présenter
dans ce négligé; il tire le sabre à moitié du fourreau, il sollicite un ordre. Le pacha n'a pas d'exécution à
commander, il se retire. Alors le bachtehaouch s'avance à son tour, et demande à haute voix, et par trois
fois, si quelqu'un a des plaintes à exprimer, un tort à faire redresser, une supplique à présenter. Sa-
lutaire mesure dans un pays où tout est arbitraire. Je dessinai cette scène du haut du balcon , assis à
côté du pacha lui-même, et plus d'un bon musulman eût volontiers confié au bourreau la punition de
cette irrévérence. Des circonstances défavorables nous empêchèrent de tirer parti de cette bienveillance
du pacha; nous avions l'intention de visiter toute la contrée qu'enferment dans leurs rives le Sarus et
 
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