Nouvelle Série —N° 48
ÎO Centimes
8 Juillet 4866
RÉDACTEUR EX CHEF
F. POLO
ABONNEMKIS'TS
PARIS
Un an............. 8K
Six mois......... 3
Troll mois....... 1 *SO
BUREAUX, 5, CITÉ BERGÈRE
Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot,
Préte-moi ta plume
Pour écrire un mot.
Air connu.
DIRECTEUR
D. LÉVY
ABOX'XEMENIS
DÉPARTEMENTS
lia an............ 6 fr,
Six mois.., ..... a BO
Trois mois...... 5*
BUREAUX, 5, CITÉ BERGÈRE
C'était dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un I,
(A. DE MUSSET»)
Paraissant tous les Dimanches
Oh! l'ennuyeuse, la sotte, l'impertinente, la détestable
race que ces timides.
Vous savez bien? Ces insupportables bonshommes qui
n'osent parler, de peur qu'on ne les entende; qui n'osent
marcher, de peur qu'on ne les voie; se promener, de peur
qu'on ne les remarque; aimer, de peur qu'on ne sache qu'ils
aiment.
* *
J'en ai connu qui, pour se décider à entrer dans un ma-
gasin ou dans un café, avaient besoin de faire sur eux-mê-
mes un grand effort ; qui prenaient, comme on dit, à deux
mains leur courage pour aller commander un pantalon à
leur tailleur ou présenter de très-humbles observations à
leur bottier, lequel, dans sa dernière fourniture, n'avait pas
ménagé de logements pour leurs cors, oignons et autres
étninences.
Il y en'a, et beau-
coup, pour qui une
visite est un suppli-
ce, un dîner une tor-
ture, un bal un mar-
tyre.Vient-on à rire
devant eux, ils s'i-
maginent que c'est
d'eux qu'on rit. Dit-
on un mot à voix
basse, c'est assuré-
ment une remarque
désobligeante à leur
adresse. Fixe-t-on
les yeux sur eux, on
les voit rougir aus-
sitôt et trahir par
leur maintien un
inexplicable embar-
ras. La vio de ces
gens-là est une per-
pétuelle gêne. Ils
sont vraiment fort
malheureux ; mais,
qu'y faire? Ils ont
essayé, au commen-
cement , de lutter
contre cette timidité insurmontable; après quelques combats
pénibles, où ils ont été presque toujours vaincus, ils deman-
dent grâce, rentrent dans l'obéissance et renoncent à des
velléités de révolte, qui n'ont pour résultat que de les con-
vaincre de plus en plus de leur faiblesse.
Il y a des timides qui écrivent bien ; il n'y en a point qui
parlent comme il faut. Le mot propre, la phrase nette et
courte leur fait horreur. Ils n'osent pas dire en une seconde
ce qu'ils balbutient en cinq minutes.
Ne les confondez pas, je vous prie, avec les modestes. Un
homme, un vrai homme, peut être, doit être modeste. Cela
lui sied. — Timide, jamais!
La Bruyère, le plus fin, le plus piquant et le plus profond
à la fois de tous les chroniqueurs, le patron classique des
petits journalistes, a oublié les timides dans la nomenclature
des ridicules et des vices de l'humanité. Son Phédon est ad-
mirable; mais c'est un pauvre et non pas un timide. Sa
pauvreté seule le rend craintif et gêné. Donnez-lui une
charge à la cour, un grand nom ou seulement une grande
fortune : il deviendra aussitôt dédaigneux, hardi, insolent,
en tout semblable au riche Giton.
*
* *
C'est surtout lorsqu'il se trouve en face d'une femme,
qu'un timide fait rire et fait pitié à la fois.
— Timide, pauvre timide, que viens-tu faire ici? Va-t-en,
va-t-en bien vite. C'est ici un champ de bataille, et tu n'es
point prêt à la lutte. Où est ton courage? Où sont tes armes?
Tu n'as pas de bouclier; tu n'as pas cette confiance en soi-
même qui donne l'audace d'abord, la victoire ensuite ; tu
n'as pas cette témérité hasardeuse que récompense si sou-
vent la Fortune. Va-t-en, pauvre timide; la gloire et l'a-
mour ne sont pas faits pour toi. Ce sont les hardis que le
sort favorise. Pour eux les victoires, les baisers et les sou-
rires : Audaces fortuna juvat.
Que lui diras-tu, voyons, à elle? Sauras-tu exprimer tou-
tes tes pensées et tous tes désirs? Oseras-tu laisser parler
ton cœur et montrer ton âme? murmurer seulement à son
oreille ces mots divin : Je vous aime ! N'est-ce pas une tâ"
che au-dessus de tes forces?
Que de sots de cette espèce ont vu le bonheur passer au-
près d'eux en leur faisant toute sorte de mines engagean-
tes, — et ont laissé passer le bonheur parce qu'il fallait,
pour l'arrêter, le regarder en face et lui dire d'une voix
haute et ferme : « Bonheur, arrête-toi ! »
Que de femmes, aimées d'un timide qu'elles aimaient, ont
perdu leurs efforts et leurs ruses, leurs agaceries et leurs
avances vraiment humiliantes, sans parvenir à tirer de lui le
mot qui devait dessiner la situation et leur permettre de faire
un pas de plus — le dernier.
0 timides, timides! vous le savez, cependant, le vieux
Mathurin Régnier nous l'a dit, il y a beau temps, ce me
semble :
Après ceux qui font des présents,
Amour est pour les bien-disants.
*
Une femme pourra être intimidée une ibis par hasard;
mais timide à l'état normal, à l'état chronique et incurable,
jamais.
Trop fines les femmes pour être si sottes ! eût dit la Pa-
lisse.
D'ailleurs les timides leur ont trop prêté à rire pour qu'el-
les veuillent ressembler à ces imbéciles-là.
*
Chose qui n'étonnera personne, quand le timide, sous l'in-
fluence d'une passion puissante, d'une violente surexcitation,
se décide à oser, personne ne va plus loin que lui. C'est le
poltron révolté du proverbe. Dans les conversations où il se
met à son aise, il est d'un débraillé ignoble.
On n'est guère timide sans être méfiant, méfiant sans de-
venir soupçonneux; du soupçon on passe à l'injustice, et de
la justice à la méchanceté pure.
Je vous le dis : Défiez-vous des timides.
Lux.
ÎO Centimes
8 Juillet 4866
RÉDACTEUR EX CHEF
F. POLO
ABONNEMKIS'TS
PARIS
Un an............. 8K
Six mois......... 3
Troll mois....... 1 *SO
BUREAUX, 5, CITÉ BERGÈRE
Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot,
Préte-moi ta plume
Pour écrire un mot.
Air connu.
DIRECTEUR
D. LÉVY
ABOX'XEMENIS
DÉPARTEMENTS
lia an............ 6 fr,
Six mois.., ..... a BO
Trois mois...... 5*
BUREAUX, 5, CITÉ BERGÈRE
C'était dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un I,
(A. DE MUSSET»)
Paraissant tous les Dimanches
Oh! l'ennuyeuse, la sotte, l'impertinente, la détestable
race que ces timides.
Vous savez bien? Ces insupportables bonshommes qui
n'osent parler, de peur qu'on ne les entende; qui n'osent
marcher, de peur qu'on ne les voie; se promener, de peur
qu'on ne les remarque; aimer, de peur qu'on ne sache qu'ils
aiment.
* *
J'en ai connu qui, pour se décider à entrer dans un ma-
gasin ou dans un café, avaient besoin de faire sur eux-mê-
mes un grand effort ; qui prenaient, comme on dit, à deux
mains leur courage pour aller commander un pantalon à
leur tailleur ou présenter de très-humbles observations à
leur bottier, lequel, dans sa dernière fourniture, n'avait pas
ménagé de logements pour leurs cors, oignons et autres
étninences.
Il y en'a, et beau-
coup, pour qui une
visite est un suppli-
ce, un dîner une tor-
ture, un bal un mar-
tyre.Vient-on à rire
devant eux, ils s'i-
maginent que c'est
d'eux qu'on rit. Dit-
on un mot à voix
basse, c'est assuré-
ment une remarque
désobligeante à leur
adresse. Fixe-t-on
les yeux sur eux, on
les voit rougir aus-
sitôt et trahir par
leur maintien un
inexplicable embar-
ras. La vio de ces
gens-là est une per-
pétuelle gêne. Ils
sont vraiment fort
malheureux ; mais,
qu'y faire? Ils ont
essayé, au commen-
cement , de lutter
contre cette timidité insurmontable; après quelques combats
pénibles, où ils ont été presque toujours vaincus, ils deman-
dent grâce, rentrent dans l'obéissance et renoncent à des
velléités de révolte, qui n'ont pour résultat que de les con-
vaincre de plus en plus de leur faiblesse.
Il y a des timides qui écrivent bien ; il n'y en a point qui
parlent comme il faut. Le mot propre, la phrase nette et
courte leur fait horreur. Ils n'osent pas dire en une seconde
ce qu'ils balbutient en cinq minutes.
Ne les confondez pas, je vous prie, avec les modestes. Un
homme, un vrai homme, peut être, doit être modeste. Cela
lui sied. — Timide, jamais!
La Bruyère, le plus fin, le plus piquant et le plus profond
à la fois de tous les chroniqueurs, le patron classique des
petits journalistes, a oublié les timides dans la nomenclature
des ridicules et des vices de l'humanité. Son Phédon est ad-
mirable; mais c'est un pauvre et non pas un timide. Sa
pauvreté seule le rend craintif et gêné. Donnez-lui une
charge à la cour, un grand nom ou seulement une grande
fortune : il deviendra aussitôt dédaigneux, hardi, insolent,
en tout semblable au riche Giton.
*
* *
C'est surtout lorsqu'il se trouve en face d'une femme,
qu'un timide fait rire et fait pitié à la fois.
— Timide, pauvre timide, que viens-tu faire ici? Va-t-en,
va-t-en bien vite. C'est ici un champ de bataille, et tu n'es
point prêt à la lutte. Où est ton courage? Où sont tes armes?
Tu n'as pas de bouclier; tu n'as pas cette confiance en soi-
même qui donne l'audace d'abord, la victoire ensuite ; tu
n'as pas cette témérité hasardeuse que récompense si sou-
vent la Fortune. Va-t-en, pauvre timide; la gloire et l'a-
mour ne sont pas faits pour toi. Ce sont les hardis que le
sort favorise. Pour eux les victoires, les baisers et les sou-
rires : Audaces fortuna juvat.
Que lui diras-tu, voyons, à elle? Sauras-tu exprimer tou-
tes tes pensées et tous tes désirs? Oseras-tu laisser parler
ton cœur et montrer ton âme? murmurer seulement à son
oreille ces mots divin : Je vous aime ! N'est-ce pas une tâ"
che au-dessus de tes forces?
Que de sots de cette espèce ont vu le bonheur passer au-
près d'eux en leur faisant toute sorte de mines engagean-
tes, — et ont laissé passer le bonheur parce qu'il fallait,
pour l'arrêter, le regarder en face et lui dire d'une voix
haute et ferme : « Bonheur, arrête-toi ! »
Que de femmes, aimées d'un timide qu'elles aimaient, ont
perdu leurs efforts et leurs ruses, leurs agaceries et leurs
avances vraiment humiliantes, sans parvenir à tirer de lui le
mot qui devait dessiner la situation et leur permettre de faire
un pas de plus — le dernier.
0 timides, timides! vous le savez, cependant, le vieux
Mathurin Régnier nous l'a dit, il y a beau temps, ce me
semble :
Après ceux qui font des présents,
Amour est pour les bien-disants.
*
Une femme pourra être intimidée une ibis par hasard;
mais timide à l'état normal, à l'état chronique et incurable,
jamais.
Trop fines les femmes pour être si sottes ! eût dit la Pa-
lisse.
D'ailleurs les timides leur ont trop prêté à rire pour qu'el-
les veuillent ressembler à ces imbéciles-là.
*
Chose qui n'étonnera personne, quand le timide, sous l'in-
fluence d'une passion puissante, d'une violente surexcitation,
se décide à oser, personne ne va plus loin que lui. C'est le
poltron révolté du proverbe. Dans les conversations où il se
met à son aise, il est d'un débraillé ignoble.
On n'est guère timide sans être méfiant, méfiant sans de-
venir soupçonneux; du soupçon on passe à l'injustice, et de
la justice à la méchanceté pure.
Je vous le dis : Défiez-vous des timides.
Lux.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
ohne Titel
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
La Lune
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25/T 14
Objektbeschreibung
Objektbeschreibung
Bildbeschriftung: "Aux pieuvres! Les timides" Signatur: "Carlo Gripp"
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1866
Entstehungsdatum (normiert)
1861 - 1871
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Thema/Bildinhalt (normiert)
Verbeugung <Motiv>
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
Public Domain Mark 1.0
Creditline
La Lune, 2.1866, Nr. 18, S. 18_1
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg