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La Lune — 2.1866

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https://doi.org/10.11588/diglit.6785#0078

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LA LUNE

LE THÉÂTRE DE LA GUERRE

(Correspondance ■particulière de la Lune.)

Du quartier général de l'armée de Y Evénement,

10 juillet 1866.

Mon cher directeur,

Nommé correspondant de la guerre de la Lune, j'ai quitté
lundi dernier, a trois heures de relevée, vos magnifiques
bureaux de la cilé Bergère pour me rendre à mon poste.

Faut-il vous narrer les péripéties de mon voyage? Mort
Dieu, oui ! d'autant que cela fera quelques lignes dé copie de
plus à mon avoir.

Dans.Je Faubourg Montmartre, .j'ai «perçu un cocher libre
qui insultait son client à propos d'une question de pourboire.
On vo>t bien que la guerre est dans l'air. L'homme au fiacre
huilait ; le bourgeois ripostait:

— Prenez garde, dit-il entin, que je ne porte plainte con-
tre vous.

— Oh ! la ! la! s'écria le cocher à cette menace: « Ous'
qu'est mon fusil... à aiguille ! »

Sur les boulevards, on s'arrachait les journâù* donnant les
nouvelles du théâtre de la lutte. Un passant était furieux. Tl
avait demandé la Patrie, et, dans sa précipitation, le mar-
chand de nouvelles lui avait servi un exemplaire de Wrosco-
pie, organe des maladies des voies urinaires. Le désespoir de
cet homme était navrant. Je n'eus pas Je courage d'en rester
longtemps le témoin, et j'enfilai la rue Montmartre, non
sans avoir essuyé une larme l'urtive, — una furtiva layrima,
comme on dit à Custozza.

En ce moment, quatre heures sonnaient au beffroi de
l'horloger Wagner. A certains indices, je pouvais déjà
deviner que j'approchais d'un bureau de journal en état de
guerre. Cela sentait la poudre... de riz, et les canons succé-
daient aux canons sur le comptoir des marchands de vin.

0 monsieur! quelle horrible chose que ces conflits entre
les souverains de la publicité !

J'étais arrivé à la corniche de la rue de la Jussienne, et
bientôt, grâce à la vigu ur de mes deux jambes, j'atteignais
l'entrée de Coq Héron street.

Au loin,on apercevait les feux des cigares de l'armée fédé-
rale, composée des corps réguliers de Y Evénement, — de
très-Irôles de corps, — et des continents du Figaro et du
Grand Journal.

On attendait, pour compléter les cadres, deux bala lions
des vétérans de VAutographe et de la Gazette des Abonnés.

Muni du laissez-passer que vous m'avez odroyé, mon
cher directeur, je pénétrai dans l'enceinte du quartier
général, et je me mis à grimper l'escalier qui conduit
aux tentes de la rédaction, où je savais devoir trouver tout
l'état-major du feldzeugmestre de Villemessant.

Dans le vestibule, une sentinelle de bureau croisa devant
moi le couteau à papier de Y Affaire Ctétnenceau, prêté par le
général Dum.is fils à l'armée de I[Evénement,

— Qui vive ?

— Ami, ré^'indis-je avec force.

— On ne passe pas.

— Mais je suis le correspondant de la Lune.

— Quand bien même vous seriez le petit caporal, je vous
dis qu'on ne passe pas.

— Cependant...

— 11 n'y a pas de cependant qui tienne. D'ailleurs le feld-
zeugmestre ne veut pas de journalistes dans son camp.

— Pourquoi cela?

— Parce que ce sont un tas de blagueurs qui, à force de
vouloir paraître bien renseignés, finiraient par dévoiler au
grand Soleil tons les plans de campagne que nous tenons dans
la nuit du secret. Ou n'a fa:t d'exception qu'en faveur du
correspondant du Times, de Londres.

J'allais répondre des choses désagréables à la sentinelle,
lorsque j'aperçus par bonheur le cornette Benedeck-Revoil,
engagé volontaire au service de Y Evénement et frère de Mme
Louise Collet, qui lui en avait brodé un superbe pour son
uniforme.

— Qu'y a-t-il, cher ami ?

— 11 y a que je suis ici par la volonté de la Lune, et que
je n'en sortirai que par la force des couteaux à papier.

— Mais qui vous prie de sortir.

— Cet homme d'armes.

— .lo-eph, laissez passer monsieur.

Quelques instants après, j'élais au cœur même du quartier
général de Y Evénement. Quel tableau, monsieur, quel ta-
bleau! Dussé-je vivre cent dix ans «t devenir académicien
comme M. de Pongerville, non, jamais l'éponge de l'oubli
ne l'ellacera de l'ardoise de nia mémoire.

Sur une grande table se trouvaient étalées plusieurs
cartes de visite, sur lesquelles on avaiL piqué des pointes
empruntées aux chroniques d'Auiélien Scholl et d'Albert
Wolff.

Le feldzeugmestre avait la parole :

— Mes enfants, disait-il, nous avons déjà porté des coups
terribles à l'ennemi. Je ne vous parlerai pas de la prime des
maudarines ; mais souvenez-vous de celle des Travailleurs de
la mer.

— Nos antagonistes y ont riposté par la prime des Mité-

rab'e*, objecta un jeune homme à moustachus que je recon-
nus aussitôt pourle lieutenant Maillard.

— Oui, mais nous avons re-riposté en donnant pour rien
à nos abonnés un journal politique.

— Hélas ! cela'ne suffit pas encore, dit d'une voix grave
Je colonel Dupeuty.

— Il faudra, croiser les plumes.

— Nous les croiserons! clamèrent, avec un enthousiasme
auquel je ne pus m'empècher de prendre part, tous les as-
sistants.

Et des cris de « Aux armes ! aux armes! » se firent en-
feri'dre dans toute l'enceinte du quartier général.
(Tétait beau et triste à la lois.

La sentinelle de bureau, dont je vous ai parlé tout à l'heu-
re, pleurait à chaudes larmes en aiguisant le couteau à pa-
pier de l'Affaire Clémenceaù, déjà rougi par le sang de la
belle Iza.

— Toutes nos dispositions sont bien prises? ajouta de sa
voix de bataille le feldzeugmestre.

— Oui, oui !

— Où est Dumont, le commissaire aux vivres?

— Me voici, mon feldzeugmestre.

— Avez-vous fait prendre le calé aux soldats?

— Oui, le café, le pousse-café, la rincette, la surincëtte,
avec le bain de pied.

— C'est bien. A propos, qui portera Y Etendard!

— Moi, dit avec une noble simplicité le sergent Cardon.

— Soit, je vous le confie, car je Sfiië que Cardon à la \
moelle... Maintenant, en route!

— En roule! en route!

— Sus à l'ennemi !

— Sus à l'ennemi ! sus à l'ennemi.

— Montjoyè et Oclave Feuillet!

— Montjoyè et Oclave Feuillet!

— Nobles guerriers de la presse, du haut des colonnes de
Y Evénement, soixante mille abonnés noug coniérriptent !

— Ils ont raison ?

— Suivez mon chapeau blanc, vous le trouverez toujours
sur le chemin de Peins'housc. !

— Nous le suivrons!
I Et je les vis descendre l'escalier et se diriger en masses
I serrées du côlé du boulevard Montmartre, où se trouve le

quadrilatère du roi Millaume.

On parle d'une attaque pour ce séir contre cette position
I qui se compose, chacun le sait, dés quatre places fortes sui-
vantes :

Le Petit Journal -Manloue, gouverneur Timothée TViinni ;
j Le Soleil-Vérone, gouverneur Lel'ranc;

Le Journal ///«sf/é-Legnano, gouverneur Clam-Gallàs de
I Montaut;

Le Nouvel i'//«s<re-Peschiera, gouverneur Je hé sais plus
Qui.

Outre ces terribles forteresses, S. M. le roi Millaume,
prince de l'Aquarium, possède deux ouvrages avancés, bâtis
sur du sable, et connus les noms de Journal littéraire et
et Journal politique.

Formidables Défenses, monsieur le rédacteur, et 'qui coû-
teront bien des flots d'encre avant d'être enlevées.

Une gran le bataille aura probablement lieu ce soir, à
l'heure de l'absinthe. Je m'en ferai rendre, compte pour vous
donner' des détails. Quant à. suivre pas à pas l'aimée de
Y Evénement, cela m'est impossible : il lait trop chaud, et j'ai
peur d'Uh coup de So eil.

Je n'en suis pas moins, mon cher directeur, votre tout
dévoué correspondant de la guerre.

Nox.

TOUT POUR L'AIGUILLE

Boulevard Montmartre, 11, avril.

ie suivante, au

Le télégraphe nous transmet la i
moment d'aller sous presse :

« La paix vient d'être signée sans effusion de sang.

«Le commissaire Dumont, envoyé en parlementaire, a
fini p;ir faire entendre raison au roi Millaume.

« Celui-ci retire ses troupes et ses procès.

» On s'embrasse dans le quadrilatère en se donnant des
noms d'oiseau.

« La Bourse, à l'instar de la veuve Marlborough, monte
aussi haut qu'elle peut monter.

« Le feldzeugmestre de Villemessant descend de cheval et
cède sa monture de bataille à la boucherie hippophagique.

« Partout les maisons se pavoisent d'Etendards à deux
sous.

« Les kiosques illumineront sans doute ce soir.
« Merci, notre Dieu ! »

{ffa'vàs dit jardin Bullier.)

Actuel loin eut l'aiguillé tient le fil de toutes les conversations.
On n'est pas sérieux, si l'on ne parle aiguille.
Soyons donc sérieux.

fraiguille. depuis l'enfonce, du monde, a en un rôle tour à tour
utile et fiiTipstc. Pour Yk commodité de la démonstration, comme
aurait dit l'eu Legendre, distinguons les catégories :

Nous avons l'aigd^Vé à coudre, l'aiguille à tricoter, l'aiguille
de ma'nomè're. l'rtîgttilie aimantée, l'aiguille de chemin de fer,
l'aiguille de pendule et l'ai-uille de fusil.

L'invention de Yaiff&ée à emidre remonte a gmnd'mèro Kve qui,
après sa grande Faute, éprouva le besoin de se faire des ehcnrses
et. des serviettes. Un OS n*e lapin fit office d'instrument; ses che-
veux servirent de fil, et un matin M. A'Iam trouva sur les épau-
les de son époosè un coin-do-feu en feuilles de figuier.

Tifp-Lîvp raconte que la mère de Coriolnn, ne pouvant survi-
vre an déshonneur de son fils, avala dans un vol-au-vent une.
g-nsee d'aiguilles anglaises et mourut. La révolution qui s'opéra
d ms l'nnnareil circulatoire fut telle, ajoute l'historien, que les
petites noint'es transpercèrent l'épidémie du dedans au dehors,
et que le cadavre de Mme Coriolan offrit l'aspect d'une pelote à
aiguilles.

l'aiguille à tricoter fut perfectionnée par Clénpàtro, à qui Marc-
Antoine dut ses plus belles chaussettes: elle est fort connue dos
pensionnaires de Saint-Lazare, qui font des tricots d'hiver pour
les petits Chinois.

L'aiguille aimantée guida .Tason vers Colchos, fit trouver à Ro-
binson son ami Vendredi, et à Dodorc son fidèle Timothée.

\MiguilIe manométrique sert aux gens de négoce. Ainsi, l'on se
représente très-bien le cœur d'une cocotte ou d'un financier garni
d'un manomètre métallique, dont l'aiguille marque la hausse ou
la baisse suivant la pression des affaires. Chez l'homme de
Bourse, le. cercle indicateur comporte des limites au-dessus et
au-dessous de zéro Chez la femme libre, pas de quantités néga-
tives. Les variations de cours ne se produisent qu'au-dessus d'un
demi-louis, jusqu'à l'infini positif.

L'aiguille de chemin de fer est un petit joujou de plusieurs mè-
tres de long, qui tricote agréablement, à l'o rasion, les reins des
bons voyageurs. Il y a plusieurs années, un train partait d'A-
miens pour Boulogne. Il existait, à cette époque, au sortir de la
gare, un tunnel sous lequel les deux voies principales se reliaient
par une aiguille. La machine siffle, l'aigui leur se trompe, et
v'Ian ! le train va en tamponner un autre arrivant de Bo dogne.
Eh bien, la violence du choc fut telle, qu'un cuirassier, couvert
de son casque, se trouva lan é verticalement de bas en haut,
passa par la toiture du wagon, traversa la voûte du tunnel, et
àfier retomber à cheval sur un banc du corps-de-garde de l'oc-
Iroi qui se trouvait à proximité. Le chef de gare en perdit tous
ses cheveux.

L'aiguille d'horloge fournirait matière à cinquante histoires d'à*
moùr, rendez-vous manqués, aiguille en avança, aiguille en re-
tard, retour prématuré du mari, etc., etc.

Mais la où l'aiguille atteint le point culminant de 8a
c'est dans le rôle éminemment civilisateur
d'hui aux grandes fêtes de lu guerre.

fcefusil à aiguille ? *st-ce nssez beau, mes frères! Qui
venté? Ce n'est pas moi. Kt c.epend nt, je ne sais pourq ioi j'hé-
siterais à faire nombre avec les 99 tètes fortes qui eu revendi-
quent la paternité. Toutefois il paraît avéré que le premier in-
strument de ce genre fut construit par un armurier de la vieille
Rome. Nous lisons en effet, dans les mémoires d'une cantinière
carthaginoise, que. dans cette fameuse bataille où les Romains
enlevèrent le beau sexe sabin, on fit usage du fusil à aiguille. A
telle enseigne que le cheval d'un centurion, ayant posé les pieds
de devant sur deux aiguilles fichées en terre, se les enfonça si
avant dans là corne, qu'il fut obligé de rester quarante-huit
heures sur les jambes de derrière, en attendant qu'un vétéri-
naire suisse, attaché à l'armée, fut venu le dégager.

Le type de cet engin, perdu pendant des siècles, a été retrouvé
dans les ruines de Pompéi, par un marchand de cirage anglais,
qui le vendit à la cour de Prusse. Actuellement on ne rêve que
fusil à aiguille. Ce sera le grand cadeau d'étrennes.

Dans les journaux bien tenus, les secrétaires de rédaction ne
sont conservés qu'à la condition de savoir faire la charge en
quatre temps, à raison d'un minimum de soixante cuups à la
minute. Depuis le directeur jusqu'aux porteurs, tout le monde
va à la manœuvre. Vous vous présentez au bureau. — Un garçon
ouvre, un fusil à la main. — M. X...? — Il astique son aiguille,

_Et M. Z... — Il est à la cible. — Tous ces messieurs portent

un fusil à aiguille en breloque.

gloire,
qu'elle joue aujour-

l a m-

AVI8

Lest personnes dont l'abonnement expire, le 15 juillet, sont
priées de le renouveler immédiatement, pour ne pas éprouver
d'interruption dans le ser vice de leur journal.

Un chroniqueur vient de découvrir le fusil à aiguille électri-
que. Chaque soldat a une pile Bunsen dans son sac. Les tils cor-
respondent avec l'extrémité de l'aiguille et le siège du fulmi-
nate. C'est l'étincelle qui détermine l'explosion. Un système in-
génieux amène les cartouches dans la culasse, sans qu'on soit
obligé de les prendre; chaque combattant en porte deux cents
sur le nombril. Il n'a qu'à tou her un bout n de la main droite,
et c'est un jet de balles continu. Pendant ce temps il peut manger
de la main gau. he.

Parfait le fusil à aiguille ! Mais quand donc inventera t-on le
fusil sans soldat?

M'É&iDIBN.
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