planche première.
ï5
« Cette femme dit donc à Élie : Qu'avions-nous affaire l'un de Fautre, homme de Dieu? Votre
« entrée dans ma maison devait donc faire revivre le souvenir de mes péchés, et donner la mort à
« mon fils?
« Élie lui dit : Donnez-moi votre enfant. Et Fayant pris d'entre ses bras, il le porta à l'étage qu'il
« habitait et le plaça sur son lit.
«Alors il cria vers le Seigneur, disant : Seigneur mon Dieu, quoi! même cette veuve qui me fait
« subsister à grand'peine, vous l'avez affligée au point de faire mourir son fils!
« Puis il se plaça sur l'enfant par trois fois, s'adaptant à sa taille, et s'écria vers le Seigneur : Sei-
« gneur mon Dieu, que l'âme de cet enfant, je vous en conjure, rentre dans son sein.
« Dieu exauça la demande d'Élie, et l'âme de l'enfant revint Fanimer, et il se prit à revivre.
« Élie donc prenant cet enfant redescendit vers sa mère, et le lui remit en disant : Voici que votre
« fils est vivant.
« Alors cette femme dit à Élie : Je reconnais cette fois que vous êtes vraiment homme de Dieu,
« et que c'est bien sa parole qui sort de vos lèvres.»
Le vitrail de Chartres renferme une scène toute semblable; mais il l'emprunte à l'histoire d'Élisée,
disciple d'Élie(i), ainsi que l'indique l'inscription; et non à celle d'Élie lui-même, comme le sujet
que je crois trouver ici. Car, malgré cette indication qui semblerait devoir suppléer au défaut d'ins-
cription dans le tableau de Bourges, voici quelles sont mes raisons pour voir dans notre verrière
le sujet indiqué. J'emprunte au vitrage lui-même mes titres à la probabilité. D'abord le symbolisme
employé précédemment pour représenter le fils de la veuve au moment où Élie la rencontre (n° 6),
paraît annoncer quelque intention de fixer sur cet enfant la pensée du spectateur. On dirait d'une
pierre d'attente pour préparer quelque addition postérieure. Puis, l'histoire de Jonas placée en face
de cette résurrection, paraît donner un nouveau poids à mon hypothèse : attendu que, selon d'an-
ciens écrivains, le prophète Jonas aurait été précisément le fils de la veuve ressuscité par Élie (2).
Nous n'avons que faire de discuter les fondements de cette opinion; mais il est utile de la consta-
ter pour apprécier l'influence qu'elle a pu exercer dans les arts au moyen âge. A Chartres, où Jonas
ne paraît pas avoir dû trouver place (même parmi les médaillons brisés), la veuve est seule quand
Élie s'adresse à elle; et on nous permettra de croire qu'ici ces différences autorisent à supposer une
autre direction. Mais d'ailleurs, tout en prenant parti pour Élie (3), nous ne laisserons pas de joindre
à l'explication quelques traits sur le miracle d'Élisée. Par là, tout se trouvera compensé, et l'on jugera
peut-être qu'en somme ce débat ne méritait point tant de paroles, puisque la solution, quelle qu'elle
fût, ne devait apporter nul changement à l'ensemble des idées (4). Hâtons-nous donc d'en finir avec
cet objet.
Le moment choisi par le peintre semble être celui où le prophète descend du lit, lorsque les pre-
miers signes de vie se manifestent dans le jeune homme; et l'on reconnaît à la similitude des gestes,
que le serviteur de Dieu avait superposé exactement ses membres à ceux du cadavre. Les spectateurs
qui se trouvent là prouveraient encore, au besoin, pour mon hypothèse, puisque, dans le récit du
remaneret in eo halitus. Dixit ergo ad Heliam : Quid mihi et tibi,
vir Dei? Ingressus es ad me ut rememorarentur iniquitates meœ,
et interficeres filium meum ? Et ait ad eam Elias : Da mihi filium
tuum. Tulitque eum de sinu ejus, et portavit in cœnaculum ubi
ipse manebat, et posuit super lectulum suum. Et clamavit ad Do-
minum, et dixit : Domine Deus meus, etiamne viduam, apud quam
ego utcumque sustentor, afflixisti ut interficeres filium ejus? Et
expandit se, atque mensus est super puerum tribus vicibus, et
clamavit ad Dominum, et ait : Domine, Deus meus, revertatur,
obsecro , anima pueri liujus in viscera ejus. Et exaudivit Dominus
vocem Eliœ; et reversa est anima pueri intra eum, et revixit.
Tulitque Elias puerum, et deposuit eum de cœnaculo in inferio-
rem domum, et tradidit matri suse , et ait illi : En vivit filius Unis.»
(1) IV Reg., IV, 3-2—37. H s'agit du fils de la Sunamite arraché
à la mort avec des circonstances très-semblables à celles du mi-
racle opéré par Élie, dont Élisée avait été le disciple, et auquel
il servit comme d'héritier.
(1) S. Isidor., de Ortu et obitu PP., cap. 45 (ed. Arevalo, t. V,
p. 173). «Tradunt Hebrœi hune (Jonam) esse viduœ filium,
quem a mortuis suscita vit Elias. — Bridferth, Gloss. in caput 3
Bedœ presbjteri, De temporum ratione (Bed., ed. princeps. Ba-
sileœ, i563,t. II, p. 59) : « Ipse (Jonas) est et Amathi sareptana»
filius viduœ , ut Judœi affirmant, quem resuscitavit Helias...»
— Cs. Corn. Van den Steen inJon—Sixt. Senens. Bibliothec. sanctœ
lib. I ( ed. cit., p. 24 ). — Atto vercell. In ep. ad Hebr. XI. 35.
(3) Si quelqu'un nous opposait que le vêtement du prophète
dans ce médaillon n'est pas celui qu'avait Élie dans le tableau pré-
cédent, nous lui ferons remarquer que la différence est préci-
sément la même entre Jésus-Christ portant sa croix et Jésus-Christ
crucifié. Et pourtant personne ne songera sans doute à mécon-
naître dans le peintre l'intention de représenter un même person-
nage, d'abord sur le chemin du Calvaire, puis sur la croix.
(4) Ajoutons que le moyen âge unit volontiers ces deux faits
dans leur indication comme dans leur interprétation mystique.
Ainsi Théophylacte et saint Thomas d'Aquin, expliquant le cha-
pitre XI de l'épître aux Hébreux (v. 35. « Fide. . . acceperunt
mulieres de resurrectione mortuos suos) , citent, l'un et l'autre,
la veuve de Sarepta et la Sunamite, comme modèles de cette foi
qui obtient les miracles. — Cs. Atto vercellens. /. c. ( ed Burontio
del signore.. p. 247, 248).
8
ï5
« Cette femme dit donc à Élie : Qu'avions-nous affaire l'un de Fautre, homme de Dieu? Votre
« entrée dans ma maison devait donc faire revivre le souvenir de mes péchés, et donner la mort à
« mon fils?
« Élie lui dit : Donnez-moi votre enfant. Et Fayant pris d'entre ses bras, il le porta à l'étage qu'il
« habitait et le plaça sur son lit.
«Alors il cria vers le Seigneur, disant : Seigneur mon Dieu, quoi! même cette veuve qui me fait
« subsister à grand'peine, vous l'avez affligée au point de faire mourir son fils!
« Puis il se plaça sur l'enfant par trois fois, s'adaptant à sa taille, et s'écria vers le Seigneur : Sei-
« gneur mon Dieu, que l'âme de cet enfant, je vous en conjure, rentre dans son sein.
« Dieu exauça la demande d'Élie, et l'âme de l'enfant revint Fanimer, et il se prit à revivre.
« Élie donc prenant cet enfant redescendit vers sa mère, et le lui remit en disant : Voici que votre
« fils est vivant.
« Alors cette femme dit à Élie : Je reconnais cette fois que vous êtes vraiment homme de Dieu,
« et que c'est bien sa parole qui sort de vos lèvres.»
Le vitrail de Chartres renferme une scène toute semblable; mais il l'emprunte à l'histoire d'Élisée,
disciple d'Élie(i), ainsi que l'indique l'inscription; et non à celle d'Élie lui-même, comme le sujet
que je crois trouver ici. Car, malgré cette indication qui semblerait devoir suppléer au défaut d'ins-
cription dans le tableau de Bourges, voici quelles sont mes raisons pour voir dans notre verrière
le sujet indiqué. J'emprunte au vitrage lui-même mes titres à la probabilité. D'abord le symbolisme
employé précédemment pour représenter le fils de la veuve au moment où Élie la rencontre (n° 6),
paraît annoncer quelque intention de fixer sur cet enfant la pensée du spectateur. On dirait d'une
pierre d'attente pour préparer quelque addition postérieure. Puis, l'histoire de Jonas placée en face
de cette résurrection, paraît donner un nouveau poids à mon hypothèse : attendu que, selon d'an-
ciens écrivains, le prophète Jonas aurait été précisément le fils de la veuve ressuscité par Élie (2).
Nous n'avons que faire de discuter les fondements de cette opinion; mais il est utile de la consta-
ter pour apprécier l'influence qu'elle a pu exercer dans les arts au moyen âge. A Chartres, où Jonas
ne paraît pas avoir dû trouver place (même parmi les médaillons brisés), la veuve est seule quand
Élie s'adresse à elle; et on nous permettra de croire qu'ici ces différences autorisent à supposer une
autre direction. Mais d'ailleurs, tout en prenant parti pour Élie (3), nous ne laisserons pas de joindre
à l'explication quelques traits sur le miracle d'Élisée. Par là, tout se trouvera compensé, et l'on jugera
peut-être qu'en somme ce débat ne méritait point tant de paroles, puisque la solution, quelle qu'elle
fût, ne devait apporter nul changement à l'ensemble des idées (4). Hâtons-nous donc d'en finir avec
cet objet.
Le moment choisi par le peintre semble être celui où le prophète descend du lit, lorsque les pre-
miers signes de vie se manifestent dans le jeune homme; et l'on reconnaît à la similitude des gestes,
que le serviteur de Dieu avait superposé exactement ses membres à ceux du cadavre. Les spectateurs
qui se trouvent là prouveraient encore, au besoin, pour mon hypothèse, puisque, dans le récit du
remaneret in eo halitus. Dixit ergo ad Heliam : Quid mihi et tibi,
vir Dei? Ingressus es ad me ut rememorarentur iniquitates meœ,
et interficeres filium meum ? Et ait ad eam Elias : Da mihi filium
tuum. Tulitque eum de sinu ejus, et portavit in cœnaculum ubi
ipse manebat, et posuit super lectulum suum. Et clamavit ad Do-
minum, et dixit : Domine Deus meus, etiamne viduam, apud quam
ego utcumque sustentor, afflixisti ut interficeres filium ejus? Et
expandit se, atque mensus est super puerum tribus vicibus, et
clamavit ad Dominum, et ait : Domine, Deus meus, revertatur,
obsecro , anima pueri liujus in viscera ejus. Et exaudivit Dominus
vocem Eliœ; et reversa est anima pueri intra eum, et revixit.
Tulitque Elias puerum, et deposuit eum de cœnaculo in inferio-
rem domum, et tradidit matri suse , et ait illi : En vivit filius Unis.»
(1) IV Reg., IV, 3-2—37. H s'agit du fils de la Sunamite arraché
à la mort avec des circonstances très-semblables à celles du mi-
racle opéré par Élie, dont Élisée avait été le disciple, et auquel
il servit comme d'héritier.
(1) S. Isidor., de Ortu et obitu PP., cap. 45 (ed. Arevalo, t. V,
p. 173). «Tradunt Hebrœi hune (Jonam) esse viduœ filium,
quem a mortuis suscita vit Elias. — Bridferth, Gloss. in caput 3
Bedœ presbjteri, De temporum ratione (Bed., ed. princeps. Ba-
sileœ, i563,t. II, p. 59) : « Ipse (Jonas) est et Amathi sareptana»
filius viduœ , ut Judœi affirmant, quem resuscitavit Helias...»
— Cs. Corn. Van den Steen inJon—Sixt. Senens. Bibliothec. sanctœ
lib. I ( ed. cit., p. 24 ). — Atto vercell. In ep. ad Hebr. XI. 35.
(3) Si quelqu'un nous opposait que le vêtement du prophète
dans ce médaillon n'est pas celui qu'avait Élie dans le tableau pré-
cédent, nous lui ferons remarquer que la différence est préci-
sément la même entre Jésus-Christ portant sa croix et Jésus-Christ
crucifié. Et pourtant personne ne songera sans doute à mécon-
naître dans le peintre l'intention de représenter un même person-
nage, d'abord sur le chemin du Calvaire, puis sur la croix.
(4) Ajoutons que le moyen âge unit volontiers ces deux faits
dans leur indication comme dans leur interprétation mystique.
Ainsi Théophylacte et saint Thomas d'Aquin, expliquant le cha-
pitre XI de l'épître aux Hébreux (v. 35. « Fide. . . acceperunt
mulieres de resurrectione mortuos suos) , citent, l'un et l'autre,
la veuve de Sarepta et la Sunamite, comme modèles de cette foi
qui obtient les miracles. — Cs. Atto vercellens. /. c. ( ed Burontio
del signore.. p. 247, 248).
8