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REVUE ARCHÉOLOGIQUE
partie des « légendes pieuses » (p. 319). De l’ancienne théorie irénigue,
suivant laquelle l’auteur des Actes aurait voulu surtout atténuer l’hostilité
de Pierre et de Paul, il n’est plus guère question; je ne la crois pourtant
pas morte pour cela *.
S. R.
S. Czarnowski. Le culte des héros et les conditions sociales. Saint Patrick,
héros national de l'Irlande. Préface de M. H. Hubert. Paris, Alcan, 1919; in-8,
xcrv-369 p. — Saint Patrice n’est pas seulement, en Irlande, un saint inter-
cesseur, mais un héros national, héritier de héros païens antérieurs. Qu’est-ce
donc qu’un héros? C’est a un homme qui a rituellement conquis, par les
mérites de sa vie ou de sa mort, la puissance effective inhérente à un groupe
ou à une chose dont il est le représentant et dont il personnifie la valeur
sociale. » Lé saint se distingue du héros en ce que la notion de sainteté est
subordonnée, dans son cas, à un idéal moral et religieux fixé par la théologie-
Ce qui fait l’originalité de saint Patrice, c’est que, héros et saint tout
ensemble, il est avant tout héros. Sa légende fait de lui un lutteur contre les
démons, les druides, les chefs païens. La majeure partie des traits qui cons-
tituent sa personnalité légendaire a été empruntée aux traditions mythologiques
et épiques de l’Irlande (p. 74), comme M. C. l’a démontré en détail. Il
ressemble extraordinairement à ces dieux irlandais à forme héroïque qui sont
les ancêtres, les précurseurs et les types de la société qui les adore (p. 231).
Ce tour particulier qu’a pris l’évolution des figures divines en Irlande s’explique
par la constitution sociale du pays dont l’élément constitutif, la tuât h ou cité,
implique le culte d’un ancêtre et la croyance à sa réincarnation dans le roi. Les
dieux irlandais sont des héros, surtout par le fait de leur présence réelle au
sein du groupe qui leur rend un culte. Comme, au début de l’époque chré-
tienne, le diocèse s’organise sur le modèle de la tuath, les saints irlandais
sont comme les héros des tuaths et‘le culte des saints est un culte de chefs.
Pour expliquer que la légende de saint Patrice ait pris l’aspect d’un mythe
héroïque de l’Irland- entière, M. C. fait intervenir les filid (pavrerç de Diodore),
rivaux des druides, historiens et antiquaires, créateurs et gardiens de la tradi-
tion mythique et épique. Pour un auditoire aristocratique et belliqueux, ils
composent des histoires où la représentation du dieu se confond avec celle des
héros (p. 284). Non seulement les filid ont fait participer l’Ir'ande entière à la
même vie imaginative (p. 290), mais ils ont jeté le germe du sentiment national
irlandais. Les filid cherchèrent un appui dans le christianisme et saint Patrice
se fit passer pour un des leurs. Le plus ancien clergé irlandais se recruta
parmi les filid. Il est remarquable que pas une légende hagiographique
n’oppose les filid aux saints, alors qu’elles leur opposent sans cesse les druides.
Devenus clercs, les filid continuèrent leur œuvre mythopéique; saint Patrice
fut leur héros. Son culte est désormais la source où se retrempe le nationa-
1. P. 353, note 2, lire Domitien pour Dioclétien. L’impression est très correcte,
la langue aussi.
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partie des « légendes pieuses » (p. 319). De l’ancienne théorie irénigue,
suivant laquelle l’auteur des Actes aurait voulu surtout atténuer l’hostilité
de Pierre et de Paul, il n’est plus guère question; je ne la crois pourtant
pas morte pour cela *.
S. R.
S. Czarnowski. Le culte des héros et les conditions sociales. Saint Patrick,
héros national de l'Irlande. Préface de M. H. Hubert. Paris, Alcan, 1919; in-8,
xcrv-369 p. — Saint Patrice n’est pas seulement, en Irlande, un saint inter-
cesseur, mais un héros national, héritier de héros païens antérieurs. Qu’est-ce
donc qu’un héros? C’est a un homme qui a rituellement conquis, par les
mérites de sa vie ou de sa mort, la puissance effective inhérente à un groupe
ou à une chose dont il est le représentant et dont il personnifie la valeur
sociale. » Lé saint se distingue du héros en ce que la notion de sainteté est
subordonnée, dans son cas, à un idéal moral et religieux fixé par la théologie-
Ce qui fait l’originalité de saint Patrice, c’est que, héros et saint tout
ensemble, il est avant tout héros. Sa légende fait de lui un lutteur contre les
démons, les druides, les chefs païens. La majeure partie des traits qui cons-
tituent sa personnalité légendaire a été empruntée aux traditions mythologiques
et épiques de l’Irlande (p. 74), comme M. C. l’a démontré en détail. Il
ressemble extraordinairement à ces dieux irlandais à forme héroïque qui sont
les ancêtres, les précurseurs et les types de la société qui les adore (p. 231).
Ce tour particulier qu’a pris l’évolution des figures divines en Irlande s’explique
par la constitution sociale du pays dont l’élément constitutif, la tuât h ou cité,
implique le culte d’un ancêtre et la croyance à sa réincarnation dans le roi. Les
dieux irlandais sont des héros, surtout par le fait de leur présence réelle au
sein du groupe qui leur rend un culte. Comme, au début de l’époque chré-
tienne, le diocèse s’organise sur le modèle de la tuath, les saints irlandais
sont comme les héros des tuaths et‘le culte des saints est un culte de chefs.
Pour expliquer que la légende de saint Patrice ait pris l’aspect d’un mythe
héroïque de l’Irland- entière, M. C. fait intervenir les filid (pavrerç de Diodore),
rivaux des druides, historiens et antiquaires, créateurs et gardiens de la tradi-
tion mythique et épique. Pour un auditoire aristocratique et belliqueux, ils
composent des histoires où la représentation du dieu se confond avec celle des
héros (p. 284). Non seulement les filid ont fait participer l’Ir'ande entière à la
même vie imaginative (p. 290), mais ils ont jeté le germe du sentiment national
irlandais. Les filid cherchèrent un appui dans le christianisme et saint Patrice
se fit passer pour un des leurs. Le plus ancien clergé irlandais se recruta
parmi les filid. Il est remarquable que pas une légende hagiographique
n’oppose les filid aux saints, alors qu’elles leur opposent sans cesse les druides.
Devenus clercs, les filid continuèrent leur œuvre mythopéique; saint Patrice
fut leur héros. Son culte est désormais la source où se retrempe le nationa-
1. P. 353, note 2, lire Domitien pour Dioclétien. L’impression est très correcte,
la langue aussi.