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Eugène Revillout.
Comment du jour au lendemain tout cela a-t-il changé"? Quelle a été la cause, quelle
a été la date de ce bouleversement? C'est ce que nous allons essayer de préciser.
Évidemment il est bien postérieur aux luttes de l'Ethiopie et de l'Assyrie, c'est-à-dire
au VIF siècle avant notre ère. Les ammonicns dominaient absolument alors : (jouissant en
Egypte, du reste, d'un tel prestige qu'ils y furent rappelés plusieurs fois par la population
entière et qu'après leur départ, des princesses de leur famille servirent à légitimer par des
mariages l'usurpation des souverains saïtesV
Il paraît en avoir été de même du temps des Perses, époque à laquelle pourraient
peut-être remonter plusieurs des princes éthiopiens dont on n'a pu préciser la date.
Enfin nous savons par les Grecs que, vers le temps1 où commençait dans la vallée infé-
rieure du Nil la dynastie des Lagides, c'était une dynastie ammonienne, celle d'Ergamène,2
qui régnait en Ethiopie et eu Nubie.
1 Selon Champollion (Lettres, p. 150—1) : «La Nubie cessa d'être soumise à l'Egypte dès la chute
»de la 26e dynastie détrônée par Cambyse, et cette contrée passa sous le joug des Éthiopiens jusqu'à
» l'époque des conquêtes de Ptolémée Évergète Ier, qui la réunit de nouveau à l'Egypte. Aussi le temple
» (celui de Pseleis ou de Dakké), commencé par Ergamène, a-t-il été continué par Évergète Ier, par son fils
s Philopator et son petit-fils Evergète IL » Champollion saute l'époque d'Épiphane, pendant les 20 premières
années duquel la Nubie appartenait aux rois éthiopiens de Napata, qui possédaient aussi la Thébaïde. Il
est certain, en effet, nous le verrons, qu'un retour offensif des rois ammoniens avait eu lieu à la mort d'Épi-
phane. Selon Champolliox-Figeac (Egypte, 419), Évergète Ier avait seulement conquis la Nubie jusqu'à Ibrim
(Primis), c'est-à-dire jusqu'aux limites de ce qui fut plus tard le Oommilitium de Nubie. C'est possible, bien
que Champollion n'ait pas donné d'inscriptions ptolémaïques d'Ibrim. En tout cas, la Haute-Nubie était
restée aux rois de Napata, et c'est de là qu'ils revinrent.
Voici les noms des souverains de cette dynastie, qui semblent s'être suivis de plus près d'après la ressem-
blance de leurs cartouches : 1° Le contemporain de Philadelphe Ergamène Q\ <~^~> [j '—-1 ^ jj ^ hze J j
2° Le roi ( Q \\ Î^O1——1 ^"^Iflr^ I> Que Champollion croyait déjà avoir été le prédécesseur ou le
a <—> -\ i <o yj\,—-, ..... _— - -v
successeur immédiat d'Ergamène; 3° f^fU^/f ]•
Les deux premiers de ces rois ont fait de grands travaux dans les temples de Dakké et de Deboud.
Le cartouche du troisième ne se trouve que dans la Haute-Nubie, particulièrement à Begerauieh, à côté
du roi ammonien (probablement antérieur) ^[j1 " " "' jj ^O^t_lj> e*' ^'une autre part, de beaucoup
de rois blenin^es postérieurs, écrivant en hiéroglyphes inconnus et en démotique inconnu.
2 Voir Diodore III, 6 au sujet du roi Ergamène, contemporain du second Ptolémée et initié (par
son influence) à la philosophie des Grecs, qui, ayant été condamné à mort par les prêtres, suivant une loi
nationale, alla les attaquer dans leur temple de la montagne d'or (le (j □ jj jj jj ^ pnrf^ de la stèle de
Dongola) et les massacra eux-mêmes (conf. Strabon XVII, ch. II). Evidemment la loi prescrivant au roi
de se tuer sur l'ordre des prêtres — autrement dit d'Amon lui-même — ne devait être appliquée qu'en cas
de crime religieux. Sans doute il fallait accuser ce roi d'hérésie ou de sacrilège, et on procédait dans l'in-
terrogatoire du dieu comme dans le procès criminel jugé par Amon qu'a récemment publié M. Naville. Il
est clair aussi que le roi Ergamène, pour ne pas froisser les religieuses populations d'Éthiopie, qui faisaient
désigner le roi par le dieu (voir Diodore III, 5 et stèle de l'intronisation), a dû nécessairement invoquer,
de son côté, des prétextes religieux pour rendre la pareille aux prêtres. Aussi ne serions-nous pas éloigné
de croire que la stèle dite de l'excommunication, ne portant plus aucun nom royal, serait la réponse d'Er-
gamène lui-même : au lieu de se rapporter, comme l'avait cru Mariette, soit au temps de la stèle du songe,
soit au temps, évidemment déjà plus tardif, des stèles d'Aspurta et de Nastosenen. Cette stèle, si bien
traduite par M. Maspero, s'explique alors à merveille : «L'an 2 de son avènement, tandis que S. M. était sur
>lc trône de Seb, se transporta S. M. au temple de son père Amon de Napata, sur la montagne sainte, pour
•chasser cette race ( Jjjy^'-'-'^'^ °) ennemie de Dieu qu'on nomme les Tem petiu per dut yam, décrétant :
«Qu'on ne leur permette pas d'entrer dans le temple d'Amon de Napata à cause de cette parole abominable
»à dire qu'ils ont prononcée dans le temple d'Amon. Ils avaient proféré une parole. Mais Dieu n'a point
Eugène Revillout.
Comment du jour au lendemain tout cela a-t-il changé"? Quelle a été la cause, quelle
a été la date de ce bouleversement? C'est ce que nous allons essayer de préciser.
Évidemment il est bien postérieur aux luttes de l'Ethiopie et de l'Assyrie, c'est-à-dire
au VIF siècle avant notre ère. Les ammonicns dominaient absolument alors : (jouissant en
Egypte, du reste, d'un tel prestige qu'ils y furent rappelés plusieurs fois par la population
entière et qu'après leur départ, des princesses de leur famille servirent à légitimer par des
mariages l'usurpation des souverains saïtesV
Il paraît en avoir été de même du temps des Perses, époque à laquelle pourraient
peut-être remonter plusieurs des princes éthiopiens dont on n'a pu préciser la date.
Enfin nous savons par les Grecs que, vers le temps1 où commençait dans la vallée infé-
rieure du Nil la dynastie des Lagides, c'était une dynastie ammonienne, celle d'Ergamène,2
qui régnait en Ethiopie et eu Nubie.
1 Selon Champollion (Lettres, p. 150—1) : «La Nubie cessa d'être soumise à l'Egypte dès la chute
»de la 26e dynastie détrônée par Cambyse, et cette contrée passa sous le joug des Éthiopiens jusqu'à
» l'époque des conquêtes de Ptolémée Évergète Ier, qui la réunit de nouveau à l'Egypte. Aussi le temple
» (celui de Pseleis ou de Dakké), commencé par Ergamène, a-t-il été continué par Évergète Ier, par son fils
s Philopator et son petit-fils Evergète IL » Champollion saute l'époque d'Épiphane, pendant les 20 premières
années duquel la Nubie appartenait aux rois éthiopiens de Napata, qui possédaient aussi la Thébaïde. Il
est certain, en effet, nous le verrons, qu'un retour offensif des rois ammoniens avait eu lieu à la mort d'Épi-
phane. Selon Champolliox-Figeac (Egypte, 419), Évergète Ier avait seulement conquis la Nubie jusqu'à Ibrim
(Primis), c'est-à-dire jusqu'aux limites de ce qui fut plus tard le Oommilitium de Nubie. C'est possible, bien
que Champollion n'ait pas donné d'inscriptions ptolémaïques d'Ibrim. En tout cas, la Haute-Nubie était
restée aux rois de Napata, et c'est de là qu'ils revinrent.
Voici les noms des souverains de cette dynastie, qui semblent s'être suivis de plus près d'après la ressem-
blance de leurs cartouches : 1° Le contemporain de Philadelphe Ergamène Q\ <~^~> [j '—-1 ^ jj ^ hze J j
2° Le roi ( Q \\ Î^O1——1 ^"^Iflr^ I> Que Champollion croyait déjà avoir été le prédécesseur ou le
a <—> -\ i <o yj\,—-, ..... _— - -v
successeur immédiat d'Ergamène; 3° f^fU^/f ]•
Les deux premiers de ces rois ont fait de grands travaux dans les temples de Dakké et de Deboud.
Le cartouche du troisième ne se trouve que dans la Haute-Nubie, particulièrement à Begerauieh, à côté
du roi ammonien (probablement antérieur) ^[j1 " " "' jj ^O^t_lj> e*' ^'une autre part, de beaucoup
de rois blenin^es postérieurs, écrivant en hiéroglyphes inconnus et en démotique inconnu.
2 Voir Diodore III, 6 au sujet du roi Ergamène, contemporain du second Ptolémée et initié (par
son influence) à la philosophie des Grecs, qui, ayant été condamné à mort par les prêtres, suivant une loi
nationale, alla les attaquer dans leur temple de la montagne d'or (le (j □ jj jj jj ^ pnrf^ de la stèle de
Dongola) et les massacra eux-mêmes (conf. Strabon XVII, ch. II). Evidemment la loi prescrivant au roi
de se tuer sur l'ordre des prêtres — autrement dit d'Amon lui-même — ne devait être appliquée qu'en cas
de crime religieux. Sans doute il fallait accuser ce roi d'hérésie ou de sacrilège, et on procédait dans l'in-
terrogatoire du dieu comme dans le procès criminel jugé par Amon qu'a récemment publié M. Naville. Il
est clair aussi que le roi Ergamène, pour ne pas froisser les religieuses populations d'Éthiopie, qui faisaient
désigner le roi par le dieu (voir Diodore III, 5 et stèle de l'intronisation), a dû nécessairement invoquer,
de son côté, des prétextes religieux pour rendre la pareille aux prêtres. Aussi ne serions-nous pas éloigné
de croire que la stèle dite de l'excommunication, ne portant plus aucun nom royal, serait la réponse d'Er-
gamène lui-même : au lieu de se rapporter, comme l'avait cru Mariette, soit au temps de la stèle du songe,
soit au temps, évidemment déjà plus tardif, des stèles d'Aspurta et de Nastosenen. Cette stèle, si bien
traduite par M. Maspero, s'explique alors à merveille : «L'an 2 de son avènement, tandis que S. M. était sur
>lc trône de Seb, se transporta S. M. au temple de son père Amon de Napata, sur la montagne sainte, pour
•chasser cette race ( Jjjy^'-'-'^'^ °) ennemie de Dieu qu'on nomme les Tem petiu per dut yam, décrétant :
«Qu'on ne leur permette pas d'entrer dans le temple d'Amon de Napata à cause de cette parole abominable
»à dire qu'ils ont prononcée dans le temple d'Amon. Ils avaient proféré une parole. Mais Dieu n'a point