LE BAROQUE GOTHIQUE. LE STYLE FLAMBOYANT 641
romaine et de la maison arabe. Le mur extérieur accepte peu de percées,
mais il peut porter une décoration, parfois singulière, comme la maison
de Salamanque qui tire son nom des coquilles taillées dans la pierre,
dont la paroi est bossuée avec régularité. A l’intérieur court autour des
salles une haute plinthe de boiserie, au-dessus de laquelle la muraille
est tantôt blanchie à la chaux, tantôt revêtue de faïences peintes ou de
cuir de Cordoue.
Si la destination particulière des édifices civils leur impose partout
certaines formes qui n’apparaissent que rarement dans l’architecture
religieuse, —■ la division en étages, par exemple, entraînant l’aplatisse-
ment des arcs dans les baies et la substitution des lambris aux voûtes,
—- il reste que la vie du décor et l’esprit du style y sont identiques à ce
que nous montrent les églises. L’art flamboyant offre peu d’exemples
plus caractéristiques que les lucarnes du Palais de Justice de Rouen.
Ce ne sont pas de simples baies raccordées à un comble par un toit en
bâtière, mais des édifices complexes, d’un développement considérable.
Leur masse découpée, hérissée de fleurons et de pinacles, épaulée
d’arcs-boutants comme les lanternons des clochers, parcourue d’orne-
ment onduleux, perforée de toutes parts, s’amortit par un gable
à jour, tracé sur une contre-courbe effilée. Chacune d’elles est reliée
aux lucarnes voisines par une balustrade que surmonte un système
d’arcades jumelées sous une accolade terminée par un fleuron : ces
arcades singulières ne tiennent à rien, elles sont comme un écran à
jour dressé contre la pente du comble. C’est de la ferronnerie dans de la
pierre, le dernier mot d’une architecture pittoresque, qui cherche avant
tout les effets, le mouvement, la couleur, l’illusion. Les plantes dont
elle se pare sont celles qui répondent le mieux à ces besoins. Dans les
édifices civils comme dans les églises domine la feuille de chou, large,
grasse, renflée, découpée et gaufrée sur les bords. La virtuosité du
décorateur va de pair avec la virtuosité de l’architecte. On en trouve
des traces inégales dans les beaux hôtels de ville à beffroi qui s’élèvent
alors dans les cités du Nord de la France et des Pays-Bas, comme le
signe de la prospérité municipale, — art plus sobre et plus ferme à Saint-
Ouentin, par exemple, plus prolixe à Audenarde. Mais, dans tout
l’Occident, le profil que la ville du xve siècle dresse sur l’horizon his-
torique, avec ses combles aigus, ses flèches d’églises, ses tours, avec ses
pignons à pan de bois encorbellé, ses échauguettes d’angle, ses hautes
cheminées de pierre, ses poivrières pointues, crée une région particu-
lière pour la rêverie humaine. Elle dépasse son temps, elle abrite la
pensée de la Renaissance dans le Nord, à Prague, cité des kabbalistes.
romaine et de la maison arabe. Le mur extérieur accepte peu de percées,
mais il peut porter une décoration, parfois singulière, comme la maison
de Salamanque qui tire son nom des coquilles taillées dans la pierre,
dont la paroi est bossuée avec régularité. A l’intérieur court autour des
salles une haute plinthe de boiserie, au-dessus de laquelle la muraille
est tantôt blanchie à la chaux, tantôt revêtue de faïences peintes ou de
cuir de Cordoue.
Si la destination particulière des édifices civils leur impose partout
certaines formes qui n’apparaissent que rarement dans l’architecture
religieuse, —■ la division en étages, par exemple, entraînant l’aplatisse-
ment des arcs dans les baies et la substitution des lambris aux voûtes,
—- il reste que la vie du décor et l’esprit du style y sont identiques à ce
que nous montrent les églises. L’art flamboyant offre peu d’exemples
plus caractéristiques que les lucarnes du Palais de Justice de Rouen.
Ce ne sont pas de simples baies raccordées à un comble par un toit en
bâtière, mais des édifices complexes, d’un développement considérable.
Leur masse découpée, hérissée de fleurons et de pinacles, épaulée
d’arcs-boutants comme les lanternons des clochers, parcourue d’orne-
ment onduleux, perforée de toutes parts, s’amortit par un gable
à jour, tracé sur une contre-courbe effilée. Chacune d’elles est reliée
aux lucarnes voisines par une balustrade que surmonte un système
d’arcades jumelées sous une accolade terminée par un fleuron : ces
arcades singulières ne tiennent à rien, elles sont comme un écran à
jour dressé contre la pente du comble. C’est de la ferronnerie dans de la
pierre, le dernier mot d’une architecture pittoresque, qui cherche avant
tout les effets, le mouvement, la couleur, l’illusion. Les plantes dont
elle se pare sont celles qui répondent le mieux à ces besoins. Dans les
édifices civils comme dans les églises domine la feuille de chou, large,
grasse, renflée, découpée et gaufrée sur les bords. La virtuosité du
décorateur va de pair avec la virtuosité de l’architecte. On en trouve
des traces inégales dans les beaux hôtels de ville à beffroi qui s’élèvent
alors dans les cités du Nord de la France et des Pays-Bas, comme le
signe de la prospérité municipale, — art plus sobre et plus ferme à Saint-
Ouentin, par exemple, plus prolixe à Audenarde. Mais, dans tout
l’Occident, le profil que la ville du xve siècle dresse sur l’horizon his-
torique, avec ses combles aigus, ses flèches d’églises, ses tours, avec ses
pignons à pan de bois encorbellé, ses échauguettes d’angle, ses hautes
cheminées de pierre, ses poivrières pointues, crée une région particu-
lière pour la rêverie humaine. Elle dépasse son temps, elle abrite la
pensée de la Renaissance dans le Nord, à Prague, cité des kabbalistes.