46 Voyages n'A ntesor
grand homme a enfanté un poème sur l'enlève-
ment de Proserpine : c'est une production de
dix à douze mille vers. Ce père tendre a couru
de porte en porte pour les lire; chacun s'est
caché, a reculé devant l'énorme fatras. Les
barbares ! Le dépit, le chagrin, l'ont jeté
dans la mélancolie , il dépérissoit. Pour sa gué-
rison, il s'est adressé à l'esculape Eudamippe,
qui, connoissant sa manie, a soupçonné la
cause de son mal. Il lui a demandé s'il n'avoit
pas fait quelque ouvrage qu'il n'eût encore
récité à personne.— «Hélas ! oui, répond tris-
tement le malheureux Lacon : j'ai un poëme
fini , et personne ne le connoît. — Eh bien,
faites-moi l'amitié de me le lire ; je suis prêt
à vous écouter ». L'ame de Lacon s'épanouit à
ces douces paroles , comme un oiseau mouillé
de la pluie s'épanouit au premier rayon dii
soleil qui reparoît ; une joie modeste brille sur
son visage : il prend son manuscrit, et débite
. ses vers d'une voix pleine et sonore. Le méde-
cin, l'air satisfait, l'oreille attentive, écoute
jusqu'à la fin, approuve l'ouvrage, et ajoute:
« Une seule lecture ne me suffit pas pour bien
juger ; demain voulez - vous bien la recom-
mencer»? Quelle proposition flatteuse! Lacon
en auroit promis dix : depuis huit jours il ne
mangeoit plus3 son appétit se réveilla. Le len-
grand homme a enfanté un poème sur l'enlève-
ment de Proserpine : c'est une production de
dix à douze mille vers. Ce père tendre a couru
de porte en porte pour les lire; chacun s'est
caché, a reculé devant l'énorme fatras. Les
barbares ! Le dépit, le chagrin, l'ont jeté
dans la mélancolie , il dépérissoit. Pour sa gué-
rison, il s'est adressé à l'esculape Eudamippe,
qui, connoissant sa manie, a soupçonné la
cause de son mal. Il lui a demandé s'il n'avoit
pas fait quelque ouvrage qu'il n'eût encore
récité à personne.— «Hélas ! oui, répond tris-
tement le malheureux Lacon : j'ai un poëme
fini , et personne ne le connoît. — Eh bien,
faites-moi l'amitié de me le lire ; je suis prêt
à vous écouter ». L'ame de Lacon s'épanouit à
ces douces paroles , comme un oiseau mouillé
de la pluie s'épanouit au premier rayon dii
soleil qui reparoît ; une joie modeste brille sur
son visage : il prend son manuscrit, et débite
. ses vers d'une voix pleine et sonore. Le méde-
cin, l'air satisfait, l'oreille attentive, écoute
jusqu'à la fin, approuve l'ouvrage, et ajoute:
« Une seule lecture ne me suffit pas pour bien
juger ; demain voulez - vous bien la recom-
mencer»? Quelle proposition flatteuse! Lacon
en auroit promis dix : depuis huit jours il ne
mangeoit plus3 son appétit se réveilla. Le len-