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La Lune — 2.1866

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LA LUNE

3

COUPS DE PLUME DE PIERROT

« Au clair de la lune,
« Mon ami Pierrot,
« Prête-moi la plume
« Pour écrire un mol... «

Vudius et Trissotin viennent de ressusciter sous forme de
.journaux à deux sous. Se trouvera-t-il un nouvel Homère ou
un Espagnol — ce qui est l'équivalent — puisqu'on parlant
du Grec Homère, on dit que Sévi fie s'honore de l'avoir vu
naître...

Se trouvera-t-il un hidalgo pour porter aux générations
futures le récit des luttes tifanesques, géantesques et grotes-
ques dont l'Evénement et le Soleil nous ont offert, dans Ges
dernières minutes (les minutes de la dernière heure ! ), le
réjouissant spectacle.

Se trouvera-t-il une plume assez osée, assez hardie pour
écrire cette nouvelle H-enriade ! qui nous reporte au beau
temps de la salle Montesquieu, alors que le terrible Savoyard
et le taureau de la Provence cherchaient à se tomber.

Ces deux illustrations se sont englouties dans la marmite
d'un bouillon Durai.

L'avenir liendrait-il d'autres marmites en réserve?...

Avec sa face enfarinée, Pierrot serait mal venu de trouver
ici-bas quoi que ce soit d'incolore,. Aussi s'emprcsse-l-il de
déclarer que le Soleil et YEvénement sont deux journaux haut
en couleurs, qu'on croirait tout nouvellement arrivés de
l'Alsace ou de la Dourgegne.

Mais ces apparences de jeunesse n'excluent pas une haine
vigoureuse. A une autre époque, on avit la haine vigou-
reuse de l'anarchie. Les deux journaux qui nous occupent,
ne pouvant plus se permettre ce luxe, emploient leurs loisirs
à se détester cordialement, et il n'est sorte de mauvais tours
qu'ils se jouent, de niches qu'ils se fassent.

Le patron de Y Evénement, qui a longlemps guerreyé et, fait
guerroyer dans la petite presse, oublie trop souvent qu'un
journal quotidien ne doit pas avoir les allures d'un petit
journal.

Et il tire à boulets rouges sur le Soleil.
Le patron du Soleil, — qui n'entend pas se compromettre,
— répond à V Evénement dans Y Evénement.

Et ces jours-la, il prend un huissier pour collaborateur.

Ces messieurs procèdent différemment.

L'Evénement décoche des traits.

Le Soleil décroche les rédacteurs de Y Evénement.

Si bien que ce dernier s'est vu enlever son Hélène, —
Henri Rochefort,- un homme de beaucoup d'esprit, mais qui
a le travail difficile.

J'ouvre une parenthèse pour faire observer qu'il est im-
possible de résister aux propositions de M. Millaud.

Un homme qui porte des lunettes d'or est fait pour inspi-
rer la confiance.

La menture de ses verres concaves ou convexes est uni;
sorte de cautionnement pour le payement des articles.

Après avoir détaché Henri Rochefort, le farouche Millaud
avait résolu, dit-on, d'enlever Jtules Vallès, à la nuit tom-
bante, dans la voiture du Petit Journal. Le postillon était du
complot; il s'était engagé à le mener à bonne fin à l'aide
d'une échelle de soie qu'il avait cachée dans ses bottes.

Mais Y Evénement avait eu vent de la chose; il alla se pla-
cer sous la fenêtre de Jules Vallès, où il joua de la guitare
avec vingt billets de banque de mille francs.

Cette sérénade cloua Jules Vallès à son balcon, et la mo-
rale publique n'eut pas à s'effaroucher d'un nouveau rapt.

Si l'ami Pierrot est bien informé, il paraîtrait que M. Mil-
laud n'a jamais eu la pensée de s'attacher Jules Vallès.

M. Millaud est bon, il est généreux; M. Millaud s'est
dit : Jules Vallès n'est pas assez payé, il faut que je le fasse
augmenter; et il a grevé d'autant les frais généraux de l'en-
treprise rivale.

Aux Rochefort, aux Wolff, aux Tony Révillon, aux Al-

béric Second — de nom — a succédé Jules Vallès, plume
nerveuse, épileptique, qui tombe souvent du haut mal dans
les colonnes de Y'Evénement. On dirait que M. Jules ^Vallès se
complaît dans les sujets lugubres, sombres, et qu'il recherche
les articles à soupirail. ,

Sans vouloir porter préjudice à son talent, je commence
par déclarer que je n'aime pas son faire, et que mon plus vif
désir est que la masse des lecteurs ne partage pas ma manière
de voir. ,

Mais j'ai trop parlé au clair de la lune sur ces rivalités de
boutique.

Qui du Soleil ou de YEvénement tombera l'autre?
Les paris sont ouverts.

A l'heure où paraissent ces lignes, l'Académie française,
dont l'utilité ne nous est pas encore démontrée, procède à la
réception de M. Camille Doucet, un galant homme, dont le
talent fin et souple s'est toujours maintenu dans les bornes
d'une honnête médiocrité.

Une des dernières pièces que M. Camille Doucet a don-
nées à la Comédie-Française avait pour titre la Considération.

J'avouerai qu'elle n'a rien ajouté .a la considération que?
j'ai pour la Comédie française.

Depuis la dernière Lune, cette même Comédie-Française a
donné une pièce de M. Ponsard; les uns disent Francis, les
autres disent François, une pièce qui fait grand bruit : le
Lion amoureux. Elle est en vers, et ces vers, qui portent la
marque de fabrique de M. Ponsard, font regretter qu'il n'ait
pas saisi l'occasion de nous offrir une comédie en prose.

Les vers de M. Ponsard sont tirés au cordeau; ils offrent
la régularité du boulevard Magenta ; cela est construit en
bonne pierre meulière; les césures ne fument pas; les rimes
sont plates comme Mlle X... du théâtre des Variétés. Mais
en somme peu de poésie; desjjhrases de douze syllabes cou-
vertes en ardoise.

On larde tant ù émanciper les femmes que quelques dames
de théâtre viennent de prendre les devants en fondant une
feuille de chou rose qui répond au nom de Colombine. Après
avoir lu ce journal, on comprend que le législateur ait refusé
à la femme l'exercice des droits politiques.

Mlle Suzanne Lagicr, Léonidc Leblanc et consorts vien-
nent de faire rentrer la femme dans le troisième dessous de
la civilisation et de retarder de trois siècles le moment de
son émancipation.

L'ami Pierrot.

la preuve de son innocence, et, quoique coupable d'un crime abo-
minable, car il me le paraissait comme à tous, j'avais pitié de
son angoisse.

Lorsque la condamnation l'ut prononcée, mon cœur s'arrêta, une
main de fer m'étreignit la gorge,et mes tempes battirent : l'écha-
faud me serait apparu tout il coup dresse pour moi, que je n'au-
rais pas souffert davantage.

Le lendemain et les jours suivants je demeurai dans un état de
prostration complète, ne parvenant pas à me débarrasser du sou-
venir de cet homme dont les heures étaient comptées. Constam-
ment je me demandais : Que fait-il là bas dans sa prison, que
dit-il, à quoi pense-t-il '? Je m'identifiais à ce point avec sa si-
tuation, que plusieurs fois je me surpris tenant mon cou entre mes
doux mains comme pour le défendre.

La nuit, ces préoccupations se transformaient en cauchemar :
je ne rêvais que bourreau et guillotine, j'assistais à la toilette
du patient, je le suivais jusqu'au pied de l'échafaud; mais toujours*
au moment suprême, les rôles se trouvaient intervertis, et de spec-
tateur je devenais l'acteur principal, .l'apercevais au-dessus de
ma tète l'ignoble couperet philanthropique, je le voyais tomber,
et je me réveillais fou d'horreur.

En moins de huit jours mes cheveux blaflchirent, et je tremblai
pour ma raison.

J'appris heureusement que le condamné avait signé son pour-
voi en cassation, et que, dans le cas où ce pourvoi serait rejeté, il
lui restait à vivre au moins cinq à six semaines. Six semaines !
c'est-à-dire six siècles pour qui attend la liberté, six secondes
pour qui attend la mort. Je résolus d'activer la conclusion de mes
ati'aires personnelles de façon à pouvoir quitter la- ville avant
l'expiration de ce délai, et je me plongeai à corps perdu dans la
chicane. Mon idée fixe ne m'abandonna pas complètement; mais,
grâce aux études fastidieuses que je m'imposai, elle me laissa du
moins quelque répit.

Un mois s'écoula ainsi, et le moment approchait où j'allais être
enfin libre de m'enf'uir au bout du monde. Mon avoué m'avait
donné sa parole d'honneur d avoué qu'avant huit jours le tribu-
nal aurait rendu son jugement, et moi, plaideur encore naïf, me
hâtant de boucler mes malles, j'avais repris quelque tran-
quillité.

Les huit jours s'écoulèrent et furent suivis de huit autres sans
résultat.

Une nuit, réveillé en sursaut par un bruit inaccoutumé,qui me
sembla celui d'une multitude rassemblée sous mes fenêtres, «t

que j'attribuai à quelque incendie dans le voisinage, je me levai
précipitamment.

J'habitais un hôtel situé sur une place publique; à peine eus-je
jeté un regard sur cette, place, que je reculai terrifié : j'avais vu
s'agiter sous mes fenêtres la foule pareille à une mer soulevée,
pendant qu'au-dessus d'elle la guillotine dressait ses deux lugu-
bres bras.

L'hôtel n'avait qu'une porte donnant sur cette place des exécu-
tions que j'habitais sans le savoir, et d'ailleurs il eût fallu tra-
verser la foule hideuse qui riait en attendant le spectacle et. passer
auprès de la machine rouge. Que devenir? Ils l'avaient construite
cette machine, sans bruit, dans l'ombre, et toute la ville était ac-
courue; car seul j'ignorais que l'ordre fût arrivé de livrer au
bourreau le condamné.

Ainsi, là, tout prés, à quelques pas sealement, la chose allait
s'accomplir, et j'en serais le témoin!

A quoi me servirait-il de me bouclier les oreilles et.de fermer
les yeux? Pourrais-je aissi m'empêcher dépenser?

Je fis clore les volets de ma chambre, et m'étant jeté sur mon
lit, la tête enfoncée sous les couvertures, je me mis à pousser des
hurlements, afin d'empêcher les bruits du dehors d'arriver jus-
qu'à moi. J'eus beau faire; malgré mes cris de bête fauve, mal-
gré mes poings fermés appuyés contre mes tempes, j'entendis
toujours la grande voix de la foule, et malgré moi, minute par
minute, je me rendis compte de ce qui se passait.

q'out à coup il se fit un grand silence, et moi-même je me tus.
— Oh! quand donc la main de l'homme ne l'rappera-t-elle plus?
Quand donc le sang ne payera-t-il plus la dette du sang!

Un bruit sourd, et tout l'ut dit. A la place d'un homme, un ca-
davre, et la justice humaine était satisfaite.

Quant à moi, on me trouva évanoui sur mon lit, et je ne repris
connaissance qu'après vingt jours de lièvre.

VI

Ma maladie, à ce que m'expliqua mon avoué, retarda nécessai-
rement la marche de mes affaires, puisqu'â l'époque de mou ré-
tablissement elles étaient à peu près au même point que le pre-
mier jour de mon arrivée dans la ville. Mon départ fut donc en-
cure indéfiniment reculé.

A la suite de cette violente secousse, je perdis complètement le
goût de la solitude que j'avais toujours eu jusqu'alors; il me
fallait à tout prix une compagnie quelconque, la nuit surtout, car

je craignais de rester en tête-à-tête avec mes pensées. Je me mis
à fréquenter les cafés et les estaminets; chaque soir je sortais le
dernier do celui de ces établissements qui fermait le dernier;
puis, moi qui ai toujours méprisé la débauche et les débauchés,
j'allais jusqu'au jour rôder dans les plus mauvais lieux, en com-
pagnie de gens sans aveu, que j'aurais rougi de saluer en plein
jour. Je me faisais honte à moi-même, et pourtant il ne dépen-
dait pas de moi de m'arrêter sur la ponte où je me voyais glisser.
Je n'avais plus la force de vouloir, et j'en étais arrivé à un tel
degré de dégradation, que souvent je demandais l'oubli et le repos
à l'ivresse.

Il était un endroit inconnu de la police on plutôt qu'elle tolé-
rait et surveillait, un endroit, refuge de toutes les dépravations
et de toutes les hontes, où j'allais chaque nuit, vêtu de haillons,
afin do ne pas exciter l'attention. Là, mêlé aux derniers des hom-
mes, je m'asseyais au coin d'une table, et je buvais. A la vérité,
je ne connaissais aucun des habitués île cet enfer, et je ne me mê-
lais»jamais à leurs eonvei-s.itions que je n'écoutais même pas.
J'étais au milieu de vivants, cela me suffisait.

J'étais au milieu do vivants ; — je le croyais du moins, car je
r.c savais pas que les morts pouvaient sortir de la tombe, et,
quoique morts, prendre pour un temps toutes les apparences de
la vie.

Assis une nuit à ma place habituelle, en face d'une bouteille
de rhum à moitié vide, je commençais à entrer dans l'état de
demi-somnolence, moitié veille, moitié sommeil, que Jepréférais
à tout autre, lorsque mon attention fut attirée par quelques mots
prononcés à côté île moi.

Etait-ce le timbre d'une voix connue; étaient-ce les paroles
elles-mêmes? Je l'ignoré.

Toujours est-il que j'ouvris les yeux et que j'aperçus distincte-
ment attablé, à quelques pas de moi, en face d'un autre homme,
celui qui avait été exécuté sous mes fenêtres.

Je n'étais pas halluciné, je ne me trompais pas.

Il portait le même habit que le jour de sa condamnation, et
n'avait de changé que les cheveux taillés beaucoup plus ras. Nos
regards se rencontrèrent, et il ne me resta plus le moindre doute;
je vis que lui aussi il m'avait reconnu.

Wn i.uxatiqie.

(La suite au prochain numéro.)
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Werk/Gegenstand/Objekt

Titel

Titel/Objekt
Coups de plume de Pierrot
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
La Lune
Sachbegriff/Objekttyp
Grafik

Inschrift/Wasserzeichen

Aufbewahrung/Standort

Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Universitätsbibliothek Johann Christian Senckenberg
Inv. Nr./Signatur
S 25/T 14

Objektbeschreibung

Maß-/Formatangaben

Auflage/Druckzustand

Werktitel/Werkverzeichnis

Herstellung/Entstehung

Entstehungsdatum
um 1866
Entstehungsdatum (normiert)
1861 - 1871
Entstehungsort (GND)
Paris

Auftrag

Publikation

Fund/Ausgrabung

Provenienz

Restaurierung

Sammlung Eingang

Ausstellung

Bearbeitung/Umgestaltung

Thema/Bildinhalt

Thema/Bildinhalt (GND)
Mann <Motiv>
Litfaßsäule
Fernrohr
Wolke <Motiv>
Werbeplakat
Nacht <Motiv>
Frankreich
Karikatur
Frau <Motiv>
Satirische Zeitschrift
La Lune (Zeitung, Paris)
Le Hanneton illustré

Literaturangabe

Rechte am Objekt

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Künstler/Urheber (GND)
Universitätsbibliothek Heidelberg
Reproduktionstyp
Digitales Bild
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Public Domain Mark 1.0
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La Lune, 2.1866, Nr. 5, S. 5_3

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CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg
 
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