du Marquis de ***
39
J’aurois fait transporter fur le champ
le Marquis à cent lieues de l’Espagne,
si j’eusse crû le pouvoir sans danger.
Mais quelle apparence de l’exposer sitôt
aux agitations d’une longue route ? quoique
sa hlessure n’eût plus rien d’absolument
dangereux , les chairs étoient encore dé-
licates & mal-raffermies. L’ordre du Chi-
rurgien l’obligeoità garder un régime exact,
& à se ménager beaucoup. Je resolus
donc de retourner à Madrid. En faisant
ces réflexions, je travaillois àhîë retirer
de son évanoüisfement. Il n’eut pas plu-
tôt repris la connoisfance, qu’il jetta ses
regards autour de lui ; & voïant que nous
environnions son lit de manière à prévenir
tous ses transports, il leva les yeux &
les mains au Ciel avec un mouvement
tout passionné. O Dieu ! s’écria-t-il, ne
me sera-t-il pas permis de la suivre! Faut-
il vivre sans elle! Ah, mon cher père!
ajoûta-t-il en s’adressant à moi, pourquoi
m’empêchez-vous de mourir? Je m’assis
auprès de son lit, & je pris ses deux
mains dans les miennes. Hé quoi, lui
dis-je, mon cher Marquis, vous perdez
tout d’un coup les sentimens de courage,
dont je vous ai crû tantôt si rempli 1
Vous regardez la mort comme le seul remè-
de de vos maux, & vous ne pensez pas
que vôtre raison & vôtre générolité peu-
vent
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J’aurois fait transporter fur le champ
le Marquis à cent lieues de l’Espagne,
si j’eusse crû le pouvoir sans danger.
Mais quelle apparence de l’exposer sitôt
aux agitations d’une longue route ? quoique
sa hlessure n’eût plus rien d’absolument
dangereux , les chairs étoient encore dé-
licates & mal-raffermies. L’ordre du Chi-
rurgien l’obligeoità garder un régime exact,
& à se ménager beaucoup. Je resolus
donc de retourner à Madrid. En faisant
ces réflexions, je travaillois àhîë retirer
de son évanoüisfement. Il n’eut pas plu-
tôt repris la connoisfance, qu’il jetta ses
regards autour de lui ; & voïant que nous
environnions son lit de manière à prévenir
tous ses transports, il leva les yeux &
les mains au Ciel avec un mouvement
tout passionné. O Dieu ! s’écria-t-il, ne
me sera-t-il pas permis de la suivre! Faut-
il vivre sans elle! Ah, mon cher père!
ajoûta-t-il en s’adressant à moi, pourquoi
m’empêchez-vous de mourir? Je m’assis
auprès de son lit, & je pris ses deux
mains dans les miennes. Hé quoi, lui
dis-je, mon cher Marquis, vous perdez
tout d’un coup les sentimens de courage,
dont je vous ai crû tantôt si rempli 1
Vous regardez la mort comme le seul remè-
de de vos maux, & vous ne pensez pas
que vôtre raison & vôtre générolité peu-
vent