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le Pyramus, et dont le centre comme intérêt et comme point de ravitaillement devait être Anazarba,
l'ancien Caesarea Anazarbus; mais la saison d'hiver d'un côté, et de l'autre la présence des Turcornans qui
descendent dans les plaines, et avec lesquels pour le moment Je pacha guerroyait, nous obligèrent à re-
noncer à une excursion que nous recommandons aux voyageurs à venir.
La saison des pluies s'ouvrait par un déluge. Pendant cinq jours nous avons attendu Pare-en-ciel ; ne D
le voyant pas venir, nous nous fions à un rayon de soleil pour nous lancer dans cette plaine qui, en
attendant qu'elle devienne lac, est devenue une mare de boue. En sortant d'Adana, on passe près de son
château; il domine la rivière, c'est en cette saison un véritable fleuve qui remplit majestueusement
ses neuf arches. Les habitants tirent parti de ce courant rapide pour faire moudre leur blé dans des
moulins flottants, pour élever l'eau au moyen de grandes noriah et la répandre dans leurs nombreux et
magnifiques jardins. Après avoir passé le pont, nous traversons d'immenses cimetières entretenus avec-
un soin filial prescrit par le Coran et scrupuleusement observé dans cette contrée. Puis on marche
dans la plaine, ou plutôt on patauge dans une boue sans fin et sans fond. Un moment la route s'élève
sur un monticule dont elle suit les crêtes; moment de répit; mais bientôt elle s'enfonce de nouveau
dans la plaine, et nous conduit à Messis à travers une pluie battante.
Messis est bâti sur l'emplacement de l'ancienne Mopsus, sur la rive droite du Pyramus, que les Turcs
appellent Tcheaulchaï, et dans cet endroit Missis Irmack. Un pont de neuf petites arches conduit, sur
la rive opposée, à un grand khan construit, à la bonne époque de l'architecture arabe: c'est là que les
caravanes hébergent; nous y envoyons nos gens et nos chevaux, nous descendons chez un Arménien.
Le village actuel est bientôt vu; il se compose d'un petit nombre de maisons et d'une mosquée dont
le minaret semble un clocher; elles occupent un monticule qui domine le pont. De l'ancienne ville
il reste les vestiges de son acropolis, au sud du Messis moderne, sur une grande élévation, et d'in-
nombrables débris employés dans les constructions modernes ou répandus sur le sol. Ce sont des
tronçons de colonnes de granit, des fragments d'architecture et des inscriptions dont le sens pourrait
être plus important. (Voir en appendice.)
En quittant Messis, nous traversons le Pyramus sur un pont moderne solidement construit, et à son
angle sud-ouest M. Hall copie une inscription grecque ancienne : rien de plus naturel, ce pont n'est
formé que de pierres arrachées aux monuments de l'antiquité. Tristes destinées des choses de ce monde!
les chefs-d'œuvre de l'art deviennent des carrières de pierres pour de nouvelles générations, comme
nos corps servent de fumier à la terre sur laquelle d'autres générations s'alimentent.
Des voyageurs turcs et arabes s'étaient joints à nous pour profiter en commun du respect inspiré par
le grand nombre; mais, effrayés par le mauvais temps, ils demandent à retarder le départ: nous tran-
chons la question en partant seuls et en déviant quelque peu de la route ordinaire de Kourtkoula, pour
éviter la peste qui sévissait dans ce village. Quant aux voleurs, nous en prenons peu de souci; la sévérité
du pacha est affichée sur cette route par des poteaux ou pals sanglants, retenant encore la victime que
les loups et les chacals dévorent la nuit par les extrémités, tandis qu'une blessure atroce ne fait qu'une
plaie de l'intérieur de leur corps. La route d'hiver suit les sommets aigus d'un rameau de montagnes qui
s'avance isolé au milieu de la plaine et rejoint un autre rameau qui vient d'Ayas et de la mer. A l'extré-
mité nord du rameau que nous traversons, on voit, sur un rocher isolé, une ancienne forteresse nommée
llan-Kalessi, le fort des Serpents. Nous nous arrêtons au village turcoman de Nadjarlikeuï. La récep-
tion, si cela s'appelle une réception, fut farouche et inquiétante; toute la population prenant notre ca-
ravane pour celle d'un fonctionnaire de la Porte, chargé d'exécuter en grand quelque petite avanie, se
leva en masse et nous accabla d'injures, prélude ordinaire de traitements plus mauvais. Nous dûmes à
notre attitude résolue et aux soins intelligents de notre interprète d'éviter une rupture de premier choc.
Ce moment passé, et quand il fut bien entendu que nous n'étions pas Turcs, nous ne fûmes nulle part
mieux traités que dans ce village, où les femmes et les jeunes filles, à visage découvert, vinrent à l'envi
nous servir. Cette dernière particularité est un trait de mœurs exceptionnel dans ce pays et particulier
à cette race.
Des marchands ambulants nous avertissent qu'une grande barque est entrée dans le port d'Ayas et
qu'elle va appareiller pour Alexandrette. La fatigue du voyage, augmentée par le désagrément de cette
pluie continue qui traverse les habits, transforme la selle en éponge et rend tout travail impossible,
nous décida à abréger notre route en nous embarquant à Ayas ; ce changement d'itinéraire nous per-
mettait en outre d'éviter Payas et une suite de villages envahis par la peste comme tous ceux que nous
avons habités depuis Pompéiopolis et Tarsous jusqu'ici.
7°
ADANAAMESSIS.
1" JANVIER 1827.
Ti heures.
DE MESSIS
A
NADJARLIKEUÏ,
2 JANVIER.
5 heures.
le Pyramus, et dont le centre comme intérêt et comme point de ravitaillement devait être Anazarba,
l'ancien Caesarea Anazarbus; mais la saison d'hiver d'un côté, et de l'autre la présence des Turcornans qui
descendent dans les plaines, et avec lesquels pour le moment Je pacha guerroyait, nous obligèrent à re-
noncer à une excursion que nous recommandons aux voyageurs à venir.
La saison des pluies s'ouvrait par un déluge. Pendant cinq jours nous avons attendu Pare-en-ciel ; ne D
le voyant pas venir, nous nous fions à un rayon de soleil pour nous lancer dans cette plaine qui, en
attendant qu'elle devienne lac, est devenue une mare de boue. En sortant d'Adana, on passe près de son
château; il domine la rivière, c'est en cette saison un véritable fleuve qui remplit majestueusement
ses neuf arches. Les habitants tirent parti de ce courant rapide pour faire moudre leur blé dans des
moulins flottants, pour élever l'eau au moyen de grandes noriah et la répandre dans leurs nombreux et
magnifiques jardins. Après avoir passé le pont, nous traversons d'immenses cimetières entretenus avec-
un soin filial prescrit par le Coran et scrupuleusement observé dans cette contrée. Puis on marche
dans la plaine, ou plutôt on patauge dans une boue sans fin et sans fond. Un moment la route s'élève
sur un monticule dont elle suit les crêtes; moment de répit; mais bientôt elle s'enfonce de nouveau
dans la plaine, et nous conduit à Messis à travers une pluie battante.
Messis est bâti sur l'emplacement de l'ancienne Mopsus, sur la rive droite du Pyramus, que les Turcs
appellent Tcheaulchaï, et dans cet endroit Missis Irmack. Un pont de neuf petites arches conduit, sur
la rive opposée, à un grand khan construit, à la bonne époque de l'architecture arabe: c'est là que les
caravanes hébergent; nous y envoyons nos gens et nos chevaux, nous descendons chez un Arménien.
Le village actuel est bientôt vu; il se compose d'un petit nombre de maisons et d'une mosquée dont
le minaret semble un clocher; elles occupent un monticule qui domine le pont. De l'ancienne ville
il reste les vestiges de son acropolis, au sud du Messis moderne, sur une grande élévation, et d'in-
nombrables débris employés dans les constructions modernes ou répandus sur le sol. Ce sont des
tronçons de colonnes de granit, des fragments d'architecture et des inscriptions dont le sens pourrait
être plus important. (Voir en appendice.)
En quittant Messis, nous traversons le Pyramus sur un pont moderne solidement construit, et à son
angle sud-ouest M. Hall copie une inscription grecque ancienne : rien de plus naturel, ce pont n'est
formé que de pierres arrachées aux monuments de l'antiquité. Tristes destinées des choses de ce monde!
les chefs-d'œuvre de l'art deviennent des carrières de pierres pour de nouvelles générations, comme
nos corps servent de fumier à la terre sur laquelle d'autres générations s'alimentent.
Des voyageurs turcs et arabes s'étaient joints à nous pour profiter en commun du respect inspiré par
le grand nombre; mais, effrayés par le mauvais temps, ils demandent à retarder le départ: nous tran-
chons la question en partant seuls et en déviant quelque peu de la route ordinaire de Kourtkoula, pour
éviter la peste qui sévissait dans ce village. Quant aux voleurs, nous en prenons peu de souci; la sévérité
du pacha est affichée sur cette route par des poteaux ou pals sanglants, retenant encore la victime que
les loups et les chacals dévorent la nuit par les extrémités, tandis qu'une blessure atroce ne fait qu'une
plaie de l'intérieur de leur corps. La route d'hiver suit les sommets aigus d'un rameau de montagnes qui
s'avance isolé au milieu de la plaine et rejoint un autre rameau qui vient d'Ayas et de la mer. A l'extré-
mité nord du rameau que nous traversons, on voit, sur un rocher isolé, une ancienne forteresse nommée
llan-Kalessi, le fort des Serpents. Nous nous arrêtons au village turcoman de Nadjarlikeuï. La récep-
tion, si cela s'appelle une réception, fut farouche et inquiétante; toute la population prenant notre ca-
ravane pour celle d'un fonctionnaire de la Porte, chargé d'exécuter en grand quelque petite avanie, se
leva en masse et nous accabla d'injures, prélude ordinaire de traitements plus mauvais. Nous dûmes à
notre attitude résolue et aux soins intelligents de notre interprète d'éviter une rupture de premier choc.
Ce moment passé, et quand il fut bien entendu que nous n'étions pas Turcs, nous ne fûmes nulle part
mieux traités que dans ce village, où les femmes et les jeunes filles, à visage découvert, vinrent à l'envi
nous servir. Cette dernière particularité est un trait de mœurs exceptionnel dans ce pays et particulier
à cette race.
Des marchands ambulants nous avertissent qu'une grande barque est entrée dans le port d'Ayas et
qu'elle va appareiller pour Alexandrette. La fatigue du voyage, augmentée par le désagrément de cette
pluie continue qui traverse les habits, transforme la selle en éponge et rend tout travail impossible,
nous décida à abréger notre route en nous embarquant à Ayas ; ce changement d'itinéraire nous per-
mettait en outre d'éviter Payas et une suite de villages envahis par la peste comme tous ceux que nous
avons habités depuis Pompéiopolis et Tarsous jusqu'ici.
7°
ADANAAMESSIS.
1" JANVIER 1827.
Ti heures.
DE MESSIS
A
NADJARLIKEUÏ,
2 JANVIER.
5 heures.